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ce proverbe, cela eft beau comme le Cid, a péri,
il faut s*en prendre aux auteurs qui ne le gou-
toient pas, & à la cou r, où c’eut été très mal
parler que de s’en fervir fous le mfniftère du cardinal
de Richelieu. Mais l'on penfe que ce furent
plutôt les nouvelles beautés que Corneille dépioya
dans les Horaces , dans Cinna , dans Rodogune,
qui firent paffer ce proverbe.
Quand on meniça Corneille d’ une fécondé critique
fur la tragédie des Horaces » il répondit :
Horace fut condamné par les Décemvirs , mais il
fu t abfous par le peuple.
C ’ eft la tragédie de Cinna, qui a donné lieu à
Saint-Evremont de dire que Corneille faifoit les
Romains plus grands qu’ils ne font dans l*h;ftoire.
La clémence héroïque d’Augufte y eft reptéfèntée
en un fi beau jour , que Louis X IV , qui à voit
refufé c-onftamment la grâce du chevalier de
Rohan criminel d’éta t, fe' fentit difpofé à lui tout
pardonner au fortir d’une repréfentation de Cinna.
Il l’avoua depuis 5 mais perfon .e n’avoit ofé alors
lui parler une dernière fois en faveur du coupable.
Cette anecdote fe concilie allez avec les mémoires
du marquis de la Fare , qui dit que » per-
33 fonne ne demandant à Louis X IV la grâce du !
j>: chevalier de Rohan , ce monarque fut tenté de
d» lui-même de l’ accorder «.
Le grand Condé, à l’âge de vingt ans , étant à
la repréfentation de cette pièce , ver fa des larmes
à ces paroles d’Augufte :
3e fuis maître de moi comme de l’univers ;
Je le fu is, je veux l’être. O fiêcles ! ô mémoire !
Confervez à jamais ma nouvelle v iâoire.
Je triomphe aujourd’hui du plus jufte courroux,
De qui le fouvenir puifl’e aller jufqu’à vous.
Soyons amis., Cinna; c’eft moi qui t ’en convie.
Acte 5 , feene dernière.
C ’étoîent, ajoute un auteur moderne , les larmes
d’un héros. Le grand Corneille faifant pleurer
le grand Condé , eft une époque bien célèbre
dans l’ hiftoire de l’efprit humain.
Un jour que dans la fcène première du même
aéte , Augufte difoit à ‘'Cinna :
Chacun tremble .fous toi-, chacun t’offre des voe u x ,
Ta fortune eft bien haut, tu peux ce que je veux ;
Mais, tu ferois pitié même à ceux qu’elle irr ite,
Si je t’abandonnois à ton peu de mérite.
Le dernier maréchal de la Feuiliade étant furie
théâtre, dit tout haut à Augufte : Ah tu. me
gâtes le foyons amis y Cinna. Le vieux comédien
qui jouoit Augufte , fe déconcerta , & crut avoir
mal joué. Le maréchal, après la pièce, lui dit:
t* Ce n eft pas yous qui m’avez déplu, c’eft Au-
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» gufte , qui dit à Cinna qu’ il n’à aucun mérite,
» qu'il n’eft propre à rien , qu’il fait pitié', 8c qui
», enfuite lui dit, foyons amis. Si le roi m’en dl*
» Toit autant, je le remercierois de fon amitié ».
M. de Tuienne s’e'tant trouvé à une repréfentation
de Sertorius, s’écria à deux ou trois
endroits de la pièce : « Où donc Corneille a-t-il
» appris l’ art d,e la guerre ?»
Le maréchal de Grammont difoit, à l’occa-
fion àl O thon , que «« Corneille devroït être le bréviaire
des ro:S ». Et M. de Louvois, « qu’il
» fjudioit un parterre compofé de miniftfes d’état
» pour juger cette pièce ».
Dans toutes les tragédies grecques faites pour
un peuple fi amoureux de fa liberté, on ne trouve
pas un trait qui regarde cette liberté ; 8c Corneille,
né François, en eft rempli.
