
Ce fciwtt fe répandit bientôt dans Paris. Le
lendemain matin » l'abbé Tallemand l’aîné en apporta
une copie à madame Deshoulieres, qui la
reçut fans rien témoigner de la part qu'elle
avoir au fonnet , & el.e fut enfuite la première
a le moncrtr , comme le tenant de l'abbé Tal-
Iemand.
Les amis de Racine crurent que ce fonnet étoit
l'ouvrage de M. le duc de Nevers, l'un des protecteurs
de Pradon ; car pour Pradon lui-même ,
ils ne lui firent pas l'honneur de le foupçonner
d'en être l’auteur. Dans cette penfée, iis tournèrent^
ainfi ce fonnet contre M. de Nevers, fur
les mêmes rimes.
Dans un palais doré, Damon, jaloux & blême
Fait des vers où jamais perfonne n’entend rien.
Il n’eft ni courtifan , ni guerrier, ni chrétien,
Et fou vent pour rimer, il s’enferme lui-même.
La mufe par malheur le hait autant qu’il l'aime,
H a dun franc pôëte & l’air & le maintien,
Il veut juger de tout , & n’en juge pas b ien , ‘
Il a pour le Phébus une tendrefl’e extrême.
Une foeur vagabonde, aux crins plus noirs que
blonds,
Va dans toutes les cours offrir fes deux té tons,
Dont malgré fon pays, fbn frère .eft idolâtre.
U fe tue à rimer pour dès lt&eürs ingrats ,
L’Enéïde. eft pour lui -pis que la mort aux rats,
Et félon lu i, Pradon eft le roi du théâtre.
t On attribua a Racine & à Defpréaux , cette
réponfe trop fatyiique & trop maligne , puif-
qu'elle va jufqu’à attaquer les moeurs & la per-
fônne. Mais voyant que M. dé Nevers difoit partout
qu’il les faifoit chercher pour les faire affaf-
üner , ils la défavouèrent hautement. Sur quoi
M. le duç Henri Jules, fils du grand Condé,
leur dit: Si vous n’avez pas fait le fonnetvenez
à l'hôtel de Condé, où M. le prince faura bien
vous garantir de ces menaces-, puifqüe vous'êtes
innocens,& fi vous l’avez fait, venez aufliàrhôiel
de Condé, ou M. le prince vous prendra de
meme fous fa prote&ion, parce que le fonnet eft
très-plaifant & plein d’efprit ; îls„ ont affuré depuis
que ce fonnet avoit été fait pur le chevalier
dé. Nantouillet avec le comte.de Fiefqufe, le marquis
d’Effiat, M. de Guilieragues, & M. de Ma-
nicamp.
;M. de Nevers répliqua par cet autre fonnet
qui eft encore fur les mêmes rimes. -
Racine & Defpréaux, l’àirtr.ifte & le teint blême,
Viennent demander grâce & ne confefTent rien.
Il faut leur pardonner parce qu’on eft chrétien ;
Mais on fait ce qu’on dpit.au public, à foi-même.
Damon, pour l’intérêt de .cette foeur qu’il aime
Doit de ces fcélerats châtier lé maintien :
Car il feroit blâmé de tous les gens de b ien,
S’il ne punifl’oit pas leur infolence extrême.
Ce fut une furie aux crins plus noirs que blonds,
Qui leur prefla du pus de fes affreux tétons.
Ce fonnet qu’en fe cre t, leur cabale idolâtre.
Vous en ferez punis, fatyriques ingrats,
Non pas en trahïfon d’un fou de mort aux rats ;
Mais de coups de bâton donnés en plein théâtre.
Cette querelle fut enfin terminée par la' médiation
de quelques perfonnes du premier rang.
Au refte la Phedre de Racine, après avoir été
fur le point d'échouer, eut bientôt des applau-
diffemens univerfels ; pendant que celle de Pradon
tomba dans uta oubli dont ' elle n’a jamais pu fe
retirer.
On lit dans lès mélanges de Vigneiri Matville,
un conte fur Pradon, dont on croira ce qu’titï
voudra. Pradon ayant fait une pièce dé théâtre;
■ s’en alla le nez dans fon manteau avec un ami,
fe mêler dans la foule du parterre, afin de fe dérober
à la flatterie, & d’apprendreTui-rnêrne fans
être connu, ce que le public penfero.it de Ton
ouvrage- Dès le premier a£te , la pièce fut fîfflée.
Pradon / qui ne s’attençloit qu’à des louanges &
des exclamations, perdit d’ abord contenancè, &
frappoit fortement du pied. Son ami le voyant
troublé , le prit par le bras & lui dit : Monfieur,
tenez bon contre le revers de fortune ; & f i vous
m'en croyez,- fifflez hardiment1 comme les autres.,
Pradon revenu à lui-même;, & trouvant ce confeilà
Ton g o û tp r i t fon ' fifflet & fiftla des mieux. Un
moufqiietairé l’ayant pouffé rudement, lui dit en
colère, pourquoi fifflez-v«us , Monfieur ? La pièce
eft belle; fon auteur n’eft pas un fot : il fait fi'gure
& bruit à la cour. Pradon un peu trop chaud re-
pouffa le moufquetaire , & jura qu’il fifflerôit jul-
qu'au bout. Le moufquetaire prend le chapeau &
la perruque de Pradon, & les jetta jufques fur le
théâtre. Pradon donné un Touiflet au moufquetaire;
& celui-ci l’épée à la main tire deux lignes
en croix fur le vifage de Pradon 3 & veut letuer.
Enfin.Pradon fifflç & battu pour l ’amour de lui-
même , gagne la porte, & va fe faire panfer.
