
répondit le bouffon , ne doutez point que ce ne
foient les médecins qui forment , dans cette ville,
le corps le plus nombreux. T u as bien peu de
connoiffance , lui répondit le marquis, de ce qui
fe pafîe dans la ville $ car à peine y a-t-il trois eu
quatre médecins. Gonelle foutient fort opinion :
on parie. Que fait-il pour gagner la gageure ï Il va
chez lui, s’enveloppe la têt« d’un bonnet de laine,
& porte à fa bouche un mouchoir plié , comme
un homme qui fouffroit beaucoup des dents : il
fe met dans l'anti-chambre du prince. Tous ceux
qui vont & viennent lui demandent en pàflànt ce
qu’il a , & lui enfeignent un remède. Gonelle a
foin d’ écrire les noms de tous ces prétendus médecins
, & les diffe'rens remèdes qu’ils lui indiquent.
Le marquis étant venu à palier, le plaint
auffi fur fon mal , & lui confeîlle de faire telle &
telle chofe. Gonelle le remercie, & dit qu’il va
chez lui pour cela. Lejendemain il vint,.comme
s’ il avoit été guéri, faire fa cour au marquis, &
lui dit qu’il croyoit avoir, gagné la gageure. En
même-temps, il lui préfente une grande lifte de
tous ceux qui lui avoient donné des remèdes pour
fon mal de dents. Le marquis prenant cette iifte,
& fe voyant à la tê te , ne put s’empêcher de
rire, & d’avouer que c ’écoient les médecins qui
ctoient en plus grand nombre à Ferrare , & peut-
être par-tout ailleurs. Il fît, en cohféquence, donner
à fon bouffon le prix de la gageure.
FO U Q U E T (N ic o la s ) , né en iû i y , mort
vers 1680. Il fut furintendant des finances. Son
fafte ruineux caufa fes malheurs. Le roi le fit
arrêter à Nantes} il fut condamné à une captivité
perpétuelle & enfermé au château de Pignerolle.
ï ) e tous ceux dont il avoir fait la fortune à la-
cour & dans les finances, aucun n’ofa fe montrer
fon ami. C ’eft dans les hommes de lettres feuls
qu’il trouva des défenfeurs ; Gourville, Peliffon ,
mademoifelle Scuderi, & fuir-tout le bon Jean
Lafontaine , témoignèrent leurs regrets, cherchèrent
à le juftifier , & firent éclater leurs plaintes en
profe & en vers.
- Mais Colbert & le Teliier montrèrent tant d’ardeur
à le perfécuter, que M. de Turenne dit,
en développant leurs fentimens de haine & de
jaloufie, M. Colbert a plus d’envie que M. Fou-
quetToit pendu, & M. le Teliier a plus de peur
qu’il ne le foit pas.
FRAGUIER (Claude-François), né à Paris
en 1666, mort en 1721 S.
L’abbé Fraguzer éroit fort connu par fon admiration
pour les anciens. Dans la lefture d’Homère
, qu’il avoit recommencée cinq ou fîx fois,
il lui arriva une chofe qui, quoique probablement
arrivée à la plupart de ceux qui en ont fait de
même leur principale étude, ne laiffe pas de pa-
roître fort finguîière. Pour mieux retenir ou pour
xeconnoître facilement tous les beaux endroits
d'Homère, il les foulignoit d’un coup de crayon
dans fon exemplaire, à mefure qu’il le lifoit. A la
fécondé le&uoe, il fut lurpris de retrouver des
beautés qu’il n’avoit pas apperçues dans la première
, & qui, plus vives encore, fembloicnt lui
reprocher une injufte préférence. Ce fcrupule fe
renouvella à la troifième, à la quatrième leél&re 5
8z de furprife en furprife, de remarques en re^
marques, l’ouvrage fe trouva prefque fouHgnê
d’un bout à l ’autre. Ce n’étoit, félon lu i, qu’après
avoir éprouvé quelque chofe de femblable, qu’on
pouvoit parler dignement du prince des poètes.
L ’abbé Fraguzer fit un voeu public en latin, de
lire tous les jours mille vers d’Homère, en réparation
des critiques audacieufesde M. de Lamotte.
