
Le bourgeois gentilhomme fut joué la première
fois à Chambord : le roi n’en dit pas un mot,
& tous les courtifans en parlèrent avec le dernier
mépris. Le déchaînement étoit fi grand, que Molière
n’bfoit fe montrer : -il envoyoit feulement
Baron à la découverte, qui lui rapportoit toujours
de mauvaifes nouvelles. Au bout de cinq ou fix
jours, on joua cette pièce pour la fécondé fois.
Après la repréfentation , le roi qui n’avoit pas
encore porté fon jugement, dit à Molière : je
ne vous ai .point parlé de votre pièce à la première
repréfentation, parce que j’ai appréhendé d'être
féduit par la manière dont elle avoit été repré-
lèntée } mais en vérité 3 Molière 3 vous n’avez
encore rien fait qui m’ ait mieux diverti, & votre
pièce eft excellente. Auffi-tôt l’auteur fut accablé
de louanges par les courtifans qui répétoient -3 tant
bien que mal, ce que le roi venoit de dire à
l ’avantage de cette pièce.
La fcène cinquième de 1 a&e troifieme eft l ’endroit
des femmes favantes q u ia fait le plus de,
bruit. Triflotin & Vadius y font peints d’après
nature. Car l’abbé Cotin étoit véritablement l’auteur
du fonnet à la princeife Uranie. I lJ ’avoit
-fait pour madame de Nemours , & il étoit allé
le montrer à mademoifelle/princeife qui fe plai-
foit à ces fortes de petits ouvrages -, & qui d’ailleurs
confidéroic fort l’abbé Cotin , . jufques - là
même qu’elle l’honoroit du nom de fon ami.
^Comme il achevoit de lire fes vers , Ménage entra
} màdemoifelle les fit voir à Ménage fans lui
en nommer l’auteur : Ménage les trouva ce qu’ef-
fe&iment ils étoient, déteftables. Là deffus nos
deux poètes fe dirent à peu près Lun. à. l’ autre
les douteurs que Molière a fi agréablement ri-
mées. Peu de temps après la mort du pauvre C o tin
on fit ces quatre vers :
Savez-vous en quoi Cotin
Diffère de Triflbtin?
Cotin a fini fes jours,
TrifTotin vivra toujours.
Dans Je malade imaginaire , la dernière pièce
que Molière ait mife au théâtre , il y a ,oin.M.
■ Fleurant , apothicaire , brufque jufqu’à l’info-
lence, qui vient avec une feringue à la main pour
donner un lavement au malade. Un honnête hom- j
me, frère de ce prétendu malade , qui fë trouve
là dans ce moment, le détourne de le prendre,
dont l’apothicaire s’irrite, & lui dit toutes les impertinences
dont les gens de fa forte étoient alors capables.
La première fois que cette pièce fut jouée,
l ’honnête homme répondoit à l’apothicaire : « A lle
z , monfieur, on voit bien que vous n’avez coutume
de parler qu’à des culs ». Tous les auditeurs
qui étoient à la première repréfentation s’en
indignèrent ; au lieu qu’ on fut ravi à la fécondé
d ’entendire dire > « Allez , monfieuV, on yoit bien
qiiïe vous n’avez pas accoutumé de parler à des
vifages ».
Molière étant mort, les comédiens fe difpo-
foient à lui faire un convoi magnifique : mais M.
de Harlai , archevêque de Paris, ne voulut pas
permettre qu’on l’mnumât. La femme de Molière
alla fur le champ à Verfailles fe jetter aux pieds
du ro i, pour fe plaindre de l’injure que l’on fai-
foi^ à la mémoire de fon mari, en lui refufant
la fépulture. Mais le roi la renvoya , en lui difant
que cette affaire dépendoit du miniftère de M.
^archevêque, & que c ’étoit à lui qu’il falloir
s’adreffer. C.ependanrfa majeilé fit dire à ce prélat
qu’il fît en fortè d’éviter l'éclat & le fcandale.
