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cafque, parce qu’il lui caufoit une grande douleur
à l’oreille. On lui fou,tint obftinément que
cela ne pouvoir pas être ; & fans infiiler davantage
, il partit pour le lieu où le danger & la
gloire l’appelloienr. A fon retour , il jette fort
cafque & fon oreille , & dit à fes ferviteurs avec
douceur : ne vous difois-je pas que mon cafque
étoit mal mis ? Un gentilhomme cfpagnol, devant
qui on contoit ce trait fngulier, avoua que s’ il
eut été Dom Lopès, il eue coupé les oreilles
à ces deux coquins. Ç ’eûc été , lui répondit quelqu’un
, vendre la fienne à vi! prix5 au lieu d’a cheter
, comme Dom Lopès, toutes les langues
de la renommée qui célébreront à jamais fa modération.
On donnoit à l'hôtel de Bourgogne , une ef-
pèce de farce très-b -uffone, où l’on taxoit Henri
IV de penchant à l’avarice : ii la vit & en rit
beaucoup. Les financiers qui y jouoient un rôle
ne prirent pas Ja chofe fi plaTamment ; on mit
les farceurs en prifon ; mais Henri l’ayant fu les
en fit fortir le jour même , en traitant de fots
ceux qui s’étoient fa chés : apparemment, dît-il 3
j’y fuis plus intérelfé qu’eux , mais je leur par-
donne de bon coeur ; je ne faurois me fâcher
contre des gens qui m’ont diverti & m’ont fait
rire jufques aux larmes.
Agéfilis fe trouvant à une fête publique , y
fi-: admirer fa modération & fa retenue : le maître j
des cérémonies lui donna une place peu honorable. ,
Agé filas , quoique déjà déclaré r o i, ne fit au- j
cune difficulté de l’accepter , il fe contenta de
dire : « Je vais montrer aux fpeélateurs que ce
ne font pas les places qui honorent les hommes 3
mais les hommes qui honorent les places.
Le vicomte de Turenne a fait connoître dans
plus d’une occafion jufqu’ où alloit fa fageffe &
fa modération.
M. de Turenne étant fur le point d’attaquer
les lignes des ennemis qui affiégcoient la ville d’Arras
, n’avoit point les outils qui lui étoient né-
ceflfaîres. I! en envoya demander par un de fes
gardes au maréchal de la Ferté. Le garde vint
bientôt après, dire que M de la Ferté ne.les
avoit pas feulement refufés, mais encore qu’il:
avoit accompagné fon-refus de paroles fort dé-
fobîigeantes pour M. de Turenne. Le vicomte
fe tournant alors vers les officiers qui fe trou-
voient auprès de lu i , fe contenta de dire : « puif-
qu’il eft fi en colère, il faut fe paffer de fes our !
tifs, & faire comme fi nous leÿ avions ».
Le même maréchal ayant trouvé un autre garde
du vicomte de Turenne hors du camp , lui demanda
ce qu’il faifoit, & fans attendre fa réponfe,
il s’avança fur lu i, & le chargea à coup de canne.
Le malheureux vint fe préfenrer tout en fang à
fon maître, exagérant fort les mauvais traitemens
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qu’il avoit reçus. Lé vicomte fe;gnant de s’èi
prendre au garde même : « Il faut, lui dit il,
que vous fayez un bien méchant homme, paur
l’avoir obligé à vous.traiter de la forte ».x
Ayant envoyé chercher le lieutenant de Ls
gardes, il lui ordonna de mener fur-le-champ le
même garde au .maréchal de la Ferté, de lui ..dire ,
qu’il lui faif. it exeufe de ce que cet homme lui
avoir manqué de refgeél J & qu’il le remettoit
entre fes mains , pour en faire telle punition qu’il
lui plairoic. Cette modération étonna toute l’armée.
Le maréchal de la Ferté, furpris lui-même, s’écria
avec une èfpcce de jurement qui lui étoit
allez ordinaire':« Cet homme fera-t-il toujours
fage, & moi toujours fou ?
