
ne lui étoient pas inférieures en mérite, 8c que
l’une d'elles la fuipaffoit en beauté. Henri étoit
aulfi difficile fur l'examen de la figure des femmes,
que fi Ton coeur eût été fufceptible d’une paffion
délicate > il ne s’en rapportoit fur cet article im
portant, ni à ce qu’on lui en difoit, ni même
aux portraits qu’on lui en pouvoit procurer : il
pria donc François d’accepter une conférence avec
lui à Calais , fous prétexte d’affaires > & d’amener
à fa fuite les deux princefles de Guife, & les
plus belles femmes de fa cour, pour qu’il pût
choifir fon époufe entr’ elles. Mais la galanterie de
François fut bleffée de cette propofîtion 5 il fe
piquoit de trop d’égards pour le beau fexe, pour
conduire ainfi des femmes de qualité comme
des chevaux au marché, que le caprice des marchands
y choifît, ou y rejette, félon qu’ils lui
conviennent ou lui déplaifent. Henri perfiftoit
toujours dans fa propofition , & François I ,
malgré le defir de vivre en bonne intelligence
avec ce prince, fe crut a h fin obligé de refafer
nettement.
Henri tourna alors fes vues du côté de l'Allemagne
pour y contra&er quelqu’alliance. On lui
propofa Anne de Clèves, fille du duc de ce nom.
Un portrait flatté de cette princeffe, fait par
Holbein, détermina Henri à la demander à fon
père. Après quelques négociations, ce.mariage,
malgré les oppofîtions de l’éleéteur de Saxe, fut
à la fin conclu, & la princeffe conduite en Angle- j
terre. Le roi, impatient de voir fa nouvelle époufe, i
fe rendit myftérieufement à Rochefter. Il la trouva
en effet d’une taille auffi haute & auffi épaiffe
qu’ il le fouhaitoit; mais totalement dépourvue de
grâces & de beauté, & très-différente des portraits
qu’ il en a voit reçus. Il fut confterné à fon
afpeét, & protefta qu’elle ne pourroit jamais lui
infpirer qu’un fentiment défagréable. Il l’époufa
néanmoins : mais fon dégoût ne fit qu’augmenter;
8c ce prince , mcajfoble de fe contraindre, fe ré-
fo lu t, au bout de fix mois, de donner à fes
peuples le fpe&acle d’un nouveau divorce. La
raifon qu’il donna à fon clergé , étoit qu’en épou- ?
fant Anne de C lè v e s , il n’avoit pas donné un
confentement intérieur â fon mariage- Le fynode,
obligé de fe contenter de ce prétexte vain &
puérile, parce que le roi ne pouvoit en donner
d’autres, prononça la fenrence de féparation,
qui fut confirmée par le parlement. La reine con-
fentit à tout ce que l’on exigeoit d’elle, & reprit
le titre de princeffe de Clèves. Cette princeffe
avoît beaucoup de (implicite & de naïveté dans le
caractère. Le roi ne l’avoit jamais regardée comme
fa femme ; fa folie néanmoins étoit de fe prér
tendre toujours groffe. La compeffe de Rochefort
£c deux autres de fes dames, s’entretenant uri
jour devant elle de fa groffeffe prétendue , la
bonne reine leur dit : « Quand le roi & moi
v fûmes couchés, il me prit la main 8c me donna
» un baifer, en me difant : bonne nuit, mojf
» petit coeur ; & dès qu’il fut réveillé, il m’eni-
» braffi| de nouveau, & me die : adieu, ma
» mignonne ; & cela ne fuffit-il pas bien, ajouta-
' » t-elie naïvement » ? ( Walpole ).
Henri époufa une cinquième femme, Catherine
Howard, l’une de fes fujetes. O n l’accufa auprès
du roi d’avoir eu des amans avant fon mariage,
& de' mener encore une vie Iicencieufe depuis
que ce prince l’avoit affociée à fon lit. Cette
dernière accufition n’étoit pas prouvée, & Catherine
protefta toujours de fon innocence à cet
égard ; mais elle avoua qu’ elle n’avoit pas vécu
fans reproches avant fon mariage. Les deux
chambres du parlement, le vengeur ordinaire de
Henri y a^aot teçu la confeffion de cette reine,
commencèrent par préfenrer une adreffe au roi,
qui^ contenoit plufieurs articles finguliets. Elles
invitoient fur-tout fa majefté à ne fe point affliger
d’un accident défagréable, auquel tous les hotr.1?
mes étoient fujets ; à confidérer la fragilité de la
nature humaine, ainfi que la viciflitude des chofes
de ce monde, & à tirer de ce coup d’oeil philo-
fophique un moyen de confolation. Catherine
Howard n’en porta pas moins fa tête fur un
échafaud.
