
le cardinal fentit fa fin s*approcher, il le recommanda
à Louis XIV j & termina fon éloge , en
difant: «Je vous dois tout, Sirej mais je crois
» m’acquitter en quelque forte avec votre fnajefté ,
» en vous donnant M- Colbert ».
On a cité dans plufieurs écrits la réponfe grof-
lière d'un marchand nommé Ha*on, qui, con-
lulté par Colbert, lui dit î « Vous avez trouvé la
» voiture renverfée d’un côté , & vous l’avez ren-
» verfée de l’autre». Cette anecdote du temps,
quoique fauffe, mais qu’on a fouvent pris plaifîr
de répéter, peut fervir à prouver que le peuple
n’a fenti que très-tard tous les avantages que
Colbert a procurés à la France, & que ce miniilre
a long-temps trouvé des ingrats.
Entre tous les traits qui caraélérifent fon rni-
niftère, on en peut citer un qui appartient autant
à l’adminillrateur politique, qu’à l’adroit cour-
tifan- Après la paix de Nimègue » les finances de
l’état fe trouvoient épuiiees, & cependant les
courtifans de Louis X IV , qui connoiffoient le
goût de ce prince pourd’éclat & la magnificence,
s’efforçoient ce lui perfuader qu’ il devoit donner
une. fête j le roi n’en parla qu’avec crainte à Colbert
y qui, au lieu de représenter l’impofïihilité de
raffembler des fonds pour une dépenfe de cette
nature, promit de les trouver, & • mit tout en
oeuvre pour que la fête fût fomptuèufe. Il la fit
annoncer de bonne heure ; tous les étrangers arrivèrent
en foule à Paris, & donnèrent un cours
plus rapide à la circulation de l’ argent. Le Ca-
roufel coûta à peu-près douze cens mille livres,
& le produit des fermes augmenta pendant ce
tems de plus de deux millions.
Colbert aimoit tendrement fa patrie. Un jour à
fa maifon de Sceaux, jettant un coup-d’oeil fur
ces campagnes fleuries qui erobelliffent la France,
on vit fes yeux fe baigner de larmes. Interrogé
fur leur motif par un de fes amis : « Je voudrons |f
» répondit-il, pouvoir rendre ce piys heureux;
» & j qu’éloigné de la cour , fans appui, fans
» crédit, l’herbe crut dans mes cours ».
Chaque année du miniftère de Colbert fut marquée
par l’étahl ffeaunt de quelque manufacture.
C e minière , Te Mécène de tous les ai ts, établit
& protégea également les académies. Ce fut dans
fa maifon même que l’académie des Infcriptitms.
prit naiffan e en 1663. Celle des Sciences fut for-
ârée par fes foins en iê66. L’ archlteCture eut auili
1a fienne en 1671. Louis X IV s’étoit vepofé fur
Colbert du foin d’honrrer les gers de lettres par
des bienfaits fîgnaiés. C e m'inîftre s’y appliqua avec
tant de zè le , que le mérite des favans les plus
modeûes ri’ cch ippoit point à fes recherches. Plu-
feors étrangers qui fe diftingu oient par leurs rares
conuoidancts furent attirés en France par les Lien-
faits du iqî. D ’auties que l’amour de b patrie
jeur.r, n’en eurent pas moins de part aux bienfaits
du généreux monarque. « Quoique le roi ne foit
» pas Votre fouverain , leur écrivoit fon minilire ,.
» il veut néanmoins être votre bienfaiteur, & m’a
» recommandé de vous envoyer la lettre-de*
» change ci jointe, comme une marque de Ion
» ellime & un gage de fa prote&ion ».
Pendant tout 1 e temps que Colbert adminiftra
les finances, il faifit une route contraire à celle-de
fes prédéceileurs. Les furintendans prenoient fans
compter, & ne rendoient point de compte ; mais
Colbert préfentoit au ro i, au commencement dé
l’année , un agença, où les revenus de l’état
étoient marqués en détail 5 & toutes les fois que le
roi fignoit des ordonnances, ce miniilreie prioit
dé les marquer fur fon agenda , de forte que le roi
fe troiivoit à portée de voir en quel état étoient
fes affaires , & en même-temps celles de fon mi-
nillre- Cobert ufi.it de cette fage précaution , à.
caufe de la multitude d’affaires qui lui p .ff fient
par les mains, & dans le détail defquelles le roi
ne pouvant le fuivre , il auroit écé aife de lui
infpirer des foupçons.