Ménage, le Vadius des femmes favantes, alla
voir madame de Rambouillet après la première
r epréfentation de cette pièce. « Eh! quoi, lui dit
cette dar?e , fonfrrirez-vous, monfieur, q^e cet
impertinent de Molière nous joue de la forte » ?
« Madame, répondit Ménage avec une modération
qui l’honore plus que le titre de bel efprit dont
ii ctoit fi avide, « madame , j’ai vu la pièce ;
elle eft parfaitement belle, Sc on n’y peut rien
trouver à redire , ni à critiquer ».
■ MODES. A ne regarder les femmes que par-
devant , dit Juvenal, elles ont la belle taille d’An-
dromaque ; fi vous les regardez par derrière, c’eft
tout autre chofe :
Andromachen à ftonte ridebis;
Pojî'minor eji.
En forte que, ajoute ce même poète, â pre^
fer les dimenfions , & à détacher ce qui eft pré-
ciféinent d’elles, depuis leur coëffure altière jufi-
qn’ à leurs patins ; ce n’ cft tout au p’us que la
taille d’une Pigmée, qui a befoin même de fa
Iégéreté pour s’élever jufqu’au cou de fon amant :
Et levis ereSd tonfurgit ad ofeula plantâ.
Dans le fîècle préfent, on pourroit en dirç
autant de nos parifiennes, & de tout temps il
a fallu , pour l’ornement de la tête des femmes ,
joindre l ’art à la dextérité.
Jeanr Juvenal des Urfins , qui vivoit fous le règne
de Charles V I , dit que les, dames & de-
moifelles de fon temps faifoient de grands excès
pour leurs cheveux, & porroient des cornes mtr-
veilleufement hautes & larges. Un carme de la
province de Bretagne, appelle Thomas Corette,
célèbre par fon auftérité de v ie , 8e par fes prédications
, décl'amoic de toute fa force contre
ces coëffures. Par-tous où frère Thomas alloit,
ces coëffures qu’on nommoit des Hennins, n’o-
foient paroître, chofe qui profita pour quelque
temps , dît Paradin , Annall. de Bourgogne. Mais
lorfque ce prêcheur fut parti, alors les dames
relevèrent leurs cornes, & firent comme les limaçons,
leiqtiels, quand i.s entendent quoique bru.t,
retirent tout bellement leurs cornes ; mais le bruit
paffé ils les-relèvent plus .grandes que devant :
àinfi firent les dames -, car les hennins & atours
ne furent jamais plus grands , plus pompeux &
plus fupe:bes qu’après le frère Thomas.
Ces hennins ont reparu depuis en France, fous
le nom de fontanges, c’écoic une efpèce d’édifice
à plufieurs écag.-s faits de fil-de-fer, fur lequel
on plaçoi.t différons morceaux de toile fêparée
par des rubans ornés de boucles de cheveux qui
le couvroient touf-à-fait ; & tout cela étoit dif-
tingué par des noms fi bizarres & fi ridicules ,
qu’on auroit bcfoin d’ft.i glofTaire, pourpouvoir
expliquer les ufages de ces différentes pièces, &
pour favoir l’endroit où on les plaçoit.
En effet, qui pourra favoir un jour ce que
c’étoit que la duchtjfe 3 le fo l itaire , le ckou , le
moufquetaire , le croijfant, le firmament, le dixième
ciel & la Souris ? Notre poltérité .& nos neveux
croiront peut être qu’ il falloit un ferrurier pour
coëffer les darnes du dix-huitième fiècle, & pour
dreffer la b Te de ce ridicule édifice, & cette
pal.ffade d,* fer’, fur laquelle s’attachoient tant
de pièces différentes.
L’abus en auroit été pouffe plus loin en France,
fi nous n’ avions trouvé dans l’inconftanee de nos
modes, l’extinélion de celle-ci, & le remède à
tant de déréglemens, quoiqu’il nous en relie encore
beaucoup. M. Henrion , célèbre médailliffe ,
a trouvé, en confrontant les médailles qu’ on a
fait revivre , en moins de quarante années, toutes
les différentes coëffures qui avoient été inventées
par l’antiquité durant plufieurs fiècles.
Ce n’eft pas que les anciens fuffent moins inventifs
que nous , c’eft que nous fomnaes plus j
extravagans que les anciens.
