
Defcàrtes, après Tes voyages , paffa quelques
années à obferver tous les états, & finit par n'en
choifir aucun.
Il quitta la Hollande en 1648 pour faire un
féjour en France. Le roi lui avoit accordé une
penfion, dont le brevet fut expédié d'avance.
De nouveaux troubles furvenus dans ce royaunje
empêchèrent qu’il ne profitât de cette penfion,
dont cependant il avoit payé l’expédition en parchemin
qui fe vendoit alors } ce qui lui fit dire
allez plaifamment, que jamais il n avoit acheté
de parchemin f i cher.
Ceux qui l'avoient appellé furent-curieux de le
voir, non pour l'entendre & profiter de fes lumières,
mais pour connoître fa figure. «« Je m'ap-
» perçus, dit-il dans-une de fes lettres, qu'on
» vouloit m'avoir en France, à peu près comme
*> les grands feigneurs veulent avoir dans leur mé-
» nagerie un éléphant, ou un lion, ou quelques
» autres animaux rares. C e que je pus penfer de
» mieux fur leur compte, ce fut de les regarder
» comme des gens qui auroient été bien aifes de
m m'avoir à dîner cnez eux, mais en arrivant je
» trouvai leur cuifine en défofdre, & leur mar-
» mite renverfée ».
Il eft à remarquer que la famille de Defcàrtes
fut peut-être la dernière à fentir l'honneur que ce
philofophe lui faifoit. Son frère aîné avoit pour
lui trës-peu de confidération. « Ses parens, dit
« Thiftorien de fa vie, fembloient le compter
» pour peu de/Chofe dans fa famille, & ne le re-
» gardant plus que fous le titre de philofophe,
» tâchoient de l ’effacer de leur mémoire,, comme
» s'il eût été la honte de leur race.
DefcaYtes perfécuté en Hollande & méconnu
en France, compta néanmoins parmi fes admirateurs
& fes difciples, les deux femmes les plus
célèbres de fon temps, Elifabeth^ de Bohème,
princelfe Palatine, & Chriftine reine de Suède-
Cette *reine i’avoit follicité long-temps avant de
pouvoir le déterminer à quitter fa retraite. Il partit
enfin de Hollande, & fut reçu à la cour de
Stockholm avec une diftinétion qui excita la ja-
loufie contre lui. Chriftine qui fentoit bien que '
les alfujettilTemens des courtifans n'étoient pas
faits pour un homme tel que Defcàrtes commença
par l’en exempter. Elle convint enfuite avec
lui d’unejieure où elle pourroit l’entretenir tous
les jours, & recevoir fes leçons. G'étoit à cinq
heures du mâtin, dans un hiver très-rude. Il n’y
avoit pas plus de quatre mois que Defcàrtes étoit
à Stockholm, qu’il fe .fentit confirmer par une
fièvre ardente qu'ocealîonnèrent la rigueur du
froid & le changement qu’il fit à fon régime.'
Ainfi il fut viétime de fa complaifance tpdùr la.
reine ; mais il n’en montra point du tout aux mé-->
decins Suédois qui prenoient foin de lui. Mejfiiurs%
leur crioit-il dans, l’ardeur de fa fièvre, épargne%
le fang franjois. . Il fe tailla néanmoins faigner au
bout de huit jours. Mais il n’étoit plus temps j
l’inflammation étoit trop forte.'Il fentit fon état,
& s’écria : » Il faut partir, allons mon ame, ajoii-
» ta-t-il, il y a long-temps que tu es captive:
» voici l'heure que tu dois fortir de prifon &
» quitter Tembarras de ce corps} il faut fouffrir.
» cette défunion avec joie & courage««.
Chriftine , par reconnoiflance pour fon maître*
voulut le faire entetrer auprès des rois de Suède,
& lui ériger un matifolée. Des vues de religion
s’oppofèrent à ce deflein. M. de Chanut demanda
& obtint qu'il fut enterré avec fimplicité
dans un cimetière parmi des catholiques. Seize
ans après, fon corps fut tranfporté.en France &
dépofé dans l'églife de Sainte Geneviève. Le 14
juin 1667, on lui fit un fervice où fe trouva un
grand-concours de tous les ordres. Le chancelier
de l’Univerfité devoit prononcer fon oraifon funèbre}
mais les difputes qui régnoient alors au
fujet de la philofophie d'Ariftote & de celle de
Defcàrtes , portèrent le gouvernem|nt à faire fup-
pnmer cette ©raifort funèbre.