FRANÇAIS. ;;On demandoit à M. Sterne,
auteur du roman intitulé , La -vie-FUes opinions de
Trifiram Shandy , s’il n’avoit pas trouvé en France
quelque cara&ète original, dont U eut pu faire
ufage : —— « Non, dit-il, les français font comme
h ces pièces de monnoie, dont l ’empreinte eft
» effacée par le frottement ».
Un petit bourgeois de Madrid alla fe plamdre à
un grand d’Efpagne : <* Monfeigne-ur , lui dit-il ,
» un de vos valets de chambre, nommé M. La-
55 rofe, a féduit une de mes fiiles,qui s’eft rendue
5» à fes follicitations fur la foi-d’une promeffe de
» mariage j le perfide aujourd’hui refufe de tenir
» fa parole : je viens vous en demander juftice??»
— Mon ami, lui répondit ce feigneur, après l’avoir
patiemment écouté jufqu’au bout : « Je fuis fâché
« de cet accident j ma s je n’y faurois que faire»
» Le fripon , dent vous parlez, Larofe, eftfrançais
n de- nation. Vous favez bien que ces meffieurs-
« là font fujets à tromper les filles qui fe fient à
» leursXermens. Il faut lui pardonner cela, à caufe
» que c’eft le vice du terroir ; car s’ il éroit efpa-
» gnol, allemand ou italien, je le ferois pendre».
Le roi de Sardaigne ayant, dans la guerre de
t7 4 1 , pris parti pour la cour de Vienne contre
l’Efpagne & la France, fon général, le bailli de
Givry, grimpa au pont d’Ormis, dans les Alpes,,
où il campa. Ce 'col eft fi élevé, qu’ on n’y trouve
ni eau, ni boisj de forte qu’on eft réduit'â boire
delà neige , & à fe paffer de feu. Les Piémontois
étant avertis qu’on marchoit à eux, firent couper
urr-pont de communication. Ils le regardoient
comme le feul chemin par où l’on pût arriver au
retranchement de Pierre longue, tous leshabitans
du pays leur ayant afluré que la crête de la montagne
étoit impratiquable. Mais bien-tôt après, le
roi Viélor apperçut des drapeaux au fommet-j. il
s’écria ? I l faut que ce foient des diables ou des
français.
Ceci rappelle ee vieux proverbe, qui difoit r
Que f i le diable fortoit de l'enfer pour fè battre „
i l fe préfenteroit aujfi-tôt un français pour accepter
le défi.
Un officier du régiment d’Orléans ayant
Voyé à la cour pour porter une nouvelle agreab.e,
demanda la croix de Saint^Lotris , mais, vous etes
bien jeun e , lui die Louis X IV ; S ir e , répondit .e
brave militaire, -on ne vit pas long temps dans
votre régiment d’O rléans.
Le français furieux Iorfqu’on lui réfifte, eft plein
de douceur & de générofitê pour un ennemi dé-i
farmé. C ’eft ce que le comte de-Salms, général
de l’infanterie ennemie, & qui avoit été fait prisonnier
par les français à la bataille de Nerwmdé,
en 1693., ne put s’empêcher de reconnoître.
Quelle nation eft la vôtre, s'écria le comte de
Salms, en parlant au chevalier du Rozel, un des
officiers généiaux de l’armée françoife ? Voiis vous
battez comme des lions, . & vous traitez les
ennemis vaincus comme s’ils étoient vos meilleurs
amis...
Les français affiègent Maftricht en 1673, avec
cette ardeur qui les cara&érife. Un foldat du régiment
du Roi fut dangereufement blefie à 1 attaque
d’une demi-lune. Comme on le plaignoit
en le voyant tout couvert de fang : ce n’eft rien ,
dit-il, le régiment a fait fon devoir.
Un grenadier du même corps, dans la même
©ccafion , remarque qu’un homme de qualité qui
le fuit en grimpant, eft tombé fur le ventre, il
îui tend la main droite pour le relever, en cet
inftant un coup de moufquet lui perce le poignet.
