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fes idces & d elà clarté de fon ftyle 'dans' fe$ otf-
vrages les plus profonds & les iplus abftraits, il
répondit : J ai toujours tâché de tri entendre.
C e philofophe^ avouoit quelquefois que: s’il, te-
no;t toutes les vérités dans fa main, il fe garde-
roic bien dp l’oûvrir pour les montrer aux hommes.
On lait que la découverte d’une feule fit
tramer Galilée dans les prifons de l’inquifition.
•^Quelqu'un lui detnandoit- par quel moyen il
s étoit fait tant d amis & pas un ennemi ; par ees
deux axiomes, répondit-il : Tout efi pôjfible, &
tout le monde. a raifon.
Parmi les éloges que chacun s’emprefloit de
donner a cet i iuftre académicien, aucun fans
doute ne devoir plus le flatter due la queftion
de ce fuédois , qui, arrivant à Paris* demanda
aux gens de la barrière la demeure de M. de- Fontenelle.
Ces commis ne la lui purent enfeigner :
» Quoi , d ; t - il , vous autres françois* vous
v ignorez la demeure d’un de vos plus illnf-
" res citoye.ns? vous u’ êces pas dignes d’un tel
?» homme».
p£ de Pommelle avoit prêté fa plume à plu-
fieursperfonnes en place} mais ce n'eft,que dans
les derniers tems de fa vie qu’il nomma quelques
uns de ceux pour lefquels il avoit travaillé,
& qui ne vivoient plus. Il ne parloit même de ces :
ouvrages de commande, que pour dire quelque
fait fingulier , ou quelque trait plaifant dont ils
avo:ent été Ioccafion. Il ne fe^vantoit pas; if l
contoit, & contoit tres-bien, fur-xout en très-
peu de mots: il jouoit même fes contes. En voici i
un qu il faifoit très-plaifammenr , ajouré l’auteur
des mémoires fur cet homme illuftre, & fon di^
gne ami. M. de Fontenelle avoit Compofé un dif-
cours pour un jeune magiftrat.. Il en connoiffoit
fort le pere, & alloit dîner quelquefois chez lui.
Le fils, bien/fur du feçret, s’étoit donné à fon
père pour auteur de la pièce, & lui en avoir laiffé
CQpie. Un jour, mais long-temps après, le magif- *
rrat pere , qui avoir donné à dîner à M- de Fontenelle,
lui dit qu’il vouloir lui lire une bagatelle
de fon -fis , qui Airement lui feroit plarfir.
M. de Fontenelle avoit totalement oublié qu’il
eut fait ce difeours ; mais il fe le rapp. la dès les
premières lignes, & , p.ir une fort'e tle pudeur, il
ne donna a la piece que peu de louanges & très-
foi blés , & d'un ton & d'un ris qui les affoibiif-
foient encore- La tendrcfïe ou la vSriité pater-
iKelle en furent piquées, & la leaurè'ne fut peint
achevée, ce Je vois bien, dit le mag ftrat, - que
V cela n'eft pas de votre goftt. C'eft un ftyle aifé!,
naturel, pas. trop correét peut-être, un ftyle
» d'homme du monde, mais-à vous:hiifrés'méf-
93 fours de 1 academie, il faut de la grammaire -
" oc des phrafes, Sec, »
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Lors de la difpute littéraire qui s'éleva‘fur fe
para.lele des anciens & des modernes, ceux qui
loutenoient avec Perrault que ces derniers 1 em>
portoient de beaucoup fur les anciens, publioient
yar-cout en leur faveur le fuffràge de M. de Fontenelle.
Cet académicien cependant ne fut .jam*js
un partifan au/fi zélé de Perrault que ceitaires
gen's vouloient le perfuader. 11 n’a jamais été. auffi
join que lui. C ’eft ce qui faifoit dire à l’abbp'
Bignon, que Fontenelle étoit Le patriarche d'une
fecîe dont i l ri étoit pas.
On a rapporte dans les mémoires de'cet homnffc
illullre plulieurs anecdotes, qui peuvent feriir à
peindre fon càrattère > nous citerons cdle-ci. il
vivoir avec feu M. d’Aube, fon neveu à la modfe
de Bretagne, maître des requêtes. Ce ■ ■ neveuétoit
haut, dur , c o è r e , contredifant, pédant'} bon
homme néanmoins,. officieux; mémo & généreux.
