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& l ’on fe propofoit de choifir le meilleur. Le
jour fixé pour reçevoir les efquifîès de tous, les
concurrens, Je Tintoret apporta un tableau entièrement
fini, & le mit à l’endroit qu3il s’agifibit
de remplir. Surpris de fon extrême diligence,
fes rivaux fe plaignirent, 8c foutinrent que
c'étoit manquer à la convention. Mais ils
eurent beau d ire , le tableau relia toujours
à fa place, en dépit même des perfonnes qui
avoient propofé le concours, & qui, délirant un
»ouvrage d'un autre genre , déclarèrent au Tintoret
qu'il n’avoit qu’à le reprendre, attendu qu'il
n’en feroic point payé. — « Hé bien ! leur ré-
p» pondit-il, je vous en fais préfent».
Des peintres flamands lui montrèrent un jour
des têtes deflinées avec la plus grande patience.
Le Tintoret leur demanda combien elles leur
avoient coûté de temps j ils convinrent qu'ils
avoient été quinze jours à les fa:re. Alors il
prit un pinceau nempé dans du noir, fit en quatre
coups une figure rehauffée de blanc, & leur
d i t :— »Voilà comme nous travaillons, nous
« autres vénitiens». — L,es flamands fentirent
toute la force du reproche.
T IT E L IV E , ( Titus Livius ) hiftorien latin
, né à Padoue, mort l'an 17 de Jefus-Chrift,
la quatrième année du règne de Tibère.
Afinius PolÜon a reproché à cet hiftorien d’avoir
employé dans fon hiftoire plufîeurs expref-
fionS de fa province. Si ce reproche êft fondé,
comme il y a lieu de le croire, nos critiques modernes
, qui ne peuvent appercevoir cette patavi-
nité du ftyle de Tite-Live 3 doivènt du moins
avouer qu'ils font bien éloignés de connoître
toute la-délicatefle de la langue latine.
Tite-Live de fon vivant jouifîbit de toute fa
réputation. Il étoit bien venu à la cour d'Augufte.
Ce prince ayant lu les louanges que rhiftorien avoit
données à Pompée, fe contenta d'en plaifanter,
& de traiter Tite Live de partifan de Pompée Ü
modération non moins louable que la fincérité de
Thiftorien.
| On fait, fur le rapport de PVne le jeune, qu'un
citoyen de Cadix charmé de la réputation & de
la gloire de Tite-Live, dont il enrendoit toujours
parle*, vint à Rome des extrémités du monde alors
connu pour le voir, le vit & s'en retourna. Il faut,
ajoute Pline, être fans goût, fans littérature,
fans émulation, pour n'étre pas piqué de cette
curiofité la plus agréable, la plus belle, la plus
digne d'un homme qui penfe.
Parmi les monumens élevés à Padoue à la gloire
des iliuftres padouans, on en remarque un érigé
à la mémoire de Tite LiveK Le peuple de Padoue
Jé regarde avec complaifance comme le tombeau
de cet illuftre hiftorien , & fe glorifie de pofleder
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fes cendres. Mais nous aimerions mieux qu’il pût
fe vanteT d'avoir fon hiftoire, dont il ne nous
réfte que trente-cinq livres de cent quarante,
qu'il avoit compofés. Freinshemius a inutilement
travaillé à confoler le public de cette perte par fes
fragmens.
T IT E , ( Titus Vespafîamrs ) Empereur Romain,
né le 30 décembre l'an 40 de Jefus-Chrift,
mort le 13 feptembre 81.
Tite avoit cultivé la mufique, l’éloquence ,8c
la poéfie, & les hiftorians parlent avec éloge de
plufîeurs ^poèmes qu'il avoit compofés en grec
& en latin. Suétene ajoute qu'il écrivoit par le
moyen des abréviations avec une fi grande vélocité
, qu’il pouvoir fuivre une perfonne qui
lifoit. Quelquefois, pour fe récréer avec fes fe-
crétaires,. il s’amufoit à imiter toutes les figna-
tures qu'on lui ^réfentoit : aufli difoit-il fouvent
que la volonté feule lui avoit manqué pour être
un. grand fauflaire.
