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les capucins ne fongeroient plus à-lui' , après une
abfence de fept à huit ans. 11 fit abjuration de fon
apoftafie, & par une audace fïngulière , cet homme
qur étoit moine & prêtre, fe maria à Saint-Sulpice,
avec Sufanne Leclerc 3 fille d'un guichetier de la
. Conciergerie.
#Dubois,, naturellement caufeur Se charlatan 3
■ sintroduifit chez plufîeurs gens de qualité $ Se
s attira la confiance de quelques-uns 3 entr'autres
de 1 abbé Blondeau 3 oncle de madame de Chàvi-
gny Bouthillier, efprit foible Se crédule, qui le
regarda comme un nomme merveilleux , poffédant
les fecrets les plus rares 3 8e particuliérement celui
de faire de fo r avec la plus grande facilité. Ce
' fut Cet abbé qui le fit cônnoître du fameux père