On a écrit il y a long-temps , le bon mot d’un
fou qui alloit tout nud par les rues, portant
une pièce d’écoffe fur fon épaule. Quand on lui
demandait pourquoi il ne s’habilloit pas puifqu’il
avoit du drap : « c ’ eft , répondoit-iî, que j ’àt-
tends, pour voir à quoi fe termineront les modes,
parce que je ne veux pas employer du drap à un
habit, qui, dans peu, ne me ferviroit plus, à
caufe de quelque nouvelle mode ». Cette plai-
fanterie eft dans un livré italien , imprimé il y
a plus de cent ans. Depuis ce temps, le mouvement
rapide des modes a fi fort augmenté , que
ce qu’on a raconté alors comme u'he extravagance
plaifante d’un fou , pourroit paffer à préfent pour
Une mdre réflexion d’un homme fenfé.
Qui croiroit qu’il y a eu un fiècle , & même
plufieurs, dans lefquels on louoît, comme une
perfection des femmes , d’avoir Ls deux four-
cils joints enfemble. C e fait eft attefté par Anacréon
, qui vante ces agrérnens dans fa majti effe ;
par Théocrite, Pétrone , & plufieurs autres anciens.
Ovide allure que de fon temps les femmes
fe peigno'enr lentre-rleux des fourcils, pour qu’ils
parufftnt fe. tenir l’un à l’autre. C ’ eft encore l’ u-
fage parmi les grecques & les perfanes. •
Il y a eu un temps que les groffes jambes aux
hommes étoient à la mode3 depuis on les a exigé
décharnées.} de forte que., pour plaire, il falloit
que d’hydropiques elles deyinffent étiques.
Jufqu’ à quel point d’extravagance la mode ne
porte-t-clle pas la tyrannie ? Il y a telles époques
où elle a influé fur la famé; il n’étoi.t pas
alors féant d’en jouir, fi l’on ne vouloir être confondu
avec les gens greffiers. Dans d’autres temps ,
les vapeurs étoient en vogue ; ii étoit du bon air
d’en être excédé.
Qui peut, fans rire de pitié, remarquer que,
de nos jours, les femmes.paroiffoient des ciIsn—
dres furmontés d’une pyramide à plufieurs étages,
qui leur fervoit de coëffure, qu’elles ont
peu-à-peu diminué de hauteur, pour fe mettre
un bandeau tel qu’on a peint l’amour ? C e paf-
fige énorme de la hauteur à la petiteffe s’eft f^it
en peu de temps. A combien de fantaifies les cheveux
des femmes ne font-ils pas fujets? Tantôt
hauts , tantôt courts, frifés & plats, poudrés,
teints, parfumés, en cadenette,en vergette. Ils
ont fubi toutes les métamorphofes pofîibles ; 8c
cependant nos antiquaires*, qu’on nomme médail-
liftes, ont trouvé dans les médailles , que les anciennes
impératrices avoient les mêmes manières
de s’habiller & de fe coëffer que les dames d’aujourd’hui,
qui les regardent comme très-nouvelles.
Un étranger qui s’arrête en France, .dit un
auteur étranger lui-même, eft furpris des chan-
gemens continuels que la mode introduit dans
les habillemens. Il croit voir des gens qui ef-
faient toute forte d’habits , fans pouvoir en trouver
un qui leur convienne , & enfin fans qu’il y
en ait un qui 11e leur convienne pas. Toutes les
fois qu’ils paffVnt à une mode nouvelle, ils af-
furent fort férieufernent, & prouvent par bonnes
raifons , qu’elle fîed mieux ou qu’ elle eft plus
commode que celle qu’ ils viennent de quitter,
& on croiroit prefque qu’il en eft quelque chofe;
cependant au bout de cent changemens, tous,
à ce qu’ils prétendent, de bien en mieux > on
les voit revenir aux anciennes modes ; c’eû-à-dire,
après bien dés mpuvemens; ils fe trouvent à l’endroit
d’ou ils étoient partis.
Dans le douzième fiècle & les trois fuivans ,
les françois étoient habillés d’une efpèce de fou-.