
qui étoit à la comédie , voulant un jour badiner
fcaramouche à ce fujet , prit une paire de petites
cornes de chevreuil , 8c la jetta aux pieds de Taç-
reur 3 en lui difant qù'il rdmaflatfes cornes. Sca-
ramouche les' prit, & après s'être tâté le ftont,
il les rejetta au petit-maître, en lui criant: « Monfieur,
j’ai mes cornes, il faut que celles-ci foient
*> les vôtres ». ■
Louis X I V , au retour de lachaffe, étoit venu !
dans une efpèce dC incognito., Voir la comédie ita-;-
lienne qui. fe donnoic au château. Dominique y
jouoit. Malgré le jeu de cet excellent arlequin, la
pièce parut infipide* Le roi lui dit en forçant : Dominique,
voilà une mauvaife pièce. Dites cela tout
bas, je vous prie, lui répondit ce comédien,
parce que fi le roi le favoit, 41 me congédieroît
avec ma troupe. Cette réponfe, faite fur'lè champ;
fit admirer la préfënce d’efprit de Dominique.
C e même aôteur, fe trouvant au Toupet du roi,
avoit les yeux fixés fur un certain plat de per^
drix. C e priiace., quî s'en apperçut, dit à l'officier
qui defiervoit : Que Ton donne ce plat à Dominique.
Q uoi, lire 1 8c les perdrix auffi ? Le ro i,
qui entra dân$ la penfée de .Dominique1; - reprit :
Et, les perdrix auffi. Ainfi Dominique, par cette
demande adroite , eut;, avec les perdrix, le plat
qui étoit d'or.
' C e fut en-faveur de Dominique que le p@ète
Santeuil, chanoine de Saint-Viélor, fit cette épigraphe
fi connue, 8c que les italiens-ont mile fur
lèur toile :
• Cajiigat ridendo mores. . . ,
Dominique ; pour obtenir’ cette épigraphe de
Santeuil, dont l'humeur étoit brufque & difficile,
crut devoir ufer de fon art. Un jour ayant pris
fon habit de théâtre, avec fon petit chapeau 8c
Ton fabre de boisT, il s'enveloppa d'un long manteau',
8c àlla frapper à la porte de la chambre de
Santeuil. C e lu i-c i ne répond point. Dominique
recommencé. Ah ! quand tu ferôisie diable, s'écrie
Santeuil, entré fi tu veux. Dominique ouvre
àuffitôt la porte, jette fon manteau, 8c f e .met
à courir autour de cette chambre, en faifant:
mille lazis 8c différentes poftures de cara&èrês.'
Santeuil , furpris de cette incartade -, arrête briif-:
quément le ’ comédien, 8c le ferrant dé près , je
veux que tu me difes qui tu es. —■ Je fuis, répénd
Dominique, 'le Santeuil de la comédie italienne.
— Et moi, répond le poète; qui le reconnut à
Texpreffion originale de fes attitudes, tu vois l'Arlequin
de Saint-Viéfor. 11 fe mit auffi-tôt à répondre
aux lingeries de Taéteur par des grimaces
8c des contorfions , 8ç la farce finit par s’embraf-
fer. C e fut c e moment de verve 8c de bonne }
humeur que Dominique feifit pour obtenir ce qu’il
vouloir.
Quelques-uns prétendent que Je nom t f a r l e - ]
q u in , donné à Dominique 8c à ceux qui remplif-
feiit ces memes rôles dans les comédies italiennes,
doit fon origine à un jeune aéteur italien , qui
vint à Paris fous le règne de Henri III. Comme
ce comédien étoit accueilli dans la maifon du prés
e n t Achilles de Harlai, fes camarades l’appe-
lerent karlequino 3 félon4 'ufage des Italiens , qui
donnent fouvent le nom des maîtres aux valets^
8c celui des patrons aux clients. Mais § comme
on 1 a remarqué, lé nom- d’-Jîarlçquinus fe trouve
dans une lettre de Raulin , imprimée en i j i i ,
8c dans d'autres écrits antérieurs au règne de
Henri III. &
La troupe desvcomédiens italiens s'étant ingérée,
par la fuite, dé donner des pièces françoifes,
les comédiens françois s'en plaignirent au roi, qui
manda les italiens, afin qu'ils plaidaffent : leur;
caufe en préfence de leurs adverfaires. Baron ,
au nom de la troupe frariçoife, parla le premier.
