
TURLUPINADE. C e mot vient de turlupin, .
farceur célèbre qui faifoit rire le peuple pat de
tauffes pointes, & par de plaifantes équivoques.
Les gens de goût rejettent ces plaifanteries , c'eft
pour eux une efpèçe de faufle monnôie à laquelle
les mauvais plaifans effayent envain de donner
cours.
Il étoit un temps que les turlupinai.es régnaient
à la cour de France.
Toutefois à la cour les turlupins relièrent.
Boileau.
Le roi des turlupins étoit M. d'Armagnac. Ce
feigneur fe trouvant un jour avec M. le duc Henri
Jules , depuis prince de Con d é , il lui demanda
pourquoi on d.foit guet-à-pens y & non
pas guet-à-d’inde. Par la même railon, répondit
le prince, qu'on ne dit pas: Moniteur d’Àr-
magnac ell un turluchefne } mais un turlupin.
Voilà fans doute l’origine ou la filiation des
calambourgs qui ont eu, de notre temps, tant
de cours dans certaines fociétés.
Le mare'chal de * jl * nVtoit pas en état défaire
fes preuves pour être cordon bleu, il lui manquoit
un degré. Le roi témoigna à M. d'Armagnac qu'il
avoit peine à furmonter cet obfiacle. Bon ! dit ce
feigneur, vous pouvez bien , lire, faire fauter un
degré au maréchal de * * * puisqu'il y en a à
qui votre majefté fait franchir l'efcalier entier.
Ménage contoit volontiers la turlupinade
fui vante,
Trivelin monté fur un beau cheval d’Efpagne
bien harnaché, fe laiffe gagner par le fommeil. A
peine ett-il defcendu de cheval, qu'il fe jette au
pied d'un arbre & s'endort, après avoir eu néanmoins
la précaution d'engager la bride autour de
fon bras. Des voleurs furviennent, dégagent
adroitement le cheval qu'ils emmènent, & laif-
fent la bride au dormeur, Trivelin s'étant éveillé
& ne trouvant plus fon cheval, fe tâtoit en di-
fant tou je fuis Trivelin, ou je ne le fuis point-
Si je fuis Trivelin, que je fuis malheureux ! car
j'ai perdu un beau cheval, mais fi je ne fuis pas
Trivelin, que je fuis heureux ! car j'ai gagné une
belle bride. Il s’arrête à ce dernier fentiment &
fe livre aux plus doux transports de la joie.
Un homme, dont le nez étoit fort casnard,
étant venu à éternuer en préfence d'un , turlupin
j celui-ci le falua & ajouta : Dieu vous con-
ferve la vue. Celui qui venoit d'éternuer, furpris de
ce voe u ? lui demanda pourquoi il le faifoit?
Parce ,- répondit le railleur, que votre nez n'eû
pas propre à porter des lunettes.
Des dames très-agées demandoient à M. d’Au-
bigné, qu’elles trouvèrent dans une des falles
du vieux louvre, ce qu'il faifoit,là. Vous voyez
mesdames, en les regardant, que j’ admire des
antiquités. '
Le commandeur Forbin de Janfon, étant a
un repas avec le célèbre Boileau, entreprit de
le turlupiner fur (on nom. Quel nom, dit-il
portez vous là ? Boileau ÿ j'aimerois mieux m appel
1er Boivin. Ce poète lui répondit fur le
même ton : & vous> monfieur, quel nom avez
vous choifi ? Janfon ; je préférerois d'être nommé
Jeanfarine j la farine ne vaut-elle pas mieux
que le fon ?
On doit mettre au rang des turlupins, ceux
qui plaifantent fur les défauts que la nature a
donnés. Un confeiller borgne étoit en difpute
avec un de fes confrères qui étoit boiteux. Ils
prirent pour juge un de leurs amis, qui, pour
les afiurer de fon intégrité, leur dit ce proverbe :
je ne fuis pour le borgne ni pour le boiteux.
Le même eonfçiiler borgne, voulant décider
feul une contellation épineufe, un autre efpèce
de turlupin lui dit 5 croyez moi, empruntez les
lumières d'un de vos confrères, deux yeux valent
mieux qu'un.
T Y R A N . Un religieux, dit le poere Sadi,
étoit refpe&é dans Bagdad pour fa piété, & le
peuple & les grands avoient confiance en lui.
