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qu'on lui faifoit de la vie auftère & fîlentieufe des
difciples de faint Bruno» qu'il en fît venir lïx à
Paris Üc leur donna une maifon avec des jariins
& des vignes j au village de Gentilli. Ces religieux
voyoient de leurs fenetres le palais de Vauvert,
bâti par le roi Robert , abandonné par fes fuccef-
feurs, & dont on pouvoir faire un monaftère commode
& agréable par la proximité de Paris : le
hazard voulut que des revenons 3 s’avisèrent de
s'emparer de ce vieux château. On y entendoit des
hurlemens affreux. On y voyoit des fpe&res traînant
des chaînes, & entr'autres un jiionitre vert
avec une grande barbe blanche, moitié homme,
moitié ferpent, armé d’une grofTe rrnffue, & qui’
fembloit toujours prêt, la nuit, à s'élancer fur les
paffans. Que faire d'un pareil château. Lës chartreux
le demandèrent à faint Louis ; il le leur donna
avec toutes fes appartenances & dépendances. Les
revenons n’y revinrent plus. Le nom d'enfer relia
feulement à la rue, en mémoire de tout le tapage
que les diables y avoient fait.
Ardivilliérs eft une terre allez belle en Picardie,
aux environs de fireteuil : il y revenoit un efprit |
& ce maître lutin y faifoit un bruit effroyable.
Toute la nuit c'étoient des flammes qui faifoient
paroître le château tout en feu ; c'étoient des
ïuprlemens épouvantables, & cela n'arrivoit qu’en
certain temps de l’année, vers la Touffainc personne
n'ofoit y demeurer que les fermiers, avec
qui cet efprit étoit apprivoifé. Si quelque malheureux
paffant y coüchoit une nuit, il étoit étrillé
d'importance, les marques en demeuroient fur fa
peau pendant plus de fix mois. Les payfans d'alentour
voyoient bien d'autres objets, car tantôt
quelqu’un avoit vu de loin une douzaine d'autres
efprits en l'air fur ce château ; ils étoient tout de
feu, & ils danfoient un branle à la payfanne : une
autre fois on avoit trouvé dans une prairie , je ne
fais combien de préfidens, confeillers en robes
rouges j mais fans doute ils étoient encore tout
en feu. Là ils étoient aflis & jugeoient à mort un
gentilhomme du pays, qui avoit eu la tête tranchée
il y avoit bien cent ans. Un autre avoit
rencontré la nuit un gentilhomme, parent d'un
préfident, maître du château> il fe promenoit avec
la femme d’un autre gentilhomme des environs >
on nommoit la dame, ce parent & cette dame
étoient vivansj on ajeutoit qu'elle s’étoit laiffée
cajoler, & quenfuite, elle & fon galant', avoient
difparu. Ainfi plufieurs perfonnes avoient vu ,
ou tout au moins, oui-dire des merveilles du
château d'Ardivilliers.’ Cette farce dura plus
de quatre ou cinq ans, & fit grand tort aii prévient
qui étoit contraint de Iaiffer fa terre à
très-vil prix : mais enfin il réfol ut de faire ceffer
la lutinerie, perfuadé par beaucoup de circonftances
qu’il y avoit de l ’artifice de quelqu'un en tout
cela. Il va à fa terre vers la Touflaint, couche
dans fon château , fait demeurer dans fa chambre
. deux gentilhommes de fes amis, bien réfolus an
premier bruit, ou à la première apparition , de
tirer deffus avec de bons piftolets. Les efprits qui
favent tout, furent apparemment ces prépaiatifs,
pas un d'eux ne parut. Ils redoutèrent celui du
, préfident, qu’ils reconnurent avoir plus de force
I &Ude fubtiiité qü'eùx.-Ils fe contentèrent de re-
; muer des chaînes dans une chambre au-deffus de
! la fie’nne, au bruit dcfquerles la femme & les en-
| fans du fermier vinrent au fecours de leur fei-
’ gneur. Ils fe jetèrent à genoux pour l’empêcher de
monter dans cette chambre. He 1 rr.onfeigneur, lui
*crioient-ils , qu'efi-ce que la force humaine contre
des gens de l’autre monde ? Monfieur de Féçau-
cour, avant vous , a voulu tenter la même entre-
prilè , il en eft revenu avec un bras tout difloqué.
