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C e fut en partie à l’inftigation de m belle du?
chelfe de Longueville , que le duc de la Rochefoucauld
encra dans les querelles de la fronde. Il
fe fignala dans cette guerre 3 & fur-tout au combat
de Saint-Antoine. Appercevant un jour un
portrait de la princefle de Longueville , il écrivit
au bas ces deux vers tirés de la tragédie d’Al-
cyouée.
Pour mériter fon coeur, pour plaire à fes beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux rois ; je l’aurois faite aux dieux.
L ’auteur des maximes ne fut point. de l’académie
françoife. L’obligation de haranguer publiquement
le jour qu’il auroit été reçu , fut le
feul obftacle qui l’éloigna de cette académie. Le
duc de la Rochefoucauld, avec tout le courage
qu’il avoit montré dans plufieurs occalîons des
plus vives, & avec toute la fupériorité que fa
naiffance & fon efprit lui donnoient fur des hommes
ordinaires, ne fe croyoit pas capable de fou-
tenir la vue d’un auditoire 3 & de prononcer feulement
quatre lignes en public, fans éprouver une
forte de défaillance.
R O H A N , Ç Henri, duc d e , ) mort des blef-
fures qu’il avoit reçues à la bataille de Rhinfeld,
le 15 avril 1638.
Le duc de Rohan que les proteftans avoient mis
à leur tête, fut un des plus grand» capitaines de
fon fiècle.
Voltaire a dit de lui :
Avec tous les talens le ciel 1’aYoic fait naître.
Il agit en héros, en fage il écrivit ;
XI fu t même grand homme en combattant fon maître»
Et plus grand lorfqu’il le fexvit.
Henri I V , fous les yeux duquel le duc de Rohan
commença fes premières campagnes ,• aima ce
feigneur avec tendreffe ; & ce qui fait le plus bel
éloge de cet homme illuftre, c ’eft qu’il conferva
toujours une eftime fingulière pour notre bon ,
pour notre grand Henri .* «e certes, difoit-il quelquefois
après la mort de ce prince, quand j’ y
penfe, le coeur me fend : un coup de.pique donné
en fa préfence, m’edt plus contenté que de gagner
maintenant une bataille. J’eufife bien plus eftimé une
louange de lu i, en ce métier dont il étoit le premier
maître de fon temps, que toutes celles de
tous les capitaines qui relient vivans »..
Rohan, devenu après la mort de ce monarque ,
chef descalviniftes en France, & chefjauffi redoutable
par fon génie que par fon épée', foutint au
nom de ce parti trois guerres contre Louis XIII.
L i première, terminée à l’avantage des proteftans,
s’alluma lorfque ce prince voulut »établir la
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religion romaine dans le Béarn ; la fécondé, a
i’occafïon du blocus que le cardinal de Richelieu
mit devant la Rochelle 5 & la troifieme, lorfque
cette place fut afliégée pour la fécondé fois.
Le duc de Rohan s’appercevant , après la prife
de cette place, que les villes dé fon parti cher-
chorent à faire des accommodemens particuliers
avec la cour,réulfit à leur procurer une paix générale
, à des. conditions plus avantageufes. Le feul
facrifice un peu conlidérable que les huguenots fe
virent obligés de faire, fut celui de leurs fortifications,
ce qui les mit hors d'état de recommencer
la guerre. Quelques.cfprits chagrins, mécon-
tens de voir tomber lèüus fortereffes, acculèrent
leur général de les avoir vendus & trahis. Ce
grand homme, indigné d’une fi odieufe ingratitude,
pre'fenta (on féjn découvert à ces enragés ,
en leur difant : « frappez , frappez; je veux bien
mourir de votre main , après avoir mille fois ha-
fardé ma vie pour votre feryiee ».
