
<$4^ F O L
En 176$ , un Ahglois, nommé Guillaume
Orrebow, fut condamné à mort avec quinze
autres coupables. La veille du jour de l'exécution,
il eut envie de voir fa femme, & de lui
faire fes adieux. Il avoir de l'argent : il fit venir
du v in , & invita le geôlier à boire avec lui.
Quand il l'eut à demi enivré, il lui expliqua fes
defîrs} lui demanda la permiffion de fortir pendant
deux heures, s'engageant à revenir aulfî-
t ô t , par les fermens les plus forts. Le geôlier,
échauffé par le vin, incapable de réfléchir, pénétré
de reconnoiffance pour celui qui l’avoit fl
bien régalé', ofa compter fur fa parole. Les portes
furent ouvertes. Orrebow vole chez fon
époufe, qui fut très - furprife de le voir , &
qui ne manqua pas de l'exhorter à profiter de
la cîrcohüance. Orrebow rappelle fa parole , &
attefte la fainteté du ferment. Tout ce qu'il fe
permet, c’eft de paffer la nuit avec elle. Le
geôlier ayant par le fommeil diffipé les illu-
fîons bacchiques, ne voyant pas revenir fon pri-
fonnier , étoit dans une inquiétude mortelle.
L ’heure de l'exécution approche. Les chariots
font arrivés. Il devoît y avoir feize criminels :
on n'en trouve plus que quinze. On le demande
au geôlier, qui raconte fa trille aventure. On
fe moque de fa confiance. L'affaire étant de con-
féquence, on le fait monter dans le chariot à la
place du coupable ; & l’on part, pour Tyburn. Orrebow s'étoit oublié dans les bras de fa femme.
II dormoit profondément. U fe réveille enfin,
s'informe de l’heure. Apprenant qu'il eft tard,
il fe hâte de s'habiller, court à la prifon. On
étoit déjà parti. Il prend le chemin de Tyburn,
rencontre enfin les chariots j s'approche, hors
d’haleine, de celui où eft le geôlier : h Def-
cendez lui dit-il > vous avez tenu ma place af-
fez long-tems : je viens" la reprendre. Si l'on
ne s’étoit pas tant preffé de partir, vous n'auriez
pas eu la peine de venir' jufqu’ici j & moi
je ne me ferois pas tant fatigué en courant pour
vous rejoindre, «c II mon te en difant ces mots ;
s’aflied , reprend haleine, remercie encore le
géolier, & fe plaint amèrement de ce qu'on l ’a
cru capable de manquer à fa parole. Quel que
fut fon crime, une bonne foi fi héroïque foili-
citoit puiffamment fa g r â c e & je fouffre de ne
pouvoir dire fi elle lui fut accordée.
Augufte ayant fait publier à fon de trompe,
qu'il donneront vingt-cinq mille écus à celui qui
prendroit Crocotas, chef des voleurs en Efpagne :
& lui-même fe préfentant à l’empereur, &Jui
demandant la fomme promife, il la lui fit payer,
& lui donna de plus fa grâce, afin qu'on ne pen-
fât point qu’ il lui voulût ôter la vie pour le
fruftrer du falaire promis , & que la foi & fûreté
publique fût gardée à celui qui venoit en juftîce.
FOLIE. De toutes les définitions de la filie>
F O N
celle de M. Bailli ne paroît pas la moins jufte.
La folle , dit-il, n’elt autre chofe que la tyrannie
des objets fur l'imagination.
Hypocrate preferit le fang d’ânon pour la folie,
& le manuel des dames prétend qu'on guérit la
folie en prenant la galle. « Voilà de plaifantes
» recettes , difoit M. de Voltaire, elles paroif-*
fent inventées par les malades ».