"Sans fe plaindre, ni s’étonner, il lui tend la main
gauche, & le relève. Les hiftoriens grecs & romains
, dit Peliffon, qui rapportent ces anecdotes,
n’auroient pas oublié le nom de ces deux hommes
intrépides
Les français ne jurtifient-ils pas encore aujourd'hui
ce reproche que leur fit autrefois un hifto-
rien italie«,? En 15 5 2 , le maréchal de^ Briffac,
commandant pour Henri II dans la partie du Piémont
, que les français occüpoient depuis longtemps
, étoit venu à bout d’emporter d’un coup
de main la ville de Quiers, dont il avoit cru ne
fe rendre maître que par un fiège régulier. Les
vainqueurs fe flattèrent ouvertement que ce premier
avantage feroit fuivi de plus grands fuccès.
L ’h’ftorien Dâvila , qui fe trouvoit parmi les troupes
efpagnoles qui défenjoient la place, dit à l’un
d’eux : « Vous avez bien fu, meilleurs les français,
»j commencer la guerre avec avantage, mais j’ef-
93 père que l’impatience & la légèreté avec- lef-
*> quelles vous conduirez vos affaires , rétabli-
» ront les nôtres ». Ce trait ayant été rapporté
au maréchal, il répondit auflà-tôt, cet étranger
nous connoît de longue main.
Le cara&ère des français eft de tourner en
pîaifanterie les évènemens les plus trilles : après
la mort de l’amiral de Coligny, on débita dans
Païi$ lin petit écrit intitulé : fajfio dominé nofiri
Gafpardi Coligny fecundum Bartholom&um. M ê m e s
moeurs, aujourd'hui.
FRANÇOIS I. Roi de France, né en 1494,
mort au château de Rambouillet le dernier de
mars 1547.
Ce prince joignoit à un goût décidé pour tous
les exercices du corps, l'adreffe néceflaire pour
y exceller , & affez de fanté pour s'y livrer fans
rifque.
François I inftitpa le collège royal par le con-
feil du célèbre Budé, pour y faire enfeigner les
langues favantes & les fciences. Il raffembla un
très-grand nombre de manuferits précieux & commença
à former cette belle & riche bibliothèque
aujourd’hui la plus nombreufe de l’univers} ce
goût pour les fciences, cette proteélion accordée
à ceux qui les cultivoient, lui méritèrent le titre
flatteur & glorieux de père & de refiaurateur des
lettres,, titre qui ne le cède qu'à ceux de bon &
de père du peuple.
Lorfqu’ il parvint à la couronne, la mode fubfif-
toit depuis long-temps de porter les cheveux longs
& la barbe courte. Mais le roi ayant été obligé,
par une bleffure qu’il reçut à la tê te , de fe faire
couper les cheveux , prit l’ ufage des italiens 8c
des fuiffes, qui portoient Us cheveux courts & la
barbe longue. La cour Limita j mais les gens
gravés & les corps de magiftrature, conférvèrent
le plus long-temps qu’fis purent, les ufages antiques.
La longue barbe diftingua les çourtifans;
tous les hommes graves fe faifoient rafer. François
Olivier, qui fut depuis chancelier, ne put
être reçu maître des requêtes , quà la charge de
faire couper fa longue barbe s 'il vouloit ajfifitr au,
plaidoyer.
Voici l’accident qui occafionna la bleffure du
roi. La cour étant à Romorentin en Berry, &
le comte de faint Pol donnant le jour des rois un
grand fouper où l’on avoit tiré le roi de la fève ,
François, fuivant les moeurs du t^mps, propofa
à la beiliqu-ufe jeuneffç de fa cour d'aller défier
ce roi du fort & de l'alfiéger dans l’hôtel du comte
de Saint Pol. Le défi fut accepté, dit duBellai5
& on prépara » pour recevoir Lennemi, des boules
de neige, des oeufs & des pommes, armes convenables
pour foutenir l’affaut dont on étoit me-»
nacé. Les munitions fe trouvant épuifées par
l’opiniâtreté des affaillans qui étoient venus à bout
de forcer les portçs de l’h ôtel, un des affai'Ians
eut l ’imprudence de jetter par la fenêtre un tifon
qui tomba fur la tête du roi. Quoique ce prince
eût été fi dangereufement bleffé qu’on défefpérât
de fa vie , il ne voulut jamais permettre qu’on
recherchât par qui le tifon avo t été jette, f a i
fait la folie , réponditril à ceux qui le preffoient
•de fouffrir que l’on fît des perquisitions, ô*. i l efi
jafie que j'en boive ma part. La fanté revint peu»
: à peji malade > qui en fut quitte pour fes