Monfieur de Warfelles penfoit aufli faire le brave,
il s'eft trouvé accablé fous des bottes de foin ,
& lé lendemain il en fut bien malade Enfin ils alléguèrent
tant de pareils exemples au préfident,
que fis amis ne voulurent pas qu Î1 s'exposât à ce
que l'efprit pourroit faire pour fa defenfe, ils en
prirent feu!s là cômmiflion : ils montèrent tous
deux à cette grande & vafte chambre oùŸe faifoit
le bruit, le pifiolet dans une main & la chandelle
dans l’autre j ils ne voyoient d'abord qu’une épaifle
fumée que quelques flammes redoubloient en s'élevant
par intervalles. Ils attendent un moment
qu'elles s'éclairciffent, l'efprit s'entrevoit confufé-
mrnt, au milieu. C'eft un pantalon tout noir qui
fait des gambades, & qu'un autre mélange de
flammes & de fumée dérobe encore à leur vue. Il
a des cornes, une longue queue ; enfin c'eft un
objet qui donne de l'épouvante. L’un des deux
gentilhommes lent un peu diminuer fon audace
à cet afped. Il y a quelque chofe là de furnaturel,
dit-il à l'autre, retirons-nous-: mais cet autre plus
hardi ne recule pas. No n , non, répondit-il, cette
fumée put la poudre à canon, & ce n’elt rien
d’extraordinaire i l’efprit même ne fait fon métier
qu’à demi de n'avoir pas encore foufflé nos
chandelles. Il avance à cès mots, pourfuit le fpec-
tre, le fixe pour lui lâcher un coup de piftolet,
le tire & ne le manque pas : mais il eft tout étonné
qu'au lieu de tomber, ce fantôme fe retouine &
fe met devant lui. C'eft alors qu’il commence
lui-même à avoir un peu de frayeur. Il fe raffure
toutefois, perfuadé que ce ne pouvoit être un
efprit, & voyant que le fpeftre ne l'ofoit attendre,
8e évitoit de fe laifler faifir, il réfolut de l’attraper
pour voir s’il fera palpable, ou s'il fondra
entre fes mains. L'efprit éjiant trop preffé, fort
de la chambre 8e defeend par un petit efcalier
qui étoit dans une tour; le gentilhomme defeend
après lui 8e ne le perd point de vu e , traverfe
cours 8c jardins, 8e fait autant de tours qu’en
fait le fpeftre, tant qu’enfin ce fantôme étant
parvenu à une grange qu’il trouva ouverte, fe
jetta dedans, 8e s’y voyant enfermé, aima mieux
difparoîue quç de fe iaiffer prendre; il fondit
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contre le mur même où le gentilhomme penfoit
l’arrêter, 8e le lajffa fort confus. L'ayant vu ainfi
fondre, il appela du monde 8e fe fie apporter
de quoi enfoncer la porte de l'endroit où le fpec-
tre sétoit évanoui i il découvrit que c'étoit une
trappe qu'on fermoit au verrouil, après qu’on y
étoit paffé. Il dsfeendit dedans, trouva le pantalon
8e de bons matelats qui le recevoient doucement
, quand il s'y jetoit la tête la première ;
il l’en fit fortir. C e qui rendoit l’efprit à l’épreuve
du piftolet, étoit une peau de buffle ajufiée à
fon corps. Ce fourbe avoua toutes fes foupleffes ,
& en fut quitte pour payer à fon maître les arrérages
de cinq années, fur le pied de ce que la
terre étoit affermée avant les apparitions. Il y a
deux chofes à admirer dans cette hiftoîre, les tours
d'adreffe dè l’efprit, 8e l’intrépidité du gentilhomme
: l’abfence du fermier donna peut-être lieu
de penfer qu’il étoit le héros de la pièce.
Un fermier retournant du marché de Southam,
dans le comté de Warwik, fut affafliné. Le lendemain
un homme vient trouver la femme.de ce
malheureux, 8e lui demande avec empreffemeiit
lifon mari n'eft pas revenu la veille. No n , réplique
cette femme, 8e je fuis dans une inquiétude mortelle.
Elle ne fçauroit égaler la mienne, répond
cet homme. Cette nuit, étant dans mon lit parfaitement
éveillé, votre^mari m’eft apparu ; il m'a
montré des coups de poignard dont fon corps eft
percé, il m’a indiqué la marnière où l'on a jette
fon cadavre, & il m'a nommé l’aflaffin, qui eft
un tel. L'alarme fe répand dans tout l'endroit î on
cherche la marnière, 8eTon y trouve le corps
percé,de bleffures. On faifit la perfonne accufée
par l'efprit, on la traîne devant lé lord Raymond,
chef de la juftice de Warwick. On l’aurait jetté
dans un cachot, fi le lord RaymonJ, plus éclairé
que les autres juges, ne fe fût oppofé à cette violence.