Lorfqu'il eut fini, le roi fit figue à Dominique *
arlequin de l'ancien théâtre , de parler à fon tour.
Cet aéteur 3 après avoir fait quelques poftures
.dans fon caractère, dit au roi : « Quelle langue
i *> votre majefté veut-elle que je pacte ? » Parle,
t comme tu voudras lui dit lé roi'. « Je n'en de-
” mande pas davantage, répondit Dominique en
35 remerciant le monarque, ma caufe eft gagnée »,
Le roi fourit de la furprife qui lui avoit été faite,
8c les italiens conti tuèrent de jouer des pièces-
françoifes.
Les comédiens italiens^ quoiqu'aimés du public,
fe virent quelquefois obligés d'ufer de ftratagême
pour fo procurer des fpeéfateurs. En 173 y , ils
- donnèrent unt comédie en un a£te , ornée de chant,
de danfe , intitulée : Le conte des fées. On avoit
mis exprès dans la piècè un rôle de géant, qui
fut reprefenté par un finlandois âgé de vingt-neuf
■ ans, haut de fi-x pieds huit pouces huit lignes ,
; mefure de France , exactement 'prife fans fouliers,.
J 8c- très-bien proportionné d'ailleurs : il. étoit le
j fêpti'èmê ■ fie onze 'en-fans , 8e pefoit 4 ( 0 livres. *
: Cette fîngularité attira tout Paris à la pièce nou-,
’ velle.
Lorfqu'en 1755 / on' donna fur le théâtre ita-
- lieny Brioché, parodiefie Taéte’de Pigmalion, cette
pièce n'eut aucun füçcès, 8c n'étoit pas fâite
pour réuffir. Quelqu'un ayant demande 4 l’auteur
pourquoi il Tavoit rifquée au théâtre. « Il y '
» a fi long-temps, dit-il, que tout Paris m'ennuie
» en détail, que j'ai faifi cette occafion pour
» raffembler tout le monde 8c prendre ma re-
» yanche en gros ». On "rapporte qu'il Ta prife
effeétivemerit avec ufure.
Les italiens jornttent^aujourd'hui du privilège
qu’avoit autrefois l’opéra comique : ils nous donnent
des intermèdes, où le poète 8c le mufieien
concourent à faire un fpeélacle délicieux qui fer
tisfait également le goût 8c Tefprit des amateurs
8c des connoiffeurs. ,
Première comédie en Suède. C e fut fous
le roi Jean II qu'on joua pour la première fois la
comédie dans le royaume de Suède$ mais quelle
comédie ! Telle 8c plus barbare encore qu'elle le
fut trois fiècles après dans le refte de l'Europe.
La paffion de Jéfus-Chrift fut le premier fpeftacle
qu'on donna aux Suédois. L ’aéteur qui jouoit Je
rôle ordinaire de Longis, voulant feindre de
percer avec fa lance le côté du crucifix, ne fe
contenta pas d’une fimple fiétion, mais, emporté
par la-chaleur de Taôtion , enfonça réellement- le
fer de fa lance dans le côté du malheureux qui
étoit fur la croix. Celui-ci tomba mort, 8c écrafa*
fous fon poids, t l'actrice qui jouoit le rôle de
Marie. Jean II, indigné de la brutalité de Longis
& des deux morts qu’il voyoit, s’élance fur lu i,
8c lui coupe la tête d'un coup de cimeterre. Les
fpe&ateurs, qui avoient plus goûté Longis que le
refte des a&eurs 3 fe fâchèrent fi fort de la févé-
riré du roi, qu'ils fe jettèrent fur lu i, 8c , fans
forcir de la falle, lui tranchèrent la tête.
C omédie française-a Londres. Plufieurs années
avant que le célèbre Noverre vînt à Londres,
le fieur Monnet avoit déjà effayé d’y établir une
comédie françoife , 8c effuyé les’mêmes difgraces.
