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tp&jr.e choie , le François répondit bonnement
qu il croyoit que la bête la plus lourde étoit un
Eléphant. Hé bien , dit fièrement le Vénitien s
apprenez moniteur l'Eléphant , qu'on ne heurte
point", un noble Vénitien.
; Comme les gondoliers Vénitiens paffent la
;p.us grande partie de leur vie prefque en
:tete à tête avec la nobleffe , les plus honnêtes
citadins , & les étrangers de diftinétion , qui
tpus les jours abordent- à Vénife , ils fournif-
-fent fouvent -à la converfation par des plaisanteries
' on leur permet même, en ce genre,
des l.bertés j en voici un exemple. Les rues de
Vénife font éclairées , la nuit par de très-petites
lanternes , : fufpendues comme celles qui éclairent
les rues de Paris, Un.noble, paffant dans
une rue où .un gondolier: étoit occupé à en fuf-
pendre une r lui dit de la tenir plus haute : elle
l'çft affez,,-.répliqué le -gondolier, pour les cornes
de nous autres } toutefois , fi votre excellence la .
juge trqp baffe , je la .relèverai- L'excellence paffa,
Ôfc s'empnaffa de régaler fes amis du mot du gondolier.
j Obferynfions fur VItalie*
■ - Le même obfervateur rapporte que ces gondoliers
ont le privilège exclufif dont jouiffoit
M- de Roquelaure à lanceur de Louis XIV. On
leur fait honneur de tous les bons mots, dont des
raifons de decence ou. de politique, ne permettent
pas aux véritables pères de fe déclarer : tel
étoit celui que l’on citoit, lors de l'exaltation
d'un Pape. Depuis la rupture; éclatante entre 1
la république & Benoit X IV , ce pape n'avoit
donné le chapeau à aucun Vénitien : nous avons
été long-temps fans chapeau, faifoit-on dire à
im gondolier : Ma kabbiamo adejfo i l çapelliere.
V E N T R ILO Q U E , eft un homme qui eft
fuppofe' parler du ventre, & non de la bouche
comme à l'ordinaire ; mais fi l’on fait quelques
ebfervations , on fe convaincra que l'art du Ventriloque
eft dû à un jeu particulier des mufclês
du larynx ou du gofier, jeu que tout homme
bien orgauifé , pourra acquérir par un exercice1
confiant & foutenu , joint à une volonté opiniâtre
& bien déterminée d’y plier fes organes.
Saint-Gilles, épicier à Saint-Germain en Laye ,
a porté fort loin l’art du ventriloque. Il fe pro-
menoît un jour avec un vieux militaire, qui mai-
choit toujours tête levée , & avec de grands
écarts de poitrine. Il ne parloir & il ne falloir
jamais parler avec lui que de. batailles, de mar,
ches , de. garn ifon sd e combats finguliers Sec.
Pour réprimer un peu cette fureur alîbmmante
de parler toujours de fon métier, Saint-Gilles
s’avifa de lui fervir un plat du lien. Arrivés
à un endroit -de la forêt affez découvert,
le militaire crut entendre qu’on lui crioit du
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haut d un arbre : on ne fait pas toujours fe fervir
de U épée quon porte. Qur eft cet impertinent?
apparemment, dit Saint - Gilles, quelque pâtre
qui déniche des oifeaux : paffons notre chemin :
c eft un drôle, reprit le militaire en branlant la
tête avec un vifage dur & réfrogné. Approche,
repartit la voix qui defeendoit le long de l'arbre,
tu as peur. Oh ! pour cela non, dit le militaire,
enfonçant fon chapeau fur fa tête & fe difpofanc
à l’attaque. Qu’allez-vous faire, dit Saint-Gilles
en le retenant ! on fe moquera de vous. La bonne
contenance nefi pas toujours figne de courage , continua
la voix toujours en defeendant. Ce n'eft pas là
un pâtre, Saint-Gilles ? Je le ferai bientôt repentir
de fes impertinences : Témoin Hettor fuyant
devant Achille , cria la voix du bas de l'arbrei
alors, le militaire, tirant fon épée, vint l'enfoncer
à bras raccourci , dans un buifibn qui
étoit au pied. Il en fortit un lapin, qui fe mit
à courir à toutes jambes. Voila Hettor lui cria
Saint-Gilles, avec fa voix ordinaire, & vous êtes
Achille. Cette phifanterie défarma & confondit
!e militaire. Il demanda à St.-Gilles ce que tout
cela fignifioit. Deux chofes, lui dit-il, la première
qu'avant de former une attaque, il faut bien
favoir a qui Ion a affaire ; la fécondé, que vous
venez de faire là une a&ion de Dom Quichote.