Amfi M. dé Fontenelle difoit-il dé lu i, que s’il
croit d Æftile à. Commercer, il étoit facile à vivré.
M. de Fontenelle étant- un loir auprès de fon feif,
une étincelle volé fur fa robe de chambre. Plongé
dans la méditation, ou peut-être déjà <ndoïmr,
il ne s’en apperçôit point j iï'va fe coucher, &: de
bonne heure. Au milieu de la nuit, il eft réve:l£é
paf la fumée; le feu avoit prL à la robe de chambre
& de-la a la garde-robe. M. de Fontenelle fonne Fc
fe lè ve; tout le monde tft bientôt fur pied, &
M. d’Aube avant les autres. Le neveu gronde beaucoup
l’oncle, donne de bons ordres, & le feu eft:
éteint ; niais la colere de l’impétueux magiftrat
n eft pas calmée. Il recommence à gronder, cite fe
1 proverbe de la légère étincelle qui a foüvent caufé
un grand incendie; demande à M. de Fontenelle
pourquoi il n’a pas fëcoué fa robe , &c. Je voüs
promets, répliqua enfin le paifibîe philofophe,' que
f i je mets encore le feu a la maifdn, ce fera autrement.
On fut fe recoucher. M. de Fontenelle & quelque
s domeftiqOes fe rendormirent , & le lendemain
matin M. d’Aube le gronda encore de s’ être rendormi.
.
Dans un âge, cîifoît ce philofophe, oftj’etôis
'le plus amoureux , ma ,m3Îtrefie me quitte ôc
P^end un autre amant. Je l’apprends , je fuis furieux
: je vais chez èllé , je l’accable de reproches;
d>e m’écoute & me dît en riant : « Fontenelle, lorf-
»» que je vous pris, c’ etôit fans contredit le plailîr
« que je cherchois ; j ’en trouve' plus avec un autre.
I| Eft-ce au moindre plaifir que je dois donner la
33 préférence ? Soyez jufte & répotidez-moi'». Ma
foi., dît Fontenelle, vous ave% raifon , & f i je ne
fuis plus votre amant, je veux du moins refier votre
ami. '
• Madame Tencin que ce philofophe voyoit fou-
vent, lui dit un jour,'en l\u' mettant la main fur
îa -ppifrine : ce riefi pâs'un'coeur que‘vous ave£ lcry
c-efi dè la cervelle ccmike’'dans la tête., M. de Ferf-
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ttnelle reçut" très-bien cette petite plaifanterîe, &
ne fit qu'en rire.
i Le fentiment de ram’tié qui eft plus doux, plus
tranquille que celui qui naît de l’amour, convenoit
mieux à M. de Fontenelle. Ç e t homme illuftre eut
des amis, entr’autres M. Brunei, un de fes camarades
de- collège. Get ami qui étoit à Rouen, fe
trouvant dans le befoin; écrivit à M. de^Fonte-
ne lie' qui étoit à Paris : vous ave^ mille êcus, en-
ÿoye^-lès moi. m. de Fontenelle lui répondit :
c< lorfque j'ai reçu votre lettre, j’allois placer mes
V mille écus , & je ne-*retrouverois pas une auflî
m bonne occafion ; voyez donc »>. Toute la répliqué
de M. Brunei fu t , envoyer-moi vos mille écus.
M- de Fontenelle les lui envoya, & lui fut un gré
infini de fon ftyle laconique.
• Un des points de fa morale étoit qu’il falloit fe
refuler le fuperflu , pour procurer aux autres le
néccflaire. Il a fouvent répondu à ceux qui le
louoient d’une bonne aélion, cela fe doit.
\ Le duc d’Orléans avoit accordé un logement
dans fon palais à M. de Fontenelle. Depuis la régence,
il voyoit beaucoup moins fen altelfe royale,
& cela par diferétion. Cependant étant allé un
jour à fou audience, le prince lui dit: « quand
»• je vous ai logé chez moi, je comptois vous îj
»>- Voir quelquefois ». Je le comptois bien aujfi, répondit
M. de Fontenelle, mais vous ave% fait une
f i grande fortune !
Dans le fort des mouvemens du fyftême tombant
( c’étoit l’expreflion de M. de Fontenelle ) ,
je fus, difoit-il, à l’audience de M. le Régent.
n^ofois m’approcher de lui ; il m’apperçut &
vint a moi, . .. Eh bien, Fontenelle , quy a-t-il?. . .
