
de fes fils & rôi d’Italie, s’y rendit accompagné
des officiers de l'armée, qui venoit de foumettre
les rebelles du duché de Bénévent. Le jour venu ,
Charles fut prié de prendre pour y aflifter l’ha-
billement des patrices : il ne voulut point refufer
cette légère fatisfaéfcion aux romains. Quelque répugnance
qu’il eût à porter d'autre habit que celui
des françois , il prit une longue tunique avec un
grand manteau traînant , dont un des côtés étoit
attaché fut fon épaule droite. Tout Rome, en le
voyant entrer dans l'églife , fe répandit en àlcla-
mations. II s approcha de l’autel & fe mit a genoux.
l l s’ii^%Qi|pour adorer, lorfque le pape qui alloit
célébrer la mefle, lui mit une couronne fur la tête.
Tout le peuple en même temps s’écria : « Vive
" Charles, toujours Augufte, grand & pacifique
3i empereur des romains, couronné de Dieu, &
35 qu'il foit à jamais victorieux. » Auflitôt Léon
fe profterna & fut le premier à l’adorer, difentnos
annaliffes , c’eft-à-dire à lui rendre les refpedts &
les hommages qu’un fojet doit à fon fouverain. Le
jeune Charles , fils aîné du nouveau Céfar, étoit
préfent à cette cérémonie : le fouverain pontife
lui préfenta la couronne royale, & lui donna l'onction
Sacrée des rois. Ainfi, cet empire qui avoit
fini l an 476 dans Auguftule , le dernier empereur
d’Occident, recommença dans Charlemagne, &
dure encore aujourd’hui dans le corps Germanique.
Hiftoire de France par Velly.
Charles protégea les fciences & les arts ; car
la véritable grandeur ne va. jamais fans cela. Il
avôit dans fon palais une académie de gens de
lettres & de favans, & fe faifoit honneur d’en
être membre. II nfliftoit à leurs affemblées & don-
noit fon avis fur les objets fujets à l’examen.
Eginhard, fecrctaire de Charlemagne, & qui a écrit
fa v ie, ajoute que ce prince faifoit fouvent lire
pendant qu’il étoit à table, & que cette ledture
lui paroifloit le plus doux affaifonnement de fes
repas. Nous lui devons la manière de compter
par livres, fois & deniers, telle qu’on la pratique
aujourd’hui, avec la différence que cette livre
etoit réelle & de poids, au lieu que parmi nous
elle eft numéraire.
Les rois de France avoient autrefois dans plu-
fieurs abbayes ou maifons épifcopales droit de
g îte , appellé aufli droit tialbergie ou hébergement
, pour eux & leur fuite. C ’étoit fouvent
l’une des charges des donations faites à ces abbayes
ou aux évêques. Charlemagne ufa fi fouvent
de ce droit dans le palais d’un évêque qui fe trouvait
fur'fon paflage, que le prélat, d’ailleurs généreux,
fe vit bientôt ruiné. L’empereur, qui ne
faifoit pas d’abord, attention aux dépenfes réitérées
qu’il occafionnoit à l’évêque, revint encore
lui demander fon droit de gîte. Ce prélat n’en
fut pas plutôt prévenu qu’il donna des ordres,
non pour le fervice de la table , ou pour le cou-
pher, mais pour faite balayer & nettoyer faites ,
falfons3 chambres, antichambres, 8éc. L’erftpeïeuli
qui le vit fort en mouvement pour faire exécuter
fes ordres, ne put s’empêcher de lui dire : « Eh$
I » vous prenez trop de peine : laiflez-là ce foi»
i » dont vous vous occupez : tout n’eft-il pas affezi
» net? Sire 3 répondit l ’évêque, i l ne s ’en faut
*3 guere ,• mais fefpere quaujourd’hui tout le fera de
1 cave ad grenier. *> Charles qui comprit le
reproche, lui dit en fouriant : » Ne vous em-
» barraflez pas, monfîeur l’évêque j jai la main
” aufli bonne à donner qu’à prendre j » & fur
1?, champ cé prince unit une terre confidérable à
l ’evêche.