St.-Gilles lui avoua enfuire qu’il avoir deux voix
qui faifoient de lui deux perfonnes ; une à l'ordinaire
avec laquelle il lui parloit aduellement,
, & une autre qui l'éloignoit de lui-même à une
grande diftance , & dont il s etoit Ervi dans
toute la fcène dont ils venoient d’être les acteurs
l’un & l’autre. Il lui fit remarquer en même
temps que cette voix fortoit de lui-même, malgré
la grande diftance d’où elle paroiffoit Venir.
Le militàfte s'en rappella le timbre* & convint
que cétoit une illufîon où il eût toujours demeuré
fans la bonne foi de Saint-Gilles.
Le baron de Mengen, Ventriloque de la première
claffe, qui faifoit, il y a quelques années
fa réfidence à Vienne en Autriche , a penfé
faire tourner bien des têtes avec le talent qu'il
avoir de varier & de multiplier en quelquè forte
fa voix. Ce baron, qui fervoit en qualité de lieutenant
colonel fous les ordres du feu prince de
-Deux-Ponts , général au fervice de l’impératrice ,
reine de Hongrie , voulut un jour amufer ce
prince par une fcène que fon art pour contrefaire
toutes fortes de voix lui avoit fait imaginer.
Il tira de fa poche une petite figure ou
efpèce de poupée avec laquelle il fe mit à con-
verfer affez vivement à-peu-près en ces termes :
Juademoifelle y il me revient de vous des■ nouvelles
très-peu fatisfai fautes. —- Monfieur , la calomnie
eft aifée. —- Ne vous écarte^ pas du droit chemin./.
Je vous y ferais rentrer par des voies défagréables.
-r- Mopûeur, il eftaifé d'y rentrer quand on n'en
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fort pas.-—- . Vous êtes une petite coquette, vàus
agace£ les hommes tant que vous pouve%. — Monfieur,
quand on a un grain dé beauté , on eft
expofé à l’envie & à la perféçution. — Vous
faites la petite raifonneufe ? — Monfieur, il n’eft
pas toujours permis d'attaquer, il l’eft toujours
de fe défendre. — Taifeç-vous : fur ces mots
il l'enferme dans fa poche. Alors la poupée s'agite
& murmure : voilà comme les hommes font
faits, continue-t-elle, parce qu’ils font les plus
forts, ils s'imaginent qu'atitoriéé eft juftice. Un
officier Irlandois qui fe trouvoit là, fe perfuada
fi bien que la Poupée étoit un animal dreffé à
ce manège par le baron de Mengen, qu'il fe jetta
brufquement fur la poche où elle étoit pour en
.découvrir la vérité. Alors la petite figure fe Tentant
preffée outre mefure, fe mit à crier au recours.,
comme fi on l'eût étouffée & elle ne
cefta fes cris effrayans, qu'au moment qu'on eut
lâché prife. Alors , pour conva;ncre l'officier •
qu’ il avoit bien donné dans le panneau, monfieur
le baron de Mengen lui laiffa tirer de fa
poche une petite figure revêtue d'un manteau,
fous lequel il n’y avoit que du bois. Tous les
yeux des fpeélateurs étoient fixés fur le vifage
de monfieur le baron de Mengen : néanmoins .
ils n'apperçurent aucun mouvement pendant les
réponfes de la poupée, & la voix bien articulée
paroiffoit uniquement procéder de la petite figure.
'Ce qui ajoutoit finguliérement au merveilleux de
la chofe, c'elt que la réponfe, fuivant le témoignage'
de ces meilleurs , heurtoit, ou du moins .
fembloit heurter quelquefois la queftion ou le
reproche. Comme il arrive dans les conteftations
animées,. ou la réponfe commence, quand l’ob-
je&ion dure encore.