« Il me femble , leur dit-il, Meflieurs ,
qu'on ne doit pas décider fi précipitamment fur
le témoignage de l’efprit prétendu. Je vous dirai
que toute ces hilloires d'apparitions meparoiffent
un peu incroyables ; nous n'avons, d'ailleurs ,
aucune loi par laquelle il foit permis d’arrêter un
homme fur le rapport d'un efprit. Quoi qu’il en
foit, fi cet efprit a révélé à l’accu fateur l'auteur
du crime , il ne doit pas manquer de nous en inf-
truire également.Crieur,continua le lord Raymond,
fommez. l'efprit de paroître devant nous. Le crieur
appelé trois fois, & l’efprit ne répondant point :
« Meflieurs, reprit le lord , le prifonnier, fur le
rapport de tous les témoins que vous avez entendus,
eft un homme d’une conduite irréprochable
; jamais il n'eut aucun démêlé avec l'homme
affafliné, je le déclare innocent : mais qu’on arrête
l’accufateur : fur tous les indices circonflan-
cies qu’il a donnés de l'affaflinat, je Soupçonne
tres-fortement qu'il en eft coupable »». Ou faifit
cet homme, on l’interroge; il fe coupe dans fes ;
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répon.fes , il avoue enfin qu’il eft l'auteur du
crime. ■
Un homme fort âgé, dont l’efprit étoit baiffé ,
avoit néanmoins de temps en temps des faillies
heureufes. Quelcfïi’ un difoit à cette occafion ,
que c'étoit un vieux château où il revenoit des
efprits.
REVEN U. Le comte d e ......... n'avoit que
mille écus de- rente & donnoit trois mille livres
à fon coureur, « J'ai trouvé, difoit-il, le moyen
d’avoir toujours une année de mon revenu devant
moi ».
RICHELIEU » ( Armand du Pleflis, cardinal ,
duc de) né à Paris le yfeptembre \58y , mort dans
la même ville le 4 décembre 1642.
Le grand écuyer Cinqmars, favori de Louis XIII^
crut quelque temps pouvoir balancer dans l'efprit
du roi la fortune de Rithelieu\ mais un jour que
ce favori s’abandonnoit à des difeours outrageans
contre ce miniftre, Louis lui împofa fîlence. « Je
vous aime beaucoup, lui dit ce prince, & je
n'aime point M. le cardinal. Cependant fi vous
lui rompez en vifière, n'attendez pas que je prenne
votre parti contre lui j .mes affaires font en telle
fituation que je ne puis me paffer de mon miniftre :
je ne les gâterai jamais pour l’amour de qui que
ce foit ». C ’eft ce même Cinqmars qui, quelque
temps après, porta fa tête fur un échafaud pour
avoir confpiré contre l’état par haine pour Richelieu.
Le cardinal de Richelieu envoyant faire compliment
au duc d’Epernon , & favoir en quel état
il étoit, le d u c , qui dans ce moment difoit fes
prières, répondit au gentilhomme, qui vînt de
la part du cardinal : « Vas , dis à ton maître que
je fais fon métier & qu’ il fait le mien ». En effet
le cardinal étoit celui qui difpofoit du gouvernement
des armées.
Le cardinal de Richelieu avoit pris un tel af-
cendant fur l’efprit de Louis X I I I , que la réfolu-
tion ayant été prife de fecourir le duc de Mantoue
contre les efpagnols qui avoient envahis fes états,
il fe fit donner un pouvoir fi extraordinaire de
généraliflime de l’armée, que M. d'Epernon dit
que le roi ne s’étoit refervé de tout fon pouvoir,
que celui de guérir les écrouelles.
Le cardinal de Richelieu montant le grand degré
de Fontainebleau accompagné d'une cour brillante
, le duc d'Epernon qui defeendoit fuivi de
peu de perfonnes , & dont le crédit déclinoit, lui
dit : « Vous montez, & je defeendsj ce miniftre
lui répondit : « Si Dieu m’avoit donné plus de
far.té & de force , je monterois plus vîte que vous
ne defeendez «.
Le cardinal de Richelieu avoit coutume de- dire