La paix de 1629 ayant éteint le feu delà guerre
civile, le duc de Rohan inutile à fon parti & dé-
fagréable à la cour, fe retira à Venife. Il y a une
anecdote affez (îngulière tirée des mémoires de la
duchdfe de Rohan, Marguerite de Béthune, fille
4 e l’i lullre Sully. Le duc de Rohan étant à Venife,
il lui fut propofé, « qu’en donnant deux
cens mille écus à la Porte , & en payant un tribut
annuel de virrgt mille écus, le.grand feigneur lui
céderoit le royaume de Chypre , & lui en don-
nèroit l’inveftiture ». Le duc de Rohan avoit def-
fein d’achtter cette Ifle pour y établir les familles
proteftantes de France & d'Allemagne. Il négocia
chaudement cette affaire à la Porte par l’entremife
du patriarche Cyrille, avec lequel il avoit de
grandes correfpondances ; mais différentes cir-
conflances, & particulièrement la mort de ce patriarche
, la firent manquer.
Quoique ce feigneur ait toujours eû les armes à
la main, il a néanmoins laiffédes mémoires & plu-
fîeurs écrits très-propres à former de bons militaires.
Dans fon Parfait Capitaine 3 il fait voir
que la tactique des anciens peut fournir beaucoup
de lumières pour la taélique des modernes.
On ne remarquoit dans cet homme illuûre ni ambition
, ni hauteur, ni vue d’intérêt. Il avoit
coutume de dire que, «« la gloire & l’amour du
bien public ne campent jamais , où l’intérêt particulier
commande ».
ROI. Le pouvoir-des premiers rois de la Grece
étoit extrêmement limité. Leur titre fe réduifoit
prefque à une forte de prééminence fur les autres
citoyens de l’état. Leurs prérogatives confiftoient
à anembler le peuple, chacun dans leur diÛrîél.
Ils opinoient les premiers, écoutoient les plaintes,
& jugeoîent les différends qui furvenoient entre
leurs fujets 5 41s commandoient les troupes en
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«Bips de guerre, & avoient la fuprême inteo- 1
dance de la religion ; ils préfidoient aux facrifices ,
aux jeux & aux combats facrés ; ils fuifo.ent la
fonâion de facrificateurs. Les grecs étoient fi intimement
convaincus que le fouverain facerdocé
ne pouvoit être exercé que par les rois , que même
dans les villes qui changèrent le gouvernement monarchique
en républicain, celui qui préfidoitaux
myftères & aux affaires de la religion A vo it le titre
de roi, & fa femme celui de reine. Il en étoit de
même chez les romains ; malgré leur averfion pour
le nom de roi, il y avoit à Rome un roi des facrifices.
O rois ! craignez les plaintes des malheureux ;
elles pénètrent lescieux, elles changent la face des
empires ; il ne faut qu’un foupir de l'innocence
opprimée pour remuer le monde;
Un jeune roi, à fon avènement au trône, avoit
trouvé destréfojs immenfes dans les coffres de fon
père; la main de la magnificence s’ouvrit, & les
richeffes.du prince fe répandirent fur Ton peuple.
Un courtifan en fit des reproches au prince : fi
l’ennemi venoit fur vos frontières, quels moyens,
auriez-vous de lui réfîfter, après avoir diftribué
Votre argent à vos fujets l Alors, répondit le
roi, je le redemanderai à mes amis.
Je m’aflis un jour, dit le fage Sadi, à la porte
d’une mofquée de Damas, & auprès du tombeau
du prophète Jean : que la paix foit avec lui : un
roi d’Arabie, fameux par fes cruautés & fes in-
jullices , vint faire fa prière au tombeau du prophète.
Ainfi, tout ce qui efl homme, dans quelque
rang qu’il foit placé, quelque foit fa fortune ,
a toujours des grâces à demander à Dieq. Ce roi
me regarda, & me dit : prie pour moi, & puiffent
tes prières me faire obtenir les fecours dont j’ai
befoin : la crainte d’un ennemi puïifant agite mon
ame. Je lui répondis : fais gsace au foible, foulage
le pauvre, rends la juftice à tous, & tu ne
craindras point d’ennemis. Vois-tu venir le jour
de la juftice divine ? le vois-tu ? O fils d’Adam !
la nature vous crie que vous êtes tous les membres
d’un même corps.