On-divertit un jour monfieur le cardinal de
Richelieu 2ux dépens d’un evêque qui étoit
!avec lui.. Après que le gentilhomme qui le de- '
voit faire lui en eut demmdé la permiffion ,
il fe mit auprès du lit & nomma le nom de
l’évêque avec| la gorge feulement, fans remuer
les lèvres , C il y a plufieurs perfonnes qui fa-
vent faire cela , & il femble que la voix que
l ’on entend vienne de bien loin): l'évêque qui
étoit près du feu avec monfieur le cardinal, fut
étonné de s'entendre appelle'r ; il ne put s’empêcher
xie le faire connoître à fon Eminence :
mais comme cette voix n’avoit pas continué, il
fe. remit de Ta furprife : ce ne fut pas pour
long-temps, le lutin avoir réfolu de lui faire
pièce} il l’appella une fécondé fois. Je demande
pardon à. votre Eminence , dit l'évêque, mais
il faut que je parle- à mon père qui m'appelle};
il eft mort depuis quelques jours , il a peut-
être. quelque chofe à m'ordonner. V o y e z ,; demandez
- lui ce qu'il veut, dit monfieur le cardinal
, l'évêque fe jettant à genoux avec fon chapelet
à la main, auquel pendoient plufieurs me-
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dailfes d'or $ parlez , dit-il , mon cher père ,
voulez : vous m'ordonner quelque chofe. C 'e lt
pour ton fa lut-, dit i'efprit prétendu , que je
te viens parler, attache-toi plutôt à convertir
les hérétiques, qu’à demeurer à la cour} commence
par celui qui eft appuyé contre ce lit ,
& lui jette ton chapelet au cou. L ’évêque fe
leve tout tremblant, s'approche du gentilhomme
qui lui faifoit la pièce, l'exhorte à fe convertir,
lui dit pour cela quantité de bonnes chofts ,
& cherchoit un temps favorable pour lui jetter
fon chapelet au cou. Ce n'étoit pas le deffein
du gentilhomme que de l’en empêcher, c’étoit
fon deffein au contraire de profiter des médaillés
d'or. Enfin l’évêque prit fon temps, & lui aya'nt
paffé ce chapelet, vous ne pouvez plus, dit-
il , vous en défendre. Hélas non, Monfeigneur ,
répond le gentilhomme , je fuis tout converti
préfentement.
VERITE. La Vérité fuît l'oreille des rois &
la bouche des courtifans’ : elle eft fouvent un
breuvage amer, mais il eft toujours: falutaire
quand l’amitié l'apprête, & quand la franchife
le préfënte.
Jufqu'à quel point doit-on tromper un ignorant
pour lui faire recevoir une Vérité? C ’eft
ce que nous n'entreprendrons point de fixer. Un
Dominicain de Rome damnoit un étranger, parce
qu'il foutenoit que la terre tournoit autour du
foleil. Vous ne fongez donc plus , lui difoit le
Dominicain , que Jofué. arrêta le Soleil ? Eh 1
mon révérend P è re , répondit l’étranger , c'eft
auffi depuis ce temps là que le Soleil eft immobile.
Un jeune prince très-puiffant régnoit dans les
Indes} il étoit d'une fierté qui pouvoir devenir
funefte à fes fujêts & à lui-même. On effaya
en vain de lui représenter queTamour des fujets
eft toute la force & toute la puiffance du fôu-
verain. Ces fages remontrances ne Servirent qu'à,
faire périr leurs auteurs dans les tourmens. Un
bramine ou philofophe, dans le deffein de lui
inculquer cette vérité, fans toutefois s'expofer
au même péril, imagina le jeu des échecs, où
le ro i, quoique la plus importante de toutes les
pièces , eft impuiffant, pour attaquer & même
pour fe défendre contre fes ennemis,, fans.le
fecours de fes fujets & de fes foldats.;, Le monarque
étoit né avec beaucoup d'efprit 5 il fe
fit lui-même l'application de cette leçon utile,
changea de conduite, & par-là prévint les malheurs
qui le menaçoient. La reconnoiffance du
jeune prince lui fit laiffer au bramine le -choix
d é jà récompenfe. Celui-ci demanda autant de
grains de bled qu'en pourreit produire le nombre.
des cafés de l'échiquier, en doublant toujours
depuis la première jufqu'à la foixante-qua-
trièmej ce qui lui fut .accordé fur le champ, &