Hofchas Jofeph, tyran de Bagdad, vint le
trouver, & lui dit : Prie Dieu pour moi. O Dieu!
: s'écrie'le religieux, en élevant les mains au ciel,
! ôte de la terre Hofchas Jofeph. Malheureux ! tu
| me maudis, lui dit le tyran. — Je demande au
ciel, répondit le religieux, la plus grande grâce
qu’il puiffe accorder à ton peuple & à toi.
Damoclès, l’un des familiers deDenys le Tyran,
lui ayant dit, lorfqu'il étoit en la plus grande
fplendeur de fon état, qu’il étoit très-heureux :
Veux-tu, dit le tyran, que je te falfe jouir de
! mon bonheur un jour feulement? Ce que Damo-
; clés lui ayant accordé, il lé fit fervir à table comme
il avoit accoutumé d'être, avec toutes les i fomptuofités & magnificences dont il fe put avi-
fer j mais il fit cependant mettre une épée pendant
à plomb fur fa tête, attachée au plancher
d'en-haut à un feul poil de queue de cheval. Ce.
que Damoclès ayant apperçu, fut fort content de
faire fon dîner court, & de paffer le refte du jour
en fon premier état. Voilà, lui dit alors Denys,
N comment notre vie eft heureufe’, qui avec nos
; fatellites armés, ne dépend que d'un filet.
Polybe raconte que Nabis, tyran de Lacédémone,
avoit une machine qui étoit l'image d'une
femme parée de riches habits 5 elle marchoit &
agifloit dès qu’on avoit fait jouer un reffbrt ; elle
reffembloit à la femme du tyran. Quand il avoit
befoin d'argent, il faifoit venir dans fon palais
les plus riches de Sparte, & leur expofoit fa 1
fnuation-, & les'prioit de lui prêter de l’argent.
S’il ne les perfuaaoit pas, il leur difoit : je n'ai
point le talent de la parole, je n’ai pu vous gagner
i mais voici une belle dame qui aura plus
d'éloquence que moij il faifoit approcher l’automate
qui embraffoit ceux qu'il vouloit tourmente
r , elle les ftrroit & piquoic tellement par les
pointes dont fes bras étoient hériffés, qu'ils im~
ploroient la miféricorde du tyran, & lui accor-
doient ce qu'il leur avoit demandé j alors Ja machine
lâchoit prife, & le tyran faifoit des remer-
cîmens fort honnêtes.
Néron donna aux miniftrés de fa tyrannie, en
quinze ans qu’il régna, la valeur de cinquante-
cinq millions d'écus couronnés, & fit bâtir un
palais doré fuperbe, qui oecupoit une grande
partie de Rome : ce monument fut détruit après
fa mort, en haine de la mémoire d'un tel tyran.
■ Après qu'OlivierCromwel eut ufurpé l'autorité
fouveraine, & que le jeune Charles eut abandonné
l'Angleterre, un gentilhomme auroit beaucoup
rifqué de fortir du royaume fans en avoir obtenu
la permiffion du protecteur, qui redoutoit les cabaies
des nobles. Ceux-ci crurent que le plus sûr
pour eux étoit de lui faire leur cour.
Un jeune feigneur, entièrement dévoué aux
intérêts de Charles, étant venu.lui faire la révérence
, le protecteur lui d it, avec fon fang-froid
ordinaire : je vous fais gré de votre vifite i venez
me voir le plus fouvent que vous pourrez , mais
point de commerce avec Charles Stuard. Je vous
jure fur mon honneur, reprit le jeune homme,
que je ne le vois point.
Etant revenu peu de temps après, Cromwell
lui arracha fon chapeau des mains, & en ayant
détaché la coëffe avec un couteau, il trouva dedans
plufieurs lettres adreflees aux amis de Charles.
Quelle honte ! s’écria Oliyier ; eft-ce ainfi que
les gentilhommes anglois relpeCtent l'honneur ? Ne
m'avez vous pas promis de ne point voir Charles
Stuard ? Je ne l'ai point v u , lui dit le gentilhomme.
— Voilà qui elt bien , reprit Cromwell >
mais, qui a- foufflé la bougie? elt-ce vous ou
Charles ? —— Il y a toute apparence que Crom-
( well avoit un efpion auprès de lu i, qui lui apprit
que le roi avoit éteint les lumières , quand le
jeune lord l'avoit été voir depuis la défenfe de
Cromwell.