Defcàrtes, difoit l’abbé Terraflbn, en amenant
la raifon, a perfectionné, l'humanité & la douceur
des moeurs. C e philofophe a enfeigné dignement*
parce qu'il a dit à fes difciples : «« Rentrez en
» vous-mêmes, 8c confultez y la raifon} & à
» l'égard des phénomènes de la nature, ayez re-
» cours à l’obfervation & à l’expérience : en un
» mot, je ne prétends point être votre maître,
» je ne veux être que votre guide. •»
Nous devons à Defcàrtes, non-feulement l*ap-
plicàtion de l’algèbre à la géométrie, mais en*
çore les premiers, effais de l’application de la géométrie
à la phyfique, & d'avoir formé le grand
Newton.
Defcàrtes avoit raifonné fa morale & s’étoît
formé quatre principales maximes.de conduit^ ï
i° . d’obéir, en tout temps aux loix & aux coutu->
j mes de fon pays.
i Q,. De n'enchaîner jamais fa liberté pour l’a-
veriir.
30. De fe décider toujours pour les opinions
modérées, parce que dans le moral, tout ce qui
eft extrême eft prefque toujours vicieux.
4°. De travailler à fe vaincre foi-même, plutôt
que la fortune, parce que l’on change fes defirs
plutôt que l'ordre du monde, & que rien n eft en
, nôtre pouvoir que nos penfées.
! Il avoit pris pour devife bene qui latuit, bette
'vwt,.j Vivre cache, c’ cft vivre heureux.
Defcàrtes rtavoit point été marié, cependant
il connut l'amour. Il eut une fille naturelle nommée
Françoife, qui mourut entre fes bras à l ’âge de
cinq ans. Il fut inconfolable de cette mort, &
avoua plufieurs fois à fes amis qu’il n’avo.it jamais
éprouvé de . plus. grandes douleurs de fa
vie. •
Le parlement de Paris excité par l’Univerfité,
çtoit prêt à donner un arrêt contre la philofophie
de Defcàrtes, lorfque Defpreaux fit le lien. M.
Boileau le greffier préfenta cet arrêt burlefaue à
ligner au premier préfîdent de Lamoignon avec
beaucoup d'autres : comme c ’étoit un magiftrat
fort exaét; il . les examina. Quand il fut arrivé à
celui de Defpréaux, il dit à Boileau : ah ! voila
un tour de ton oncle.
On difoit ordinairement à Paris, que de tous
les hommes Defcàrtes eft celui qui a le mieux
rêvé.
Un curé de village avoit élevé quatre dogues:
il appelleit l’un Ariftote, l ’autre Defcàrtes. Il
avoit donné à chacun un d i f c ip l e & avoir pntre-
tenu les deux parties dans une grande animofité.
Ariftote ne voyoit point Defcàrtes qu’il ne fût
prêt à s’élancer fur lui poùr le dévorer, & Def-
cartés lui gardoit'une haine pareille. Quand le
curé vouloit fe divertir, il appelloit Ariftote &
Defcàrtes ; chacun fe rangeoit à fa place, Ariftote
à là droite , Defcàrtes à la gauche , & chaque
difciple fe tenoit à côté de fon maître. Le
curé parloit enfuite à Ariftote. pour l’inviter à
s'accommoder àVec Defcàrtes. Ariftote par fes
aboyemens réitérés & fes yeux étinc'ellansfembloit
dire qu'il ne vouloit entendre à aucun accommodement.
Il fe tournoit enfuite1 du côté de Defcàrtes
à qui il né parloit pas avec plus de fuccès. Ef-
fayons, difoit-il enfuite, fi en vous ' faifant conférer
enfemble, vos efprits pourront fe réunir j il
les faifoit approcher} ils fe partaient d’abord en
aboyant doucement : il fembloit qu’ils fe répon-
doient l’un à l’ autre. Infenfiblemenf ils aboyoient
plus fort, & puis fe batcoiént deux contre deux.