Tite étant en Sicile, des députés de la ville
de Tarfe lui préfentèrent une requête fur des
objets pour eux d’une grande importance. Titus
leur répondit qu'il s'en fouviendroit lorfqu'il fe-
roit à.Rome, & qu’il fe rendroit lui-même leur
agent auprès de fon père. Cette répofcfe paroif-
foit favorable & obligeante ; mais Apollonius
de Thyane, qui l'avoit entendue,*n'en fut pas
content. Ufant de toute 1a liberté que donne
la philofophie : » Seigneur , dit-il à T itus, fi
j’accufois devant vous quelques-uns de ceux ci
d'avoir confpiré contre votre perfonne & contre}
l'empire , quel traitement éprouveroient-ils,
de votre part ? — Je les ferois périr fur le champ,,
répondit le prince. — Eh quoi ! rt prit le philo-
fophe, n’eft-il pas honteux de tirer vengeance
dans le moment, & de différer les grâces ; de
décider par vous-même du fupplice, & d’attendre
des ordres pour difpenfer de bienfaits ?»
Titus fut frappé de cette remontrance > & ,
dans l'inftant, il accorda aux citoyens de Tarfe
ce qu'ils lui demandoient.
Ce prince, avant d'obtenir le fteptre impérial
, fervtt fous Vefpafien fon père , & fe fit
eftimer par une valeur jointe à une modeftie rare.
Il termina la guerre des Romains contre les juifs
par la ruine de Jérufalem l'an de Jefus - Chtift
7(V A fon retour à Rome , il triompha avec fon
pèfè qui l’admît aux principales fonctions du
gouvernement y & le déclara par fon teftament
feu! héritier, de l'empire. II en prit poffeflion
après la mort de Vefpafien le 4 juin de l’an 79
de Jefus-Chrift. Le premier aéle public eue l ’on
vit de lui fut un a&e de bonté. Il confirma les
gratifications & les privilèges accordés par les
empereurs fes prédécefleurs. Avant lui il falloit
que l$s particuliers qui avoient reçu quelques
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bienfaits, en obtinrent la confirmation du nouveau
prince; ce qui les expofoit à bien des difficultés.
^
Le nouvel empereur prit poftefiion du grand
pontificat; mais en recevant cette dign.ité fa-
c ré e , il déclara qü’il la regardoit comme un engagement
à conferver fes mains pures, & à ne
les jamais fouiller du fang d'aucun citoyen.
Tite fe reffouvint toujours de cet engagement,
& pendant fon régné qui malheureufemént fut
trop court, il n’ordonna la mort de perfonne.
Deux citoyens d'une naiflance illuftre, fembloient
néanmoins avoir mérité les plus grands fupplices.
Ils avoient confpiré contre leur prince , dans I'ef-
pérance de. s'élever au trône. Tite fe contenta
de les faire réunir auprès de fa perfonne > 8c
après leur avoir parlé moins en juge qu'en père,
il leur promit de leur accorder tout ce qu'i's
pourroient fouhaiter. Comme la mère de l’un
deux étoit abfente de Rome, il dépêcha à cette
dame un Courier pour calmer fes inquiétudes ,
& l’aflurer que la vie de fon fils ne courôit aucun
rifqùe ; & pour montrer à fes ennemis qu’il
favoit oublier les injures comme les pardonner,
il les' invita à fouper familièrement avec lui. Le
lendemain afliftant à un fpeétacle de gladiateurs,
il les fit affeoir à fes côtés. Lorfque, félon l’u-
fage, on lui apporta les armes des combattans,
il les remit entre les. mains de ceux qui venoient
de former des defïeins contre fa vie.
Domitien, fon frère, ne cefïoit de lui tendre
des embûches y il excitoit les légions à la révolte
: l’empereur ne fe vengea de ce frère coupable
qu'en le faifant fon collègue dans le con-
fulat.