Pradon ctoit l ’homme du monde le moins inf-
truit. On prétend qu’un jour âüTortir d’une de
fes-tragédies,'le prince de C o n t i lu i ayant dit
qu’il avoit tranfporté en Europe une ville qui eft
en Afîe j je prie votre alteffe de m’excqfer, lui dit
Pradon ; car je ne fais pas. la chronologie.
Epigramtne
Epigmmmc fur fa pieu de Sùpion qu‘ fut jouée
en carême.
Dans fe pièce de Scipion,
Pradon fait voir ce capitaine,
Prêt à Te marier avec une africaine :
D'Annibal il Fait un poltron :
Ses héros font enfin fi différens d’eux-mêmes ,
Qu’un quidam les voyant plus mafqués qu'en un bal,
Dit que Pradon donnait au milieu du carême
Une pièce de carnaval.
Epitaphe de Pradon.
Cy-gft le poëte Pradon,
Qui durant quarante ans d’une ardeur fans pareille,
, F it à la barbe d’Apollon
Le même métier;que Corneille.
On a retenu les vers fui vans q uePradon fit en
réponfe à mademoiTtlle Bernard qu'il aimoit, 6t
dont il ne recevoit qufe des plaifaoteries :
Vous n’écrivez que pour écrire,
C’eft pour vous un amufement ;
'Moi; qui Vous aime tendrement ,
3e n’écris que pour vous le dire.
PRÉDICATEUR. On fe rappelle quelques
facéties d’un prédicateur , nommé le petit père
André. Un évêque Tavoit appelle le petit fallot;
pour s’en venger, ce religieux prêchant en pré-
fence de ce prélat, prit pour texte : Vos eftis\
lux mandi : Vous êtes, dit-il, monfeigneur,
en s’adreiTant à l’évêque, le grand fallot de Té-;
glife, nous ne fommes que de petits fallots.
Le même religieux prêchant devant un archevêque
s’apperçür que ce prélat dormoit; il!
s'avifa pour l'éveiller, de dire au fuiffe de l’é-
gli'fe : fermez les portes, le pafteur dort, les
brebis s'en iront; à qui annoncerai je la parole
de Dieu? cettejaill e caufa tant de rumeur dans
l’auditoire que -l’archevêque n’ eut plus envie de
dormir.
‘ On l’avoit chargé d'annoncer une quête pour
former la dot d’une demoifelle qui défiroit de
fe faire re'igieufe,.? il dit avant de commencer
Tm fermOiv; Meilleurs, on recommande à vos
charités, un- demoifelle qui n’a pas affe'z, de bien
pour faire voeu de pauvreté.
Ce prédicateur avoit prêché pendant tout le
carême dans une ville où perfonne ne l’avoir invité
à dîner. Il dit, dans Ton adieu : j’ai prêché
contre tous les vices excepté contre la bonne
chère, car je ne fais pas connsent l'on traite en
ce .pays -x i. -
En cyçlopêdiana.
Le petit père André devant prêcher le foir
dans une églife, le dimanche des rameaux,
un autre prêchant le matin, le prédicateur du
matin dit qu'il ne favoit pas pofitivement fi
c'étoit -fur un âne ou fur une âneffe que notre
feigneur étoit monté, mais qu'il laiffoit ces minuties
à difeuter au prédicateur du foir, qu’il vou-
loit railler par ce difeours.
Le petit père André ayant été averti de cetfe
turlupinade, dit étant en chaire : Comme le prédicateur
du matin a été embarraffé fur cette quef-
tion, favoir fi c'étoit fur une âneffe ou fur un âne
que notre feigneur fit fon entrée dans Jérufa-
lem, & qu’il me renvoie cette queftion pour
l’expliquer; on peut lui dire que c ’eft un âne.
Un jour que le P. André déciamoit contre la
galanterie des dames , il dit qu’il y en avoit une
dans l’auditoire , dont la débauche avoit éclaté,
& qu’il leur alloit montrer cette ma'heureufe
pour lui donner de la confufion de fon défor-
dre ; mais non, dit-il en fe reprenant, je ne la
nommerai pas, la charité chrétienne me le défend.
Cependant , continua-t’il , uferai-je de
ménagement avec le vice ? Non , meffieurs, mafs
accordons cette difficulté, & Tans vous nommer
-cette perfonn-é , je vais vous la faire connoîtfe
en lui jettant ma calotte. Et s’étant mis en état
de la jetter 5 la voilà, dit-il, la voilà, cette infâme.
Touies les femmes qui étoient aux environs
de la chaire baiffèrent la têre pour évirer
le coup de la calotte. Alors le* père André s’écria
: Bon dieu, je cfoyois.qu’ il n’y en.ayoit qu’une
en cette affemblée niais je vois que la confcience
de plufieurs leur fait craindre d’être reconnues.
Un évêque qui n’avoit jamais hfé monter en
chaire, défendit au petit père André de prêcher
dans fon diocèfe, & moi-, dit-il, je lui défens
de prêcher dans tout le royaume.
Le père Séraphin , dont la Bruyère fait l’éloge
comme d’ un prédicateur apoftolique, la première
fois qu’il prêcha devant Louis X I V , dit
à ce monarque : « Sire, je-n’ignore pas la coutume
qui. me preferit de vous faire un compliment;
mais je fupplie votre majefté de m’en-dif-
penfsr. J’ai cherché un cqmpliment dans l’écriture
fainte, & j’ai eu le malheur de n*y en point
trouver ».
On louoit ; dans une compagnie, des millionnaires
, quoiqu’ ils fuffent très ignorons, & Ion
difoit qu’ils pFechoient comme les apôtres : oui ,
répartit quelqu’un , ils prêchent commeies apôtres
avant qu’ils euffent reçu-)e famt-efprit.
Un moine prêchant à Paris, feignit d'être à
da porte du -paradis, où plufieurs perfonnes fe
F f f f f