Ils fe feroient étranglés fi le curé par l’autorité
qu’il s’étoit confervée ne les avoit féparés : le
bon curé prétendoit que c’étoit une image naïve
des difputes des philofophes.
Defcàrtes a porté le flambeau des fciences, &
il a_ été parmi nous ce que Socrate difoit qu’il
étoit à Athènes, l’accoucheur des efprits*
Defcàrtes avoit fait avec beaucoup d’induftrie
une machine automate pour prouver démonftra-
tivement que les bêtes n’ont point d’ame, & que
'ce ne font que des machines fort compofées qui
fe remuent à l’occafion des corps étrangers qui
les frappent, & leur communiquent une partie
de leur mouvement. C e philofophe ayant mis
cette machine fur un vaiffeau* le capitaine eut la
curiofité d’ouvrir la caifle dans laquelle, elle étoit
enfermée. Surpris des mouvemens qu’il remarqua
dans cette machine qui fe remuoit. comme fi. elle
eût été animée, il la j^tta dans la mer croyant
que c’étoit le diable.
Le chevalier Digby fameux philofophe an-
glois, ayant lû les écrits de Difcartes., réfolut de
paffer en Hollande pour le voir. Il l’alla trouver
dans fa folitude d’Egmond, & après avoir raifonné
long-temps devant lui fans fe faire connoître,
Defcàrtes qui avoit lû quelques-uns. de fes
ouvrages lui dit, qu’ il ne doutoit point qu’il ne
fût le célèbre Digby : & vous M. répliqua
Digby, fi vous n’étiez pas l’illuftre Defcar-
tes, vous ne me verriez pas venir exprès d’Angleterre
pour avoir le plaifir de vous voir} M.
Digby dit enfuite à ce philofophe qu’il feroit
mieux de s’appliquer à chercher les moyens de
prolonger la vie, que. de s’attacher aux fimples
fpéculations de la philofophie. Defcàrtes l’aflûia
qu’il avoit médité fur cette matière, & que de
rendre l’homme immortel, c’eft ce qu’il nofoit
fe promettre, mais qu’ il étoit bien fûr de pouvoir
rendre fa vie égale à'celle des patriarches. On
n’ignoroit pas en Hollande que Defcàrtes fb flat-
toit d’avoir fait cette découverte } & l’abbé Picot
fon difciple & fon,martyr, perfuadé qu’il avoit
trouvé ce grand fecret, ne vouloit point croire la
nôuveÙe de fa mort. Lorfqu’il ne lui fut plus permis
d’en douter, il s’écria : c’en eft fait, la fin,du
genre humain và venir.
Un grand feigneur voyant un jour Def-
cartes qui faifoit bonne chère, lui dit : Eh !
quoi les philofophes ufent-ils de ces friandifes ?
Et pourquoi non, lui répondit - il ? Vous imaginez
vous que la nature n’ait produit les bonnes
chofes que pour les ignorans ?
Dans_ un caffé de Paris un Cartéfien & un
Neutonien poufsèrent la difpute jufqu’à fe battre
} ebrrirrie', après qu’on les eut féparés, le
Neutonien fe plaignoit beaucoup des coups qu’il
avoir reçus : Vous devez les pardonner à votre
adverfaire, lui dit un plaifant} il a été déterminé
par une force fupérieure : l’attra&ion a
agi fur vous & fur lui , & , malheureufement
la fofee repouflante venant à manquer, vous
l’avez attire avec tant de violence, qu’il eft
venu vous heurter, & a enfilé une ligne droite
vers le centre, au lieu de décrire habilement
un cercle, corhme il I’auroit dû faire, fi la
fécondé direction ne lui eût pas malheureufement
manqué.
DESCARTES ( Catherine), morte en 1706.
Elle étoit nièce du Philofophe, & fe diftingua
par fon efprit & fes poéfîes. On a dit à l’occafion
de cette fille célèbre , que le génie du grand
René , fon oncle f étoit tombé çn quenouille.