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“ vous des enfans ? — O u i, fire.— En ce cas je.
» peux achever le tour de la*chambre».
Une max;me; qu’Henri I V avoit fouv.ent dans la
bouchej c’ eft que la fatisfaéfc'îon que l'on tire de
la vengeance ne dure -qu’un moment 5 mais que
celle qu’on tire de la clémence eft éternelle.
On vouloir exciter Henri I V à punir l’auteur
d’un écrit rempli de traits hardis fur la cour : je
me ferois confidence, dit ce bon prince , de fâcher
un honnête homme pour avoir dit la vérité.
Henri I V ayant convoqué à Rouen une affem-
bîée des notables de fen royaume, finit airffi fon
difeours, qui étoit plein dé force & de dignité :
« Je ne vous ai point ici'appelés, comme fai-
» foient les rois mes prédécefifeurs, pour vous
35 faire approuver ma vo lo n tém a is bien pour
» entendre vos confeils & vos avis, pour -les
03 croire & les fuivre en tout & par tout, comme
33 fi j’étois entré en tutele, qui eft une envie qui
ne prend gnères aux rois qui ont la barbe grife
» comme moi, & qui font, grâce à Dieu, viéto-
» rieux comme moi ; mais la grande affe&ion que
•» j’ai pour mes fujets , & l’extrême envie que j’ ai
» qu’ils m’ eftiment aufli bon & paifible que legt-
» cime roi, me feront trouver bon tout ce que vous
» me confeillerez devoir faire ».
Gabrielle d’Eftrées, fi connue fous le~nom de
la belle Gabrielle, affiftoit à l’ouverture de cette
afifemblée, derrière une tapifferie; elle entendit
le difeours du roi, qui voulut favoir ce qu’elle en
penfoit : elle avoua qu’elle n’avoit jamais oui mieux
dire ; mais qu’elle étoit étonnée qu’il eût parlé de
fe mettre en tutele. « Ventre-faint-gris, reprend
» le roi 1 il eft vrai ; mais je l’entends avec mon
» épée au côté ».
G£nars C atte , gouverneur de Dieppe, eft le
premier ligueur qui reconnoît les droits du fuc-
ceffeur de Henri III. Le nouveau roi de France,
qui n’ignore pas l ’averfion que d’injuftes & odieux
préjugés ont infpiré contre lui à la plupart des
gens de ce parti, foupçonne du myftère dans une
conduite fi fimple. Catte démêlant cette défiance, ;
& ayant le bon efprit de ne la pas trouver dé- |
placée, fe rend, avec fa garnifon, dans le camp
de Henri I V , qui n’eft pas éloigné de la place.
T ai laijfé, lui dit-il, ma maifon vuidé j la ville
& le fort font ouverts ; je ri y retournerai pas que
•yotre majejjté rien ait fait prendre pojfeffion.
« Il eft v rai, lui répondit le roî, que la géné-
» rofîté de vos offres défintéreffées m’a paru fuf-
» pe&e. Tels font les malheurs des temps, que
» je ne dois me livrer qu’avec précaution à ceux
» qui y comme vous , ne me font point parfai-
» tement connus. Maintenant que votre fincérité
» vient de fe manifefter avec la dernière évî-
» denee a je me livre à vous avec U même con- .
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53 fiance que vous m’avez montrée. Comme je
» ne faürois donner la garde de Dieppe à per-
» fonne qui en fût plus digne que vous , il faut
» que vous y repreniez vos fonctions. Il eft im-
»t portant que tout le royaume fâche que, fi vous
» êtes un fujet fournis, je ne fuis pas un fouverain
» ingrat ».
