
Quelque temps avant la mort de Voltaire, on
donna en la préfence une reprétentation d'Alzire »
( c'étoit l'ouverture du théâtre ) l'enthoufiaftiie
tue général. M. le chevalier d’Efcure'préfenta au
grand homme Coïtant de fa loge, cet impromptu
charmant :
Ainfi chez les Incas, dans leurs jours fortunés >
Les enfans du Soleil dont nous fuivons l’exemple ,
Aux tranfports les plus^ioux étoient abandonnés,
Lorique de fes rayons il éclairoit leur temple.
Voltaire répondit fur le champ par ces deux vers
de Zaïre :
Des chevaliers françoïs te l eft le cara&ère ;
Leur noblefle en tout temps me fut utile & chère.
Madame Veftris demandoit à Voltaire s'il écri=
voit encore, & s'il étoit vrai qu'il retouchât Irene.
« l'a i travaillé pour vous toute la’ nuit, répondit-
i l , comme un jeune homme de vingt ans ».
On fait qu'à quatre-vingt-quatre ans, Voltaire
paffoic des nuits à -corriger fa tragédie d'Irene.
Lorfque le mouvement de l'enthoufîafme'étoit
palfé, il difoit à fes amis : « Ne me trouvez-vous
pas bien enfant ? »>
Une dame fort vieille & très-coquette, rendit
une vifue à Voltaire dans tout fon étalage ; & prenant
oçeafion de quelque phrafe galante qu'il lui
difoit, & de quelques regards qu’il jettoit en
.même-temps fur fa gorge fort découverte : ^Comment,
M. de Voltaire. , s'écria-t-elle, eil-ce que
vous Congeriez encore à ces petits coquins-là ? — -
Petits coquins., reprit avec vivacité le-malin vieillard
, petits coquins, madame > ce font bien de
grands pendards ! »
Pendant fa dernière maladie, Voltaire re cefloit
de demander à madame la marquife de Ville tte un
notaire, dans l'intention fans doute de lui lailfer
des marques de fort fouvenir, auflî bien qu'à
pl.ufîeuis de fes amis. Cette jeune dame, trop
attendrie pour s’occuper d'elle-même, trop noble
pour penfer à de nouveaux bienfaits, après ceux
qu'elie..avoit reçus, ne manqua envers lui que de
cette complaifance. Cependant la mott qui étei-
gnoit par degrés le grand homme, n'aVoit pu
éteindre encore fa fendibilité. 11 voulut écrire, &
les derniers traits que traça fa main, fut une lettre
à fon ami d'Alembert, dans laquelle il lui difoit,
que n'ayant plus que quelques momens à vivre, il
lui recommandoit madame la marquife de Villetie.
VO YA G EU R . Qu’avez-vous vu en Grèce,
difoit quelqu'un à un voyageur qui en revenoit ?
« J ’ai vu , répondit-il, le temps qui démolit en
fileuce »•
u .
U s u r i e r . Un fameux ufurier, qui voyoit tous
les jours fes profits diminuer, alla trouver un célèbre
prédicateur pour le prier de prêcher vivement
contre l’ufure. Celui-ci, qui le croyoit converti
, lui dit d’un ton faintement animé : Ah ! mon
frère, que je me réjouis de ce qufrla grâce opère
dans votre coeur ! Vous n’y êtes pas, lui répondit
froidement Yufurier. Je vous fais cette demande,
parce qu’il y a tant & usuriers dans la ville, que je
ne gagne rien : fi vous pouviez les corriger par vos
prédications, tout le monde viendroit à moi.
Un autre ufurier, ou peut-être le même, étoit
à l’article de la mort. Son confelfeur l’exhortoit de
fon mieux, & pour rendre fon exhortation plus
pathétique, lui montroit un crucifix. Le moribond
le regarde fixement. Son confelfeur, qui le eroit
touché, lui préfente ce crucifix qui étoit d’argent.
Le malade le foulève, & dit en le rendant : “ Mon-
fieur, je ne puis pas prêter grand'ehofe là-delïos».
On pourra conclure de ce fait, que l’on meurt
comme l ’on a vécu.