M. i’arch evêque révoqua donc fa défenfe-, à condition
que l’enterrement feroit fait fans pompe
& fans bruit. Il fut fait par deux prêtres qui accompagnèrent
le corps fans chanter ; & on l’enterra
dans le cimetière qui eft derrière la chapelle
de faint Jofeph dans la rue Montmarrre.
Tous fes amis y aflifièrent ayant chacun un flambeau
à la main. La veuve de Molière s’écrioit
par-tout : «< Q uoi, l’on refufe la fépulture à ua
homme qui mérite des autels ? ..
Deux ou trois ans après la mort de Molièrei
il fit un hyvér très-rude. La veuve de ce grand
homme fit porter centvoies-de bois fur la tombe
de fon mari, & les y fit brûler pour chauffer ies
pauvres du quaitier. La grande chaleur du feu
fendit en deux la pierre qui couvroit la tombe.
Dans une préface que les anglois ont mife à
la tête de la traduction de Molière , ils comparent
les ouvrages de ce grand comique à un gibet. Le
vice, dit on , & le ridicule y ont été exécutés,
& y demeure expofés comme fur le grand che-
# min, pour fervir d’exemple aux auteurs.
On voit aujourd’hui des auteurs q u i, parce
: qu’ ils font jeunes, voudroient nous faire croire
que Molièrea vieilli. La chqfe eft rifible, dit ua
fort bel efprit ; mais il manque de rieurs.' ,
Epitaphe de Moliere par la Eontainç
Sous ce tombeau giflent Plaute & Térence;
Et cependant le feul Molière y git. .
Leurs trois talens ne formoient qu’un efprit* !
Dont le bel art réjouifl'oit la France.
Ils font partis , & j’ai peu d’efpcrance
De les revoir , malgré tous nos efforts.
Pour un long-temps, felOn toute apparence j
Térence & Plaute & Molière font morts.
~M O N O A L . Le général Moncal 3 gentilhomme
françois , réj$ugié s avoit eu un bras caffé au fer-
vice d’Angleterre , & étoit réduit à le porter
en écharpe. Il eut un jour une querelle au parc
Saint-James avec un officier qui ne le eonnoiflê'is
que de réputation fur une opération, militaire
faite à la bataille de la Boine. L'officier fe voyant
prefle par un raifonnement auquel il n’avqit rien
à répliquer eut recours à l’autorité pour fe défendre,
& cita Moncal pour fon garant. Moncal
qui n’auroit dû que rire, nia férieXifement que
Montai.eût ainfi parlé. L’officier qui étoit brave
& qui ne s’étoit laiflé aller à mentir que par la
honte de céder, lui dit que fans l’état où il le
voyoit il tirerôit raifon de ce démenti .Le trop bouillant
général, piqué.encore mal à propos de ce
difcours, l’invite à le fuivre, l’aflurant qu’un
bras lui fuffiroit pour lui donner la fatisfa&ion qu’il
paroiffoic défirer.
Lorfqu’on fut arrivé dans un lieu écarté, Moncal
qui étoit réfolu de voir la fin de cette avao-
ture , voulut, pour fe rejouir, confondre fon ad-
verfake avant de le combatre. 11 lui d it, l ’épée
à la mCin , voyez fi je n’ai pas déjà trop d'avantage
fur vous ? C ’eft moi qui fuis Moncal. Le
menteur, frappé de ce coup de fqudre, fe jette
aux genoux du général , le conjure de lui fauver
l’honneur, & lui protefte qu’ il avoit eu honte
de foa impofture dès le moment qu’elle lui étoit
échappée. Moncal lui pardonna, lui promit de ne
le jamais nommer, & lui tint parole.
MONCRIF, ( François-Auguftin-Paradis de)
mort en 17 70, âgé de 8} ans.
Moncrif, auteur du joli conte de Titon &
Aurore, avoit compofé un fingulier ouvrage fur
les chats.