Tout le monde a connu Poiffon , fameux comédien
de la troupe françoife. Il étoit bien venu
partout. Monfieur Colbert lui a voit nommé un enfant,
honneur aulïi grand qui pût arriver à un
comédien , ce qui lui avoit donné entrée chez le
miniilre, à qui il portoit quelquefois des vers à
fa louange. Un jour qu’il y fu t , après y avoir
été plufieurs fois pour tacher d’obtenir un emploi
pour Je filleul, mais jufqu’ aiors inutilement, il
làlua M Colbert y & lui dit qu’il apportoit quelques
vers qu’il prenoit la .liberté de îui préfenter.
Le miniftre rebuté de pareilles pièces, lui coupa
la parole, & le pria, très-fortement même, fie ne
point lire fes vers. Vous n’ êtes faits vous autres,
dit monfieur Colbert 3 que pour nous incommoder
de la fumée de votre encens. Monseigneur, dit
Poiffon, je vous affure que celui-ci ne vous fera
point de mal à la tête 5 il n’v a rien , dit i l , qui
approche de la louange. Monfieur de Mauleviier,
& toute la compagnie, impatiens de voir les Vers
de Poiffon , prièrent inftamment M. Colbert de les
lui biffer lire, ce qu’il permit, à'condicionqu’jl n’y
auroit point de louanges. Poiffon. commença ainfi t
C e g r a n d m in ift r e d e la p a i x ,
C o lb e r t qu e l a F r a n c e r é v è r e ,
D o n t le n om n e m o u r r a jam a is >.
Poiffon, dit M. Colbert, vous ne tenez pas votre
parole ; ainfi finiffez j je: me fouviendrai de vous ,
& vous rendrai fervice dans les occafîons y mais
vous me ferez plaifîr de ne me plus apporter de
vers remplis de mes louanges, ce n’eft point là
mon caractère. Mosffeigneur, répondit Poiffon ,
je vous jure que voilà tout ce qu’il y en a dans
cette'piece. N ’importe, n’en h fez pas davantage»
rep iqua M. Colbert. La compagnie le pria né anmoi
«* défi bonne grâce, qu’il permit avec auez
de peine à Poiffon d’achever, ce qu’il fit en recommençant
ce qu’il avoit déjalû.
Ce grand miniftre de la paix ,
Colbert que la France révère ,
Dont le nom ne mourra jamais :
Eh bien, tenèz, c’eft mon compere.
Fier d’un honneur fi peu commun,
* Eft-on furpris fi je m’étonne, 1
Que de deux mille emplois qu’on donne
Mon fils n’en puiftè obtenir un ?
Il eut l’emploi fur le champ.
Colbert fe piquoit d’une grande naiffance ; il fit
enlever là nuit dans l’églife des Cordeliers de Reims
une tombe de pierre où étoit l’épitaphe de fon <
gran i-pere , marchand de laine, demeurant à l’en-
feigne du Long-vêtu, & en fit mettre une autre
d’une vieille pierre, où l’on avoit gravé en vieux
langage les hauts faits du preux chevalier Colbert,
originaire d’Ecoffe. L’archevêque de Reims m’a
cortté , dit l’abbé de Choify, que quelque tems
après, la: cour ayant; paffé à Reims, M .Colbert
l’ alla voir , fuivi du marquis de Seignelay fon fils ,
& des ducs de Chevreufe & de Beauvilliers fes
gendres , & qu’après une courte vifîte, il remonta
en carroffe & dit au cocher , aux Cordeliers.
L’archevêque curieux envoya un grifon voir ce
qu’ils y faifoient, & il trouva M. Colbert à genoux
fur la prétendue tombe de fes ancêtres , difant les
fept-pfcaumeis, 8c en faifaftt dire à fes gendres
fort, dévotement. Il croyoit tromper tout l’univers,
ajouta le bon archevêque; & ce qui eft plaifant,
c ’eft que M. de Seignebi- étoit dans la bonne foi
& fe croyoit defeendre des rois d’Ecoffe. Il avoit .