D'abord on inonda fes aéteurs d'un déluge d'écrits
fatyriq^es, avant-coureurs,de l'orage terrible qui
fe préparoit. C 'ell d'un françois, le fieur Déformés/
qui étoit alors lui-même, comédien de cette
troupe, que Ton tient les détails dont on va
lire le récit.
cc La toile fe lève, & dans Tinftant nous fom-'
mes accablés-d’une grêle de pommes, de pierres,
d’oranges, de chandelles. Etourdies d’un bruit
affreux de fifflets , quelques-unes de nos a&rices*
s'évahouiffent ; les autres, en tournant leurs regards
vers la France, laiffent échapper leurs
brillantes idées de fortune. Notre fuccès dépen-
dqit de la première représentation ; 8c nous nous |
étions bien promis, que v quelque chofe qui
arrivât, nous ne quitterions point la partie. Ainfi,
malgré cet horrible tintamarrenous avançons,
une aélrice 8c moi, fur le bord de la fc.ène,
8c nous mettons en devoir de commencer. Le
tumulte redouble > des loges on defeend dans le
parterre,.du parterre on monte dans les galeries. ,
Le gentilhomme eft confondu avec le favetierj
mille épées brillent 8c fe croifent au milieu dès
c r is , des gémiffemenÿ*. On fe bat à coups de
c^nne $ pn s’arrache les cheveux, les perruques,
les cravatées. La nobleffe 8c la garnifon font^
pour nous foutenrr, des exploits qa'on ne con-
noît qu'à Londres. Figurez-vous voir un duc fe
cblleter avec un porte-faix, T’affom'mer à coups
de poing, & celui-ci ne fe rendre, que quand
les forces 8c la;voix lui manquent ».
r » Cependant nous continuâmes de jouer, ou
plutôt de gelticuler à tort 8c à travers. Il y eut
un moment de filence, 8c nous crûmes les mutins
appaifés. Chacun alloit s'affeoir , 8c fe difpo-
foit à nous écouter, quand tout-à-coup on ap-
perçoit un fpeÔlre hideux, ou qui paroît tel à
fon vifage déchiré, 8c aux ruiffeaux de fang qui
coulent fur fes habits. Il monte fur un banc »
au milieu du parterre, montre fes plaies 8c expite
le peuple. Le combat fe l ’enouvelle avec plus
de fureur î on prend pour armes tout ce qui
s'offre fous la main. Les chandelles, les foüliers,
les canifs, les perruques trempées de fueur 8c
de fang, tombent à côté de nous, & fur nous *>.
v Nos partifans craignoient, avec raifon, que
les ennemis ne fongèaffent à nous envelopper
par derrière : pour prévenir cet accident, cinq
ou fix milords, fuivis bientôt de cent autres
gentilshommes, s'élancent l'épée à la main , du
fond'du parterfe fur la. fcène, & forment un
rempart pour nous garantir de toute infulte. Au
même inllant, un des chefs du parti contraire
demande audience 5 pft l'écoute : une voix tremblante
fait entendre ces mots : « Nous fommes
» vaincus par la force 3 cédons, mes amis, c'eft
» moi, qui vous en prie ». Â peine a-t-il fini
de parler, que l'orage fe diffipe ; on achève la
grande pièce ; la petite eft écoute'e avec attention
, 8c Ton nous reconduit dans nos maifons
avec une efcôrte ».
» Le lendemain , comme on craignoît le même
défordre, les officiers 8c la nobleffe fe fendirent
de bonne heure au fpe&acle, & s'emparèrent
du milieu du parterre- Ils étoient fans épées ,
mais avec de forts 8c courts bâtons. Ils entourèrent
un Juge de paix , qui arriva 8c lut un
a&e du parlement, par lequel on défendoit les
épées 8c le tumulte, fous peinç^de la vie. On
cria : vive le fo i, 8c la pièce cmnmença; mais
malgré le juge de paix 8c fonaéte, nous fûmes-
falués des fifflets & des hurlemens de la populace.
Nos proteôleurs tombèrent aiïffi-tôt fur nos
ennemis, fans leur donner le tems de refpirerj
Taélion dura p eu , mais fut vive. Repréfentez-
vous une troupe de cyclopës, frappant à coups-
redoublés fur des enclumes^ On cria de nouveau :
vive le roi $ 8c les deux pièces fijreùt entendues 8c*
applaudies »;
» Quelques féditjeux voulurent encore troubler
les repréfentations fuivantes, mais nos partifans
avoient fi bien pris leurs mefures, qu'en
moins de deux minutes on s’empara des, mutins.
Un de ees tapageurs, armé d'Un énorme fifilet,
qu'il avoit fait faire exprès pour fe diftjnguer ,
etôit tapi dans un coin du parterre , où il Te,
croyoit bien caché ; mais malheureufement il
avoit été. trahi. On le guettoit ; 8c d.afis Tinftant ;
qu’il embouchoit l’inftrument a il reçut fur le