Henri I V demandoit un jour au duc de Sully,
fon confident, s’il n’étoit pas bien malheureux,
après avoir effuyé, pendant fa jéuneffe, plus de
d-fgraces lui feul, que tous les rois de France
n’en avoient jamais éprouvées enfemble, de ne
pouvoir jouir d’aucun plaifir, durant le cours de
fa plus brillante fortune , de ne point pofleder le
coeur de fa femme, & de voir au nombre de fes
ennemis la plupart de ceux qu’il avoit comblés
de bienfaits ? ce Tous ces malheurs, lire , répondit
» le duc, ne feroient rien, fi vous n’y ajoutiez
» celui d’y être trop fenfible».
v, Le cififînier Varenne trouva le moyen d’obtenir
les bonnes grâces d'Henri IV ; en devenant un
des miniftres de fes plaifirs fecrets. Ce monarque
le fit furintendant des poiles, & c’eft par rapport
à cette place que Barclay, dans .l’Euphor—
mion, lui donne le nom de Curfor. Le chancelier
de Belièvre , qui étoit un homme extrêmement
v e r t, lui faifant quelque difficulté fur une grâce
qu’il avoit obtenue, la Varenne lui dit : Mon-
fieur, ne vous en faites pas tant accroire, fi mon
maître avoit vingt-cinq ans de moins, je ne don-
nerois pas mon emploi pour le vôtre.
C e la Vareftne avoit donné un gentilhomme I
fon fils. Le roi qui ne connoiffoit point1 ce gentilhomme
, lui demanda qui étoit cet homme qu’il
voyoit avec fon fils. La Varenne répondit que
c ’étoit un gentilhomme qu’ il lui avoit donné >
comment, dit le roi, donner ton fils à un gentilhomme,
je comprends bien cela; mais donner un
gentilhomme à ton fils, c’ eft ce que je ne puis
comprendre.
La Varenne, avant d’être à Henri I V , aVoît
été à Catherine, foeur de ce roi, depuis du-
cheffe de Bar ; & fon emploi avec cette prin-
ceffe, étoit dépiquer les viandes ; & comme il
y èxcelloit, elle l’avoit donné au roi,. fon frère..
Catherine paffant par Paris pour aller en Lorraine,
vit la Varenne, fon ancien cuifinier; &
Sachant fon emploi auprès d’Henri I V , dJe lu*
dit : la Varenne, tu*as plus gagné à porter les-
poulets de mon frère, qu’à piquer les miens.
Quelqu’un difoît à Henri I V que le maréchal
de Biron jouoit fort bien à la paume. C e monarque
qui avoit découvert la confpiration que ce fei-
gneur tramoit fecrettement contre l’é ta t, répondit
: « Il eft vrai qu’il Jgjig bien, mais il fait mal
» fes
îte/iri T V , dit un contemporain, n*eut jamais
contioiffance d’aucun excellent perfonnage de fon
royaume ,, & fur - tout recommandable pour la
gloire des lettres, qu’il ne le favorifât de quelque
honnête penfion. Perefixe ajoute qu’il en donnoit à plufieurs hommes doétes, même dans l’Italie &
dans 1*Allemagne, & qu’ il prenoit foin lui-même
de la leur faire tenir. Ainfi dçnc Louis XIV ne
fut pas le premier qui fit fes conquêtes glorieufes
du génie fur l’étranger : Henri I V lui en donna
l’exemple,
Henri I V avoit choifi Pierre Mathieu pour écrire
fon hiftoire particulière. Un jour que celui - ci
lui lifott quelques pages de cette hiftoire, où il
parloit de fon penchant pour les femmes : « A quoi
*» bon, lui dit ce prince, de révéler mes foibleffes» ?
L ’hîftorien lui fit fentir que cette leçon n’ étoit pas
moins utile à fon fils que celle de fes belles actions
» Le roi réfléchit, & après un moment de
filence : ce O u i, dit-il, il faut dire la vérité tout
»? entière. Si on fe taifoit fur mes fautes, on ne
»» croiroit pas le Vefte : eh bien, écrivez-les donc,
» afin que je les évite ce.
Henri I V qui avoit appris l’art militaire dans
les camps, n’avoit pas négligé de l’étudier aufli
dans les livres. Les Commentaires de Céfar lui
étoient familiers 5 il lifoit affiduement ceux de
Montluc ; & quoiqu'il ne dût pas aimer le perfé-
cuteur de fa mère , ni l’auteur de tant d’exécutions
rîgoureufes, il rendoit juftice à fes talens
militaires. Il appeloit fon livre , la bible des
guerriers.