Roi, poëte fatyrique, fit courir quelques épi-
grammes contre l'ouvrage. Moncrif, piqué au dernier
point, attendit le critique & le régala de
coup de plat d’épée. Le poète Roi difoit encore
fous les coups : « Minet, pâte de velours ! »
Moncrif étoit fort aimé de M. le comte d’Ar-
genfon. L'homme>de lettres dit un jour au miniftre.
« Monfeigneur, vous êtes le maître de me faire
donner le brevet d’hiftoriographe de France ».
Malheureufement M. d’Argenfon fe fouvenoit
encore de l’hiftoire des chats; « Hiftoriographe ,
lui répondit-il, cela eft impoflîble ; dit donc hif-
toriogriffe ».
MONSTRES. En 1784 \ on fit voir à Londres,
pour de l’argent, un homme âgé de trente-
trois ans , fous le nom de l’homme Porc-épic :
il fe nommoit Edouard Lambert. Toute fa peau ,
excepté celle du vifage, celle de la paulme des
mains & de la plante des pieds , étoit converte
d’écaille' brunes & cylindriques, fermes&élaf-
tiques , fur-tout quand elles étoient, comme la
plupart, larges d’un pouce.
Cet homme eut la petite vérole , & fes écailles
..tombèrent, mais elles revinrent eufuite. Pour
s*en délivrer, il prît deux fois du mercure, Tant
qu’il faifoit fon effet, il y avoit quelque efpé-
rance de guérifon j mais dès que la falivation cef-
fo it, il fe fôrmoit de nouvelles écailles. Soit en
automne , foit en Jniver , ces écailles temboienc
annuellement j & alors , il éioit obligé de fe faire
faigner : fans cette précaution > il feroit tombé
malade. Le refte du temps il jouifibit d’une famé
parfaite.
C e t homme extraordinaire a eu fix enfans, qui
tous , neuf femaines après leur naiffance , ont été
comme leur père, couverts d’écailjes.
Il femble que cet anglois pourroit nous laiffer
une race d’homme à écailles, femblables à lui ;
fi l’on perdoit de vue l’origine de cet événement,
on auroit lieu de penfer dans/les fiècles
à, venir , que ces hommes font d’ une efpèce différente
des autres.
M. Baker, membre de la fociété royale, infère
de-là que la peau noir des nègres , & quelques
autres différences qui nous frappent fenfi-
blement, proviennent 3 de la même manière, de
quelques caufes accidentelles.
Le io. janvier J77J, la foeur du charron d’Au-
b erchicou rtvilla ge fitué entre. Bouchain &
Douai, accoucha d’une'fille qui avoit une tête
monftrueufe. D ’abord on ne favoit qu’imaginer :
4mais lorfqu’on l’eut confidéréè de près , on découvrit
qu’il y avoit une éminence fort haute fut
la tê te , formarit une coëffure à la grecque , la
peau de cette chaire étoit ridée , & ces rides
formoient le crépé des cheveux; des boucles en
chair s’élevoient des deux côtés : des noeuds
■ mêmes fur l’extrémité du derrière de cette coëffure
, étoient très bien marqués; enfin ce qui fur-
■ prit les naturaliftes, c’ eft un petit os blanc, en forme
de diamant, qui fortoit du milieu de cette maffe
de chaire, à \\endroit où les femmes placent ordinairement
leur épingle de tête. L’enfant étoit
| mort lorfqu’ il eft venu au monde, parcé qu’il
avoit fallu fe fervir de toutes les relfources de
l ’art de i’accouchement.
" M O N T A G N E , ( Michel de ) né en Périgord
en 1533 , mort en 1 fp2.
La première langue qu’on fit apprendre à Montagne
3 dès qu’il fut en état de parler, fut la latine.
Son père mit auprès de lu i, dès fon berceau ,
un allemand qui y étoit très-habile , & qui igne-
roit abfolument le françois, avec deux autres per*
fonnes favantes pour le foulager. D ’ailleurs, en
ne laiffoit approcher de lui perfonne qui ne parlât
le latin. Àinfi il fut jufqu’à l’âge de fix ans
fans favoir le françois.
On avoit fait entendre au père de Montagne *
que c’étoit gâter le cerveau, & par conféqueot