Un roi dePerfe avoit'étendu la main d’ iniquité
fur les biens de fes fujets; il leur marquoit du
mépris, & il les tènoit dans un cruel efclavage. Impatiens
d’un joug fi humiliant & fi rude, la plupart
abandonnèrent leur patrie, & cherchèrent
afyle 'chez l’étranger. Les revenus du prince diminuèrent
avec le nombre de fes fujets ; il fe
trouva bientôt fan$ défenfeurs ,* fes voifins en
profitèrent, & il fut détrôné. Un roi doit nourrir
fon peuple de fa propre fubftance; pirce qu’il
tient fon royaume de fon peuple. Tout citoyen ell
foldat fous un roi jufte.
Un jeune roi de Perle s’abandonnoit à la difîi-
pation & à tous les pla firs que lui préparoient les
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courtifan». Un jour il chantoit dans un feftin ce$
paroles. « Je joaiffois du moment qui eft pafle x
je jouis encore du moment qui pafle, & je commence
à jouir de celui qui luccède ; content &
tranquille, l’efpérance d’aucun bien, la crainte
d’aucun mal, ne me donnent d’ inquiétude. « Un
pauvre, alfis fous la fenêtre de la fille du feftin,
entendit le roi ,& lui cria : fi tues fans inquiétude,
pour ton fort, n’en as-tu jamais pour le noire ?Le
roi fut touché de ce difeours ; il s’approcha de
la fe. être , regarda quelque temps le pauvre avec
attention, & fans lui parler, lui fit donner un«
fomtne conlidérable. 11 fortit enfuite de la falle
du feftin, en fartant des réflexionrfur fa vie pafiee :
elle avoit été oppofée a tous fes devoirs ; il en eui
honte : il prit en main les rênes du gouvernement,
qu’il avoit jusqu’alors abandonnées à fes favoris.
On le vit travailler afliduement, & en peu de
temps, il rétablit l’ordre & le bonheur dans l’empire.
Depuis qu’il éto’t occupé de l’adnfniftratiou
de fes états, on lui faifoit fouvent des plaintes de
la licence & du défordre dans lefquels vivoit le
pauvre qu’ il avoit enrichi. Enfin , il le vit un jour
à la porte du palais : il étoit couvert de lambeaux,
& il revenoit demander l’aumône. Le roi le montrant
à un des figes de fa cour, lui dit : vois-ru
les effets de la bonté ? Tu m’as vu combler cet
homme de richeffes, vois-tu quel en eft le fruit !
Mes bienfaits ont corrompu ce pauvre ; ifs ont
été pour lui une foùrce de nouveaux vices &
d’ ûne nouvelle mifère. Cela eft v ra i, lui répondit
le fage, parce que tu as donné à la pauvreté ce
que tu ne devais donner qu’au travail. ( Extrait
du premier chapitre de Sadi, intitulé : Des moeurs
des rois.)
Oramgzeb , qui eft mort empereur des mogoîs
en 170 7, fortoit d’une longue maladie, & tra-
vailloit plus que fa foiblefle ne pouvoit lui permettre.
Un miniltre lui repréfenta combien cet
excès de travail lui étoit dangereux, & quelles
fuites il pouvoit avoir. Oramgzeb lui lança un
regard méprifant & indigné; & fe tournant vers
les autres courtifans, il leur dit ces mots, où
refpire toute la hauteur de fon ame. « N ’avouez-
vous pas qu’il y a des circonftances où un roi
doit hafarder la vie , & périr les armes à la
main, s’il le faut, pour la défenfe de la patrie
? Et ce vil flatteur ne veut pas que je con-
facre mes veilles au bonheur de mes fujets. Croit-
il donc que j’ignore que la divinité ne m’a conduit
fur le trône que pour la félicité de tant de
millions d’hommes qivelle m’a fournis ? Non ,
non, Oramgzeb n’oubliera jamais le vers de Sadi:
Rois , cejfe% d'être rois, ou régné^ par vous-mêmes.
Hélas! la grandeur & la profpérité ne nous tendent
déjà que trop de pièges ! Malheureux que nous
fommes ! tout nous entraîne à la mollefTe ; les femmes
par leurs carcffes, les plaifiis par leqrs attraits.
Faudra-t-il que des mimilres élèvent encore