L aventure du fecrétaire Eginhard & d’Imma ,
fille naturelle de Charles, pourrôit encore lêrvir
a faire connaître la bonté de ce prince , fi cette
aventure etoit bien certaine 5 mas elle n’ eft rapportée
que dans le Chronicon Lauris Hamenfi Coe-
nobii, publié par Freher. C e fecrétaire qui étoit
un des hommes les plus aimables de fon temps,
avoit fçu parler au coeur d’Imma. Cette princefle
1 n’ofoit d’abord avouer fa foiblefle. Mais Eginhard
qui avoit pour Imma les yeux d’un amant paf-
. fîonné , .s ’apperçut bientôt des fentimens qu’on
. youloit lui cacher> & , dans le deflèin d’en obtenir
: 1 aveu, il alla de nuit à l’appartement de fa maî-
| trefle. Il fe le fit ouvrir, fous pretexte qu’il avoit
| à parler à la princefle de la part de l’empereur;
il parla de toute autre chofe,^ & la conver-
fation fut fouvent interrompue. Il*voulut fe retirer
avant le jour , mais il s’apperçut qu’il étoit tombé
beaucoup de neige. Comme il falloit traverfer une
grande cour, il craignit que la trace de fes pieds
ne le découvrît j il fit part de fon inquiétude à'
la princefle. Quel parti prendre ? Imma s’ offrit de
porter fon amant fur fes épaules. La néceflité y
fit confentir Eginhard. » L empereur, qui par un
” effet tout particulier, de la providence, dit la
v chronique, avoit paflfé toute la nuit fans dor-
» mir, fe leva de grand matinI & regardant par la
x» fenêtre , il vit fa fille qui avoit de la peine, à mar-r
” cher fous le fardeau qu’elle porto'it. Il fut four
c h é d’admiration & en même-temps ému de
» douleur ; mais voyant qu’il y àvoit quelque
0 chofe de divin dans tout cela, il prit d’abord
” le parti de ne rien dire S Cependant Eginhard,
qui n’étoit pas tranquille fur les fuites de fon
intrigue., demanda la permiflion de fe retirer de
la cour. Charlès lui ait qu’il y penfer.ôit, & lui
marqua un certain jour , pour lui faire favoir fes
intentions. Ce jour venu , il aflembla fon con-
feil, l’inftruifit de ce qui s’étoit paffé entre fa
fille & fon fecrétaire, & demanda les avis de
l’aflemblée. Les uns opinèrent pour une punition *
exemplaire, les autres, pour un châtiment plus
doux ; mais 1e plus grand nombre s’en rapporta
à la fageflè du prince. On fit. entrer Eginhard,
& Charles lui dit que, pour le récompênfer de
fes fervices, il vouloit prendre foin lui-même de
fon'
fon mariage : Je vous donne pour femme, ajouta-t-il,
cette porteufe qui vous chargea fi bénignement fur
fon dos. Imma avoit été avertie de Venir parler
à l’empereur : elle s’avança tes yeux bailles, le
vermillon de la pudeur fur le vifage, & tremblant
fans doute encore plus pour fon amant que
pour elle-même.. Mais Charles la prenant par tes1
mains , la remit en celles de.l’heureux. Eginhard,
avec une dot digne.de la fille d’un fi grand prince.
Cette Üiftoriette ou ce con'te, comme on voudra
l’appeller, a été'‘mis en vers flamands , par
Jacob C a ts , grand penfîonnaire de Hollande, &
traduit en vers latins par Gafpard Barlée.
L ’ufage de jeûner j dü tems de Charlemagne ,
ctç»it de ne faire qu'un repas à trois heures du
foir. Charlemagne., par confidération pour Tes ;
officiers,, mangeoit,, les jours de..jeûne , à -deux
heures. Un évêque en fit- quelques reproches .àM
1 empereur, qui l’écouta tranquillement & lui
dit : « Votre avis eft bon j mais je vous ordonne
» de ne rien prendre, avant que tous mes. offi-
” ciers aient pris leur réfection ». Il y avoit cinq''
tables confecutives ; Celle de Charlemagne & de ■
fâ' famille. Elle étoit fervie par tes princes & les 1
ducs , qui ne mangeoiènt qu’après l’empereur. ;
Les comtes fervoient les ducs 5 après la table des
comtes, etoit celle des officiers de guerre, &
enfin celle des^ petits officiers du palais j en forte
que la dernière table ne finiffoit que bien \
avant dans la : nuit. L’évêque, obligé d’attendre
fi long-tems, reconnut bientôt que l’empereur
avoit raifon, & qu’il falloit louer fon attention
pour fes officiers.