Sous ce bon prince, il ne fuffit plus d'être
calomnié pour être traité en criminel. Il regardoit
avec raifon les délateurs comme la pelle
d’un état, & les chafïa tous de Rome. C e prince,
le meilleur des hommes, ne croyoit pas même
que l'on pût fe rendre criminel de leze-majefté
envers lui.» Je ne puis être outragé ni infulté,
difoit il ; car je ne fais rien de condamnable,
& les difeours qui B'ont d'autre appui que le
menfonge, ne me parodient dignes que de mépris
».
Tite, avant d'être élevé à l'empire, avoit- conçu
l'amour le plus violent pour Bérénice , veuve
du roi de Chalcide. L'efprit, la beauté , les
grâces de cette princefle juive & la noblelfe de
fes fentimens juftifioient l'attachement de Tite
qui vouloit i'affocier à fon lit. Mais ce prince
inftruit que ce mariage déplairoit aux romains
qui ne connoifîoient d'autre nobleffe qiLj celle
de leur fang, & ne regardoienc les rois & les
reines que comme des efclaves couronnés, fa-
crifia fon penchant à la raifon d'état. Il éloigna
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Bérénice pour toujours. C e triomphe d’un amant
fur Iui-mëme W r ito it d’être célébré par le plus
tendre de nos poètes.
Tite y à l’exemple de Vefpafien Ton père, prit
un foin particulier de réparer les anciens édifices
, ou d'en conftruire de nouveaux. Il acheva
le fameux amphithéâtre commencé par Vefpafien,
& en fit la dédicace. Cette fête dura cent
jours. Les jeux qu'il fit célébrer réunirent toutes
les différentes efpèces de fpe&acles. Le. même
lieu fuccefiîyement rempli d'eau & mis à fe c ,
préfentoit des combats navals & des combats
fur terre. Il y eut aufli des combats de gladiateurs
& des combats de bêtes. On vit une femme attaquer
un lion, & le tuer. En un feul jou r, cinq
mille bêtes fauvages furent employées à divertir 1®
peuple, que Tite confultoit toujours avant de lui
donner une fête.
Sous le règne de cet empereur, l'empire fut
expofé à plufîeurs calamités. La plupart des villes
de la Campanie furent englouties par les éruptions
da mont Véfuve. Rome elle-même fut dévorée
par une pefte & un incendie. Durant toutes ces
calamités, Tite fe montra un prince généreux &
tendre ; il déclara , par une ordonnance publiquement
affichée, que toutes les pertes occafion-
nées par l'incendie feroient fur fon compte. II
confacra aux temples & aux édifices publics tous
les ornemens de fes maifons de plaifance. Il fut fi
jaloux de cette gloire, qu'il voulut fe la ré fer ver
à lui feul ; & il refufa les dons que lui offroient
les villes, les rois, & meme de riches particu*
Fers, pour diminuer le poids d’une dépenfe fi
énorme.
Devoit-on efpérer moins d’un prince qui ne
refufoit qu’à regret une grâce qu'il ne pouvoit
accorder, & qui cherchoit à adoucir fes refus par
des paroles obligeantes? Un fujety diloit-il, ne
doit jamais fortir mécontent de la préfence de fon
prince.
Les annales du genre humain ont confacré pour
toujours ce mot célèbre de cet ami des hommes,
qui ne comptoit fes heures que par des bienfaits.
Un jour qu'il n'avoit rencontré aucune occafiôn
d'obliger quelqu’un : Mes amis , dit-il à ceux qui
foupoient avec lui, j ‘aiperdu ma journéev
Une maladie dont il fut attaqué, l'emporta en
peu de jours. Prêt à rendre les derniers foupirs,
il leva vers le ciel des yeux prefqty éteints, & fem-
bla fe plaindre de mourir dans un âge fi peu
avancé, plainte bien pardonnable fans doute à un
prince qui ne jou iflb itîd^ vie que pour faire du
bien.
\ T IT IE N V ecelli , (Tiziano Vicellio ) né
l'an 1477, mort en 1576.
Le Titien eft un des hommes qui a le plus joui
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