« Monfeigneur, je n’ai qu’un mot à vousdeman-
s» der,. Je vous conjure de calmer mon inquic-
à» tude. Efpérez-vous vous tirer de-là »»?.... Oui,
mon j>auvre Fontenelle , fe men tirerai. . . .
M. de Fontenelle pofledoît ce talent fi rare dans
la convention, de favoif bien écouter. Les beaux
parleurs, foit gens d’efprit Fz. à penfées, foit
d imagination & a failhes , fe plaifoient encore
beaucoup dans fa compagnie , parce que non-
ïeulerhent ils parloient tant qu’ils vouloient, mais
auflî parce qu ils ne perdoient rien avec lui. Un
jour Madame d Argenton , mère de feu M. le
chevalier d Orléans, grand prieur de France, fou-
pant en grande compagnie chez M. le duc d’Orléans
régent, & ayant dit quelques chofe de très-
fin qui ne fut point fenti, s’écria: Â h l Fontenelle
, où es-tu ? Elle faifoit allufion au mot fi
connu: où étais-tu, Crillon ?
, L ’abbé Regnier, fecrétaire de l’académie, fai-
foit un jour dans fon chapeau la cueillette d’une
piltole que chaque memore devoit fournir; ne
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s’etant point apperçu qu’un des quarante qui étoi
fort avare ( le prélident Roze ) edt mis dans f®
chapeau, il le lui préfenta une fécondé fois; celur
ci alfura qu’il avoit donné, comme on le penfe
bien. « Je le crois, dit l'abbé Regnier, mais je
» ne l’ai pas vu ». Et moi, ajouta M. de Fontenelle
qui étoit à c ô té , je l'ai v u , mais je ne
le crois pas.
Une fervante de M. de Fontenelle éclairoit un
académicien de Marfeille, qui fortoit de chez fon
maître. Comme elle le faifoit mal, le provençal
lui dit : faites-moi lumière , je ne m'y vois pas
dans les cfcaliers. Cette fervante r.e comprenant
rien à ce jargon n'éclairoit pas mieux, & le provençal
de réitérer fa prière & fa mauvaife élocution.
M. de Fontenelle qui fuivoit, d-t t « exculez,
» monfîeur, cette pauvre fille ; elle n’entend que
« le françois »».
Cette académicien eut des ennemis, mais il ne
s’en fit aucun. La Bruyere chercha à le ridicu-
lifer fous le nom de Cydias dans fon chapitre de
la fociétc & de la converfation. L ’on connoît aufti
contre lui quelques épigrammesde Racine & celle
de Roulfeau qui finit par ce vers :
C’eft: le pédant le plus joli du monde.
M. de Fontenelle étant devenu fourd dans les
dernières années de fa v ie , Lailïbit ceux qui
venotent le voir s’entretenir enfemble ; & toute la
part qu’il prenoit à la converfation , étoit de demander
par intervalles le fujet de la converfation;
ou, comme il difoit, le titre du chapitre. A fa fm-
dité fuccéda l’afFoiblilfement de la vue. I! difoît
alors : j envoie devant moi mes gros équipages.
Fontenelle avoit un frère abbé. On lui deman-
do t un jour: « qu e fait Monfieur votre fière-2
» Mon frère , dit-il, il tft prêtre. A-t-il des béné-
»> fices ? Non. A quoi s’occupe-t-il ? I l dit la mejfe
» le matin...........E t le foir ? Le foir, i l ne fait
» ce q u il dit ».
i Fontenelle avoit beaucoup connu le cardinal de
Fleury avant fon miniftère. Surpris, dans une vifite
qu il lui fir quelques années après , de lui voir U
meme aménité ^ la même férénité; « quoi! Mon-
» feigneur, lui dit-il, eft ce que veus feriez encore
»» heureux ? »
M. <\e Fontenelle préfentant un jeune homme à
un feigneur des plus diftingués. « Voilà, dit-il,
» un grand géomètre qui eft cependant un homme
» d’e'prit ».
Le régent du royaume étoit fans ceflfe entoure
d’hommes avides occupés à le tromper. Ce grand
prince dit un jour à Fontenelle'. « je crois p. u à
» la vertu — Mon feigneur , répondit le philo>
» foplie, il y a d’honnêtes gens; niais ils ne
»> viennent point vous chercher ».
LU 2.