On a écrit que Corneille avoit fa place marquée
au théâtre, 8c que lorfqu’il y alloit, tout
le monde fe levoit par refpecl, & que le pai terre
frappoit des mains. Le public affemblé s’eft montré
, de nos jours, également jufte envers V o ltaire.
La première tragédie que Racine compofa ,
fut Alexandre. Il voulut la montrer à Corneille,
pour recevoir des leçons de ce maître du théâtre. '
Corneille, après avoir entendu la leéture de la pièce,
donna beaucoup de louanges à l'auteur ; mais
en même temps il lui confe.illa de s’appliquer à tout
autre genre de poéfie qu’au dramatique, parce
qu'il n’y paroiffoit pas propre. C e jugement, dans
un homme incapable de jaloufie , fait voir qu’on
peut avoir de grands talens & être mauvais juge
des talens.
Corneille, fi élevé, fi fublime dans fes écrits ,
n’étoit plus le même dans la converfation j il s’é-
nonçoit au contraire -d’une manière fi fèche, fi
embarraffée, qu’une grande princeffe qui avoit
defîré de le voir 8c de l’entretenir , difoit , « qu’il
» ne falioit point l’écouter ailleurs qu' ï l’hôtel de
» Bourgogne, » qui étoit l’hôtel des comédiens.
Lorfqu’il récitoit fes vers , il fatiguoit tous
ceux qui l’écoutoient ; aufli Boifrobert, à qui
Corneille reprochoît d'avoir mal parlé d’une de fes
pièces , étant fur le théâtre, lui dit: « Comment
» pourrois-je avoir blâmé vos vers fur le théâtre,
» tes ayant trouvé admirables dans le temps que
» vous les barbouilliez eh ma préfsnce ? »
Corneille a écrit que pour trouver la plus belle
de fes pièces , il fiJloit choifîr e n t r e Rodogune 8c
'Cinna ,• 8c ceux à qui il en parloit, déinêloîent
fans beaucoup de peine qu’il étoit pour Roda-*
gune.
Il s’ étoit marié jeune 8f affez fingulièrêment.
Il fe préfenta un jour plus trifte 8c plus rêveur
qu’ à
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qu’ à -l’ordinaire devant le cardinal de Richelieu j
qui lui demanda s’il travailloir. Il répondit qu il
étoit bien éloigné de la tranquillité néceffaire pour
la com polît ion, 8c qu’il avoit la tete renverfee
par l’amour. Il en fallut vauir à un plus grand
éclairciflèment, 8e il dit au cardinal qu’il aimoit
paifionément une fiile du lieutenant-général d’An-
d c ly , en Normandie, 8c qu’il ne pouvoit l’obtenir
de Ton père. Le cardinal voulut que ce père,
fi difficile , vint lui parler à Paris.^ Il y arriva
tout trernbiant d’un ordre fi imprévu, & s’en
retourna bien content d ’en être1 quitte pour'a voir
donné fa fille à un homme qui avoit tant de crédit.
On a d i t - que le goût de l'étude ne fouffroit aucune
d i f t r a é t i o n , 8c Corneille jj en /.fournit une
preuve. Un jeune homme, auquel il avoit a e -
c o r d é fa fille, 8c que l’état de fes affaires m e c -
toit dans la néceflïté de rompre ce mariage, fe
préfente un matin chez Corneille, perce jiafqües
dans fon cabinet: | Je viens, -monfieur, lui dit-
■ >? il , retirer ma parole , 8c voüs expofer le motif
» de ma conduite..... Eh! monfieur, réplique
Corneille3 ne pouvez-vous, fans m’ interrompre,
» parler de tout cela à ma femme ? Montez chez-
» elle : je n’entends rien à toutes ces affaires-là. »
La devife de Corneille étoit : E t mihi res non me
repus fubmittere conor. \
Corneille eut à fe louer & à fè plaindre du
cardinal de R i c h e l i e u ; auffi fit-il, à la mort de
s e premier miniftre, les vers fuivans :
Qu’on parle bien ou mal du fameux-cardinal,
Ma profe ni mes vers n’en diront jamais rien ;
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien.