Henri IV , père de fes fujets, & c, dont le nom
feul entraînera toujours,l’amour filial des françois,
voulant leur prouver combien il les aimoit, s’appliqua
à chercher les moyens de redreffer les
abus du barreau, de modérer l’avarice des avocats
, d’empêcher la longùeur des affaires, de
réformer l’injuftice des juges, 8c de faire enforte
que tous les procès que la mauvaife foi des procureurs
éternifoit, fuffent terminés en très-peu
de temps. Comme-fon chancelier lui faifoit remarquer
fon embarras, en lui développant toutes
les difficultés du projet, ce prince, dont le bon
coeur perçoit dans tous les difeours,’ lui répartit
vivement : « Brûlez tous les livres de ces longs
& inutiles ;commentateurs de la jurifprudence;
» leur art pernicieux ne fert qu’à ruiner les peu-
» pies, & caufe plus de défordres qu’une guerre
3» civile. Combien d’amis 9 de parens, de voifins,
» n’ont-ils pas divifés ? Que ne puis-je, pour le
» bonheur de mon peuple, faire changer les fl-urs
» d< lys femées fur le fiège des juges qui fe laUTent
'» corrompre , en autant de clous pointus & de
» rafoirs tranchans » !
L Efpion turc dit > que lorfqu‘Henri I V parloit
de ces fortes de chofes, il paroifToic vivement
touché qu*îl y eut dans Paris plas de cours de
judicatures 8c de jurifconfultes, que dans tout le
vafteempire des turcs; & à la vérité, ajoute-t-il,
je ne puis m’empêcher de regarder avec furprife
l’aveuglement des chrétiens à cet égard. Nous
voyons qu’une feule campagne décide fouvent les
différens de deux grands états 5 mais un procès
de vingt'fequins entre des particuliers dure fouvent
autant que la vie d’un homme, & paffe quelquefois
jufqu'à fes héritiers.
Henri I V avoit une admirable vivacité d’efprît
qui éclatoit dans fes réparties. Le clergé de France"
lui ayant fait une remontrance en 1598, après la
paix, au fujet du rét.bliffement de la religion 8c
de l’égîife, il leur répondit : « Vous m’avez ex-
» horté de mon devoir, & je vous exhorte du
» vôtre. Faifons bien vous & moi : allez par un
V chemin & moi par l ’autre; fi nous nous ren-
» controns, ce fera bien-tôt fait. Mes prédécef-
» feurs vous ont donné des paroles avec beaucoup
» d’apparat; & moi avec ma jacqsette grife, je
» vous donnerai des effets. Je n’ai qu’une jacquette
» grife ; je fuis gris au-dehors, & tout doré au-,
» dedans »=>*
Henri I V ayant entendu parier d’un homme
facétieux, voulut le voir. On le fit entrer pendant
qu’il dînost. Le roi le fit approcher de la
table vis-à-vis dé lui, & lui dit : » Comment vous
» appeliez-vous, mon ami ? — Sire, je m’appelle
» Gaillard. —— Gaillard, répondit le monarque ,
» voilà un joli nom : quelle différence y a-t-il
» entre Gaillard & Paillard ? — Elle n’eft pas
» grande , fire , répartit le drôle ; il n’y a que la
» largeur de cette table entre deux »s.
L ’iJluftreCafaubon fi’étoit venu en France que
fur l’invitation ri Henri IV . C e monarque lui
faifoit une penfion ; mais Sully, qui étoit négatif,
lui dit un jour avec humeur, &: certes trop durement
: « Vous coûtez trop au roi, monfieur;
» vous avez plus que deux bons capitaines, 8c
» vous ne fervez de rien ». Cafaubon, qui étoit
fort doux, ne répondit pas un mot : mais il alla
fe plaindre au roi. « Monfieur Cafaubon, lui die
3» ce bon prince, que cela ne vous mette pas en
» peine ; j’ai partagé avec - M, de Sully ; il a
» toutes les mauvaifes affaires, & moi je me fuis
» réfervé les bonnes. Quand il faudra aller à lui
» pour vos appointernens, venez à moi anpara-
« vant, je vous dirai lè mot du guet, peur être
» payé facilement ».
On faifoit quelquefois des reproches à Henri I V
fur fa grande facilité à pardonner. Gabrielle d’Eftrées
, née douce & compati dame, comme le
font toutes les femmes qui favent aimer., obtint
la grâce de plus d’un coupable. Sully n’étoit pas
toujours du mçme avis : « Que voulez-vous, lui