Après k condamnation de cette reine.infortunée,
le parlement déclara que toute fille qui j
n’étant pas vierge, auroit la hardieffe d’époufer
le roi, feroit déclarée criminelle de lèfe majefté.
Là-deffus , on difoit que déformais il faudroit que
le roi n’époufat que des veuves. C ’eft ce qu’il fît
effectivement, & il plaça fur le trône Catherine
Parre, veuve du baron de Latimer.,Cette fixième
femme de Henri, & qui avoit fouvent l’imprudence
d’être d’un fentiment différent de fon époux
fur les matières de religion, auroit fubi infailliblement
le fort d’Anne de Boulen & de Catherine
Howard, fi ce prince nefût mort au commencement;
de l’année 1547.
Il y a un trait rapporté par Collin dans fa
Po'èfie angloife y qui peut fervir à faire voir jufqu’à
quel point Henri V I I I avoit porté le defpotifme.
Ce prince exigeoit un knpôt de trois shellings
par livre fur tout propriétaire' au moins de cinquante
livres de rente. Les commur.es faifoient de
grandes difficultés d’accorder le fubfide demandé ;
Henri envoya auffi-tôt chercher Edouard de Montagne
, un des membres qui avoient le -plus de
crédit dans .cette chambre.-Montagne v in t,
eut la mortification d’entendre fon maître lui tenir
ce difeours : Ho l’homme ! ils ne veulent donc pas
laiffer pajfer mon bill ? Et mettant alors fa main
fur la tête de Montagne, qui l’écoutoit un genoux
en terre t Que mon bill foit paffé demain matin y
continua le roi, ou autrement votre tète fera, coupée»
Et le jour d’après, le bill paffa.
n e n
Le Cardinal de W o lfe y , premier miniftre de
Henri, tâchant d’effrayer les citoyens de Londres
pour les réfoudre à un emprunt général fait en
1525, leur déclara nettement « qu’il valoit mieux
» que quelques-uns d’entr’etax foivffrifient l’indi-
» gence que de laiffer manquer le roi dans le
» moment préfent ; & qu’ils priffent garde à ne
»- faire aucune réfiftance, ~ni aucun murmure ,
» fans quoi il en pourroit coûter quelques têtes ».
Tel étoit le ftyle du roi 8c de fes miniftres. -
Un jour qu’Henri V I I I , roi d’Angleterre, étoit
à chiffer dans la forêt de Windfcr , il s’égara
probablement’à deffein. Vers l’heure de dîner,
il fe rabattit fur le village de Reading. Là, dé-
guifé fous l’uniforme d’un de fes gardes à pied,
vêtement affez bien afforti à Ta haute taille & à
fa figure ruftique, il Te rendit à l’abbaye , & fut
admis à l’honneur de manger à la table de l’abbé.
N e dérogeant point à l’habit qu’il portoit, il fe
jetta avidement fur une langue de boeuf qu’on
lui fervjt « Grand bien* vous faffe , dit l’abbé
» en lui verfant rafade ; voici pour boire avec
» moi à la fanté du roi, notre maître. Je donne-
» rois volontiers cent livres fterling, à condition
» de pouvoir manger du boeuf d’auffi bon appétit
» que vous. Hélas ! mon eftomac foible & déjà
beat digère à peine,une aîle de poulet ou
» une cuiffe de Iapreau », Le,roi but paiement,
8c. après l’avoir remercié de fa bonne chere, partit
fans fe faire connoître.
Quelques femaines après, l'abbé reçut un
meffage de la part du roi , fut conduit à Londres,
gardé étroitement, & nourri pendant plufieurs
jours au pain & à l’eau.