• nommé un de fes fils Edouard-, à caufe, difoit-
H, que les aînés de fa maifon en Ecoffe avoient tous
porté ce'nom là. p
Un miniilre m’a pourtant d i t , (ajoute l’abbé de
Choify} que M. Colbert, en frappant fon fils, .( ce qui
lui eft arrivé' plus d’une fois ) lui difoiten colère :
Coquin j tu n es qu un petit bourgeois ; & f i nous trompons
le public 3 je veux au moins que tu fâches qui lu es.
M. Colbert parloit peu, & affeéloit meme une
forte de filence négatif. Madame Cornuel, femme
d’un tréforier, 8c connue par fe§ réparties, en-
tretenoit d’affaires ce miniftre, qui ne lui répon-
doit rien : ? « Monfeigneur, lui dit-elle, faites au
» moins quelque figne que vous m’entendez ».
Colbert ne fut que huit jours malade : on a dit
qu’il étoit mort hors de la faveur : fujet de réflexions
pour les miniftres. Le roi avoit écrit à
Colbert peu de jours avant' qu’il mourût, pour lui
commander de manger & de prendre foin de lui.
Le malade ne proféra pas un feul mot, après qu’on
lui eût lu cette lettre. On lui apporta un bouillon,
Sc il le refufa. Madame Colbert lui dit : « Ne vou-
» lez-vous pas répondre roi ?— Il eft bien tems
» de cela ; c’eft au roi des rois que je fonge à ré*
» pondre ». Comme eiie lui difoit une autre fois
quelque chofe de cette nature, il lui dit : « Ma-
» dame, quand j’étois dans ce cabinet à travailler
» pour les affaires du ro i, ni vous ni les autres
» n’ofîez y entrer ; & maintenant qu’il faut que je
» travaille aqx affaires de mon falut, v< -us ne me
» laiffez point en repos ». Le curé de Saint-Euf-
tache vint lui dire qu’il avertiroit fes paroiffiens
de prier Dieu pour fa fanté. « Non pas cela, dit
I M. Colbert y qu’ils, prient Dieu de me faire mi-
» féricorde ».
COLERE. II feroit à fouhaiter, dit Séneque ,
que les mouvemens de la colère ne puffent nuire
qu’une fois, à l’exemple des abeilles dont l’ aiguillon
fe rompt à la première piquûré qu’elles font.
' Rien fans doute n’eft plus propre à appaifèr la
colère y que la foumiffion de celui qui y a donné
lieu.
Un père en colère defeendant un efcalier pour
donner des coups de bâton à fon fils : Monfieur,
ne. defeendez pas davantage, lui dit le fils, penfe-z*
qu’après le quatrième degré l’on n’eft plus parent
Leibnitz a confîgné dans une épigramme latine
l’hiftoire plaifante d’un cordonnier de Leyde:
Lorfqu’ôii foutenoit des thèfes à cette üniverfité,
on étoit sûr d’y voir cet original j quelqu’un qui
s’en apperçut, lui demanda s’il favoit le latin :
non , lui répondit l’ artifan 3 je ne veux pas même
me donner la peine de l’entendre.-—• Pourquoi
venez-vous donc fi fouvent à cette affemblée où
l’on ne parle que latin ?— -C ’eft que je prends
plaifirà juger des coups.— Eh ! comment en jugez-
vous fans favoir ce qu’on dit ?— C ’eft que j’ ai un
autre moyen de juger qui a tort ; quand je vois
à la mine de quelqu’un qu’il fe fâche & qu’il fe
i met en colère, je juge que les raifons lui manquent.
COL IGN Y . L ’amiral de Coligny fut affaffmé
la nuit de la Saint-Barthelemi 1572. Quand les
r affaflins, conduits par le duc de Guife, entrèrent
. dans fa chambre, ils trouvèrent l’amiral aflîs dans
un fauteuil: « Jeune homme, d it- il à Befme
» qui ieyoit Je poignard fur lui, tu devrois refpec-
» ter mes cheveux blancs ; mais fais ce que tu
» voudras, tu ne peux m’abréger la vie que dte
» peii de jours ».
Les affaffïns, après avoir percé l’amiral de plufieurs
coups, jettèrent fon corps par la fenêtre
dans la cour, où le duc de Guife pour le recon-
noître effuya avec fon mouchoir le fang qui lui
couvroit le vifage , & l’ayant foulé aux pieds :
C'eft -bien commencer , dit-il à fa troupe, allons
continuer notre befogne.