\ Une dame ayant rêvé qu'elle gagnoit un terne
à la loterie de France, fit part de ce fonge à
une de fes amies, qui lui confeilia de mettre à
la loterie & de prendre un terne, attendu, lui
dit-elle, qu'en dormant elle venoit peut-être
d'avoir une infpiration du ciel. Mais l'embarras
étoit de choifir des numéros. Tandis qu'elles flot-
toient dans l'incertitude, une autre dame furvint,
qui fut d'avis qu'il falla t aller cdnfulter un des ha-
bitans des petites maifons, c’eft-à-dire, un fo u ,
ces fortes de gens lui paroilfant infaillibles dans
leurs prédictions. La rêveufe crut devoir fuivre
ce fîngulier confeiL, & conta le motif qui l’eme-
noit au premier fou qu'elle rencontra. Cet hommes
après l'avoir attentivement écoutée , lui demande
du papier & un crayon * réfléchit un ïnftant s
écrit quelques chiffres fur un morceau de papier,
le roule & l'avale, & dit enfuite gravement
à la dame : « Si vous voulez revenir demains
» vos numéros feront fôrtis » . ~
FO NTAINE. (Jean de la) Poète françois, ne
à Château-Thiéry en 1621, mort à Paris en 169;,
âgé de 74 ans.
Ses fables où refpîrent le naturel, l’élégance
& les grâces, font entre les mains de tout le
monde j moins original dans fes contes, il a fu
cependant y faire paffer une piquante naïveté &
tout l’enjouement naturel aux françois. Ses autres
écrits »-fruits de fon inconftance & de fa légèreté,
ont été recuéillis en 1758, en 4 vol. in - ii. Il avoir
été reçu de l'académie françoife en 1684.
La Fontaine vécut dans une- forte d'apathie &
dans une indifférence décidée pour tout ce qui
fait l'objet de la' cupidité des hommes. Ce fyftême
de conduite auroit fait honneur à fa philofophie ,
fi la réflexion l’avoit formé} mais c'étoit en lui
un préfent de la nature. Il étoit né doux , facile,
fans fiel, incapable de haine, & exempt des,parlions
qui tyrannifent l'ame. Heureufe la fociété,
fi elle n’étoit compofée que d'hommes tels que
lui! on n’y yerroit ni troubles, ni divifions. Il
eft vrai qu’il n'y apportoit aucun agrément. Ceux
qui le voyoient fans le connoître, n'avoient d’autre
idée de lui que celle d'un homme affez mal propre
& fort ennuyeux. En effet, il parloit peu, & à
moins que l'on ne traitât quelque matière qui fût
de fon goût, il demeuroit dans un filence ftupide
que l'on auroit pris pour un indice d’imbécillité*
S'il vouloît rapporter une hifforiette, H la rap-
portoit mal, & cet auteur qui a écrit des contes
Il naïfs, fi enjoués, n’ intéreffoit. perfonne iorf-
qu’il racontoit quelque chofe. Il y a d’autres
exemples qui prouvent qu'avec beaucoup d'efprit
& de talens on peut n'avoir pas celui de la con-
verfation.
Un fermier général l’avoit invité chez lui à
dîner, dans la perfuafîon qu’un auteur dont tout
le monde admiroit les contes, ne pouvoit manquer
de faire les amufemens de la fociété. La Fontaine
mangea, ne parla point, & fe leva de fort
bonne heure fous prérexte de fe rendre à l'académie.
On lui repréfenta qu'il n'etoit pas encore
temps : je le fais bien, répondit-il , aujfi je prendrai
le plus long.
Quoique toutes fortes de liens fuffent contraires
tu goût de la Fontaine, il fe laiffa cependant
marier 5 mais il ne s'y détermina que par com-
plaifance pour feSvparens. On lui fit époufer Marie
Héricard, fille d'un lieutenant général de la
Ferté-Milon. Cette femme avoit de l ’efprit & de
Ja beauté} mais fon humeur difficile avoit éloigné
d elle fon mari, qui étoit venu à Paris vivre à
fa fantaifîe. Il l'avoit peut-être totalement Oubliée ;
lorsqu'on lui perfuada d'aller dans fa province
pour voir fa femme & fe reconcilier avec elle.
II part en conféquence de Paris dans la voiture
publique, arrive chez lui & demande fon époufe.
Le domeftique qui ne le connoiffoit pas, répond
que madame eft au falut. La Fontaine va tout de
fuite chez un ami, qui lui donne à foupér & à
coucher, & le'régale pendant deux jours. La voiture
publique eft prête de retourner à Paris, la
Fontaine s'y met & >ne fonge plus à fa femme.
Quand fes amis de Paris le virent arriver, ils lui
demandèrent des nouvelles de fon raccommodement.
T ai été pour voir ma femme, leur dit-il, mais
je ne l‘ai pas trouvée ; elle étoit au falut.