L’inquietude 8c les foupçons agîtoient fon ef-
prit. Il fongeoit en lui-même comment il avoit
pu encourir la difgrace de fon maître. Un jour
enfin on lui fervit une langue de boe u f, dont il
mangea comme auroit fait ün de Tes fermiers,
vérifiant le proverbe anglois, qui dit que deux
repas affamés font un gourmand du troifième. Tout-
à-coup le roi fortit d’un petit cabinet où il s’étoit
caché, 8c où il avoit été fp&tateur invifible de
fa conduite : « Milord, lui dit-il, payez fur le
» champ vos cent livres fterlings en or , linon
»» vous relierez ici jufqu’à la fin de vos jours. J ’ai
» été votre médecin ; j’ ai guéri votre eftomac
«> de fa foibleffe, 8c je vous demande mon falaire
'•» comme l ’ayant bien mérité».
L ’abbé, tout joyeux d’en être quitte à fi bon
marché, dépofa h Comme, retourna à Réading,
où l’on dit toutefois qu’il murmura en lui-même
delà févérité du régime du doéteur couronné, &
de la cherté de fes honoraires.
L’Angleterre peut fe vanter d’avoir été gouvernée
par un prince auquel aucun fouverain de
H Ê R f i l ,
la chrétienté n’a jamais dû être comparé : c’eft
Henri V I I I , l’aureur du fameuxTchifme dans ls
' feizième fiècle. Parmi les vi&imes faenfiées aux
pafiïons de ce moderne Néron , on compte deux
reines , fes époufes , deux cardinaux , trois archevêques
, dix-huit évêques, treize abbés, cinq
cents, tant prieurs 8c moines, que prêtres, quatorze
archidiacres, foixante chanoines, cinquante
doélelus., douze, tant ducs, que marquis 8c comtes
avec leurs enfans, vingt-neuf barons 8c chevaliers
, trois cents trente-cinq nobles moins difiin-
gués, cent vingt-quatre citoyens, 8c cent dix
femmes de condition.
HÉRENNIUS. Lesfamnites,ces infatiguabîes
ennemis de lapuiffance romaine , avoient enfei nié
les légions de la république dans un défilé, 8c ils
délibéroient entr’eux de la manière dont ils ufe-
roient de leur fortune. Hérennius, vieillard que
fon âge 8c fa profonde fageffe rend oient vénérable
, leur confeilla de laiffer aller les- romains en
liberté, fans leur faire aucun mal ; mais cet avis
fut auffi-tôt rejetté. Le lendemain, on le con-
fulta encore fur le même fujet. : «e 1} faut les maf-
» facrer tous fans exception», répondit-il. Les
famnites, étonnés de la prodigieufe différence
qu’il y avoit entre ces deux avis, lui en demandèrent
la raifon. « Il faut, dit Hérennius , vous
; » attacher les romains par un bienfait infigne &
» important, ou les affoibiir entièrement par une
» perte irréparable ». Les famnites ne le crurent
pas : ils voulurent prendre un milieu, & firent paffer
les romains fous le joug ; mais ils s’apperçurene
bïen-tôt que cet affront n’ avoit fait qu’ irriter le
courage de ces guerriers redoutables, 8c quelque
temps après, ils éprouvèrent à leur tour l'igno-
. minie dont ils avoient couvert les troupes ennemies.
HERMITE. Un certain frère Jean, hermite
de Lorraine, ayant appris quë Jefus-Chtift avoit
été quarante jours fans prendre nourrirure , le
bon homme réfolut de l’imiter au pied de la lettre.
Pour cet effet, il alla fe blottir dans le coeur
d’un vieux chêne de la forêt voifîne de fa retraite,
au pied duquel étoit une fontaine. On affure
qu’effeélivement il y paffa un carême tout entier
fans autre aliment que de la belle eau claire, qu’il
buvott à longs traits, pour empêcher fes entrailles
de fe rétrécir.
Au bout de quarante jours Tanachorette, fe
croyant confirmé en grâce, quitte fa caverne, retourne
au village, va fe placer dans le confef-
fionnal de l’églife paroiffiale , 8c invite les pa-
roffiens à s'approcher de lui pour recevoir l’abfo-
lution de leurs péchés. Le curé du lieu ne Cachant
'ce que cela fignifioit, 8t ne devinant point que
le prétendu confeffeur étoit devenu fou,envoya
fon maître d’école pour le tirer du confelfionnaL