La France révère Charles , non - feulement 1
comme fon héros, mais encore comme fon légif-
lateur. Ses capitulaires forment la bafe de notre
droit. Lorfqu’il fcelloit fes ordres', il 1e faifoit
avec 1e pommeau de fon épée, où étoit gravé
fon fceau , & difoit : Voila mes ordres , 6? voila,
ajoutoit-il en montrant fon épée, ce qui Us fera
refpefter de mes ennemis. Mais cé qui leur attiroit
encore; plus' la vénération des peuples, étoit la
jiiftice qui les accompàgnoit toujours.
Pafchal III l’a mis au nombre des fâints en
i ï j ’} , & fa fête eft encore aujourd’hui célébrée
dans plufieurs églifes. d’Allemagne. Ce prince
dans cet empire un grand nombre
d’ évêchés, auxquels il avoit annexé de grands
fiefs. Il fe flattoit1 fans doute que fa puiffance
contiendroit plus facilement dans le devoir un
évêque accoutume à une vie tranquille'& douce ,
qu’un noble inquiet & toujours armé.
Le le&eur nous faura fans doute gré de lui
-îïiettre fous les yeux , les principaux traits que
tes hiftoriens nous ont tranfmis, d’ailleurs, fur
Bn aufli grand prince que. Charlemagne.
Tout ce qui peut contribuer à former un grand
Encyclop édian aê
homme, fe rencontra dans Charlemagne ; un grand
;efprftv un grand coe u r , une grande âme, avec
un extérieur & toutes les qualités requifes pour
faire valoir le mérite d’un fi beau & d'un fi riche
fonds. L ’étendue de fon empire , entouré de tous
cotés , ou d’ennemis ou de jaloux de fa puiffance,
compofé d’une infinité de nations différentes
, la plupart difficiles à contenir dans le
devoir,- ne l’embarraflà jamais, quoiqu’il eût fouvent.
plufiéurs guerres à fouteiiir én même tems
en Italie , en Efpagne -, ën Germanie, fur la mer.
Ses foins & fa vigilance s’étendoiént à tout &c
par-tout, & ne manquoient guères de le rendre
vi<ftorieux. Réglant, au milieu de toutes ces guer-
res , fon état & l’églife , il fit fleurir la piété & tes
lettres^ Comme s’il àvoit joui de la plus profonde
! paix ; défeendant! dans le détail de tout, voyant
. tout par lui-même 5 toujours en voyage où en
expédition militaire, tandis que fon âge & fa
fanté le lui permirent ; également admirable à
la tête d’une armée , d’un confeil, d’un concile
& même d’une académie de favans.... Confiant
& ferme dans fes entreprifeé, il fa voie les fou-
tenir , jufqu’à ce qu’ il en fût venu à bout : il,
prenoit des mefures fi juftes , qu’il n’en manqua
prefque jamais aucune.
Sa bonté, fa patience contribuoient beaucoup
à lui attacher ceux que fa qualité de ro i, de
vainqueur ou de pere lui avoit fournis..... Il
charmoit fes courtifans par fon humeur hon-
nete A& aifee, & fon peuple par fes manières
honnêtes...... L’application qu’il avoit au gouver-‘
nement, ne paroifloit pas feulement dans tes con-
feils fréquens qu’il tenoit dans les affemblées des
feigneurs, & dans tes conciles qu’il convoquoit,
mais dans l ’emploi ordinaire de fon tems. Pref-
gue tout le jour fe paflok à donner des ordres,
a écouter tes couriers qui lui venoient de divers
endroits, & à conférer avec les minières..... Il
aypk. une maxime en matière dé récompenfes
c’étoit de les répandre fur le plus de perfonnes
qu’il pouvoir...i. La manière dont il fe compor-
toit dans fon domeftique, pouvoit fèrvir de modèle
à tous fes fujets.
( Le P . Daniel ).
Charlemagne fongea à tenir le pouvoir de la 110-
bleffe dans les limites, & à empecher l’oppreflion
du clergé & des hommes libres : il mit un tel
tempérament dans les ordres de l’état, qu’ils furent
contrebalancés , & qu’il refta 1e maître. Tout
fut uni par la force de fon génie : il mena continuellement
la nobleffe d’expédition en expédition,
j il ne lui laifla pas te tems de former des
deffeins, & l’occupa toute entière à fuivre les
fiens. L ’ empire fe maintint par la grandeur du
chef ; 1e prince étoit grand, l’homme l’ étoit da- 1, vantage. Les rois, fes enfans, furent fes premiers
, fujets, les inftrumens de fon pouvoir & les mo-
; dèles de l’ebéiffance. Il fit d’admirables régie«.