Jamais homme ne fut fi facile à croire ce qu'on
lui difoit : témoin fon aventure avec un capitaine
de dragons nommé Poignan. Cét officier fe
plaifoit dans la maifon de la Fontaine, & fur-tout
avec fa femme dont la fociété étoit pleine d'agré-
mens. Poignan n'étoit ni d’âge, ni d’hutneuf, ni
de figure à troubler le repos d'un mari. Cependant
on en fit de mauvais rapports à la Fontaine, &
on lui dit qu'il étoit déshonoré s 'il ne fe battoir
avec ce capitaine. Frappé de cette idée, il part
dès le grand matin, arrive chez fon homme,
l ’éveille, lui dit de s'habiller & de le fuivre.
Poignan qui ne favoit ce que tout cela fignifioit,'
fort avec lui. Ils arrivent dans un* endroit écarté,
hors^ de la ville: je veux me battre avec toi, on
me l'a confeillé, lui dit la Fontaine ; & après lui
en avoir expliqué le fujèt en peu de mots, il tire
fon epee fans attendre la réponfe de Poignan, qui I
de fon côté fe met en garde. Le combat ne fut
pas long. Poignan lui fit fauter du premier coup
i epee de la main. La Fontaine fut fatisfait. Poignan
le reconduifit chez lu i, où ils achevèrent, en
déjeunant, de s’entendre & de fe réconcilier.
La Fontaine eut un fils qu’il garda fort peu d«
temps auprès de lui. Il le rriit à l’âge de quatorze
ans entre les mains de M. de Harlay, depuis premier
préfident, & lui recommanda fon éducation
& fa fortune. On a rapporté que la Fontaine fe
rendit lin jour dans une maifon .où devoit venir
ce fils, qu’il n’àvoit pas vu depuis longtemps. Il
ne le reconnut point, & témoigna cependant à
la compagnie qu’ il lui trouvoit de l’efprit & du
goût. Quand on lui eut dit que c ’étoit fon fils,
il répondit tranquillement : Ah ! j en fuis bien
aife.
Une autre anecdote au fujet de la Fontaine,
pourra encore fervir à prouver que tout homme
qui fe confacre par goûta l’étude -, vit en quelque
forte ifolé au milieu du monde. De-là ces réponfes
naïves & inattendues qui, fi fouvent, fourniffent
aux gens médiocres des prétextes de ridîculifer le
génie. La .Fontaine avoir reçu un billet pour fe
trouver aux obfèques d’une perfonne de fa con-
noifiance. Quelques temps après, il arriva pour
dîner chez cette même perfonne; le portier lui dit
que fon maître étoit mort depuis huit jours : À k y
répondit-il , je ne croyois pas q u il y eût f i long-
temps <
Rabelais , que Defpréaux appelait la raifort
habillée en mafque ? fut toujours l’idole de la Fontaine.
G’ étôit le feul auteur qu’il admiroit fans ré-
ferye. II étoit un jour chez Defpréaux avec Racine ,
Boileau le doéteur, & plufieurs autres perfonnes
d'un mérite diftingué. On y parla beaucoup de
Saint Auguftin & de fes ouvrages. La Fontaine
ne prenoit aucune part à la conv ention, & garn
i t le filence le plus morne & le plus ftupide en
apparence. Enfin il fe réveilla comme d'un profond
fommeil, & demanda d'un grand férieux à l’abbé
Boileau, s’il croyoit que Saint Auguftin eût plus
d efprit que ce Rabelais fi naïf & fi amufaot ? Le
doéteur l’ayant regardé depuis les pieds jufqti’à
la tete, lui dit pour toute réponfe : Prenez garde9
M. de la Fontaine, Vous ave4^ mis un de vos bas
a £ envers; ce qui étoit vrai.
M. Racîneje mena dans la femaine fainte â
ténèbres, & s’appercevantque l’office lui paroiffoiç
long, il lift donna pour l’occuper un volume de
la bible qui contenoit les petits prophètes. II lut
la prière yies juifs dans Baruch , & ne pouvant fe
laffer de l’admirer, il difoit à Racine : « c’étoit ua
33 beau génie que Baruch : qui étoit-il? » Le lendemain
& plufieurs jours fuivans, lorsqu'il req-
controit dans la rue quelque perfonne de fe cou