CORNEILLE. ( Thomas )
Thomas Corneille, frère du grand Corneille, de
l’acaclémie françoife & de celle des inferiptions ,
naquit à Rouen en i6 z y , 8c mourut à Andely en
1709. Il courut la même carrière que fon frère,
mais avec moins de fuccès, quoiqu’il obferya
mieux les règles du théâtre. •'Defpréaux avoit
raifon de l’appeler un cadet de Normandie , en le
comparant à fon aîné ; mais il avoit tort d’ajouter
qu’il n’avoit jamais pu rien faire de raifonnable.
Le fatyrique avoit oublié apparemment un grand
nombre de pièces, dont la plupart ontété con-
fervées au théâtre, & qui, outre le mérite de
l’intrigue , offrent quelques bons morceaux de
vérification. Ces pièces font Ariane, le Comte
d’Effex, le Geôlier de foi-même, le baron d’Al-
bikrac, la Comteffe d’Orgueil, le Feftin de Pierre,
l ’Inconnu. Thomas Corneille avoit une facilité pro-
digieufe dans le travail. Arianne ne lui coûta que
dix-fept jours, & le-Comte d’Effex fut fini dans
quarante.
Cet auteur avoit une mémoire fi heureufe,
Encyclopédiana.
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que lorfqu’il étoit prié de lire une de fes pièces,
il la réçitoit tout de fuite fans héfïter , 8c mieux
qu’un comédien n’auroit pu faire.
Les fuccès de l’aîné des Corneille étoient un
grand obftacle à la réputation du plus jeune; il
avouoît lui même fon infériorité , & ne défignoit
fon aîné .$ue par l’épithète du grand Corneille.
C e lu i-c i, de fon cô té , defiroit avoir fait plu-
fieurs des ouvrages de fon frère ; aveu qui eût
pu flatter l’auteur le moins modelte, & qui n;’étoit
pas un pur effet de générofité.
Defpréaüx & Racine, qui avoient fait tous leurs
efforts pour décrier Quinault, engagèrent Thomas
Corneille à compofer des opéra, afin de fupplanter
leur ennemi. Corneille fe laifîa perfuader , mais,il
n’y réuflït point. Pierre Corneille , fon frère, avoit
auffi voulu a’effayer dans le même genre, 8c
n’avoit pas eu un plus grand fuccès.
On a remarqué que les deux frères avoient époufé
les deux foeurs, en qui il fe trouvoit la même
différence d’âge qui étoit entr’eux. Il y avoit des
enfans de part & d’autre en pareil nombre. C e
n’étoit qu’une même maifon, qu’un même do-
mçftique. Enfin, après plus de vingt - cinq ans
de mariage, les deux frères n’avoient pas encore
fongé à faire le partage des biens de leurs,
femmes.
Defpréauîc difoit de Thomas Corneille : « C ’ eft
» un homme emporté de l’enthoufiafmed’autrui,
.» & qui n’a jamais pu rien faire de raifonnable,
» Vous diriez qu’ il ne s’eft étudié qu’à copier les
» défauts de fon frère ».
Gacon fit l’inpromptu fuivant fur le portrait
de Thomas Corneille :
- Voyant le portrait de Corneille,
Gardez-vous de crier merveille,
E t , dans vos tranfports, n’allez pas
Prendre ici Pierre pour Thomas.
CO R N U E L . Cette dame étoit en réputation,
du tems de madame de Sévigné, par fes faillies
& fes mots piquans.
Un jour une femme de qualité , qui ne paffoit
pas fans doute pour la plus fage de la cour, foutenoic
devant madame Cornuel, qu’une perfonne de leur
connoiffance n’étoit point folle : «c Bonne comteffe,
» répondit-elle , vous êtes comme les gens qui man-
n gent de l 'ail ».
Madame de Saint-Loup fut voir madame de
Cornuel, & lui d it , après avoir paffé plus d’une
heure avec elle: Madame, on m’avoit bien trompé
en me difant que vous aviez perdu la tête. — Vous
voyez , lui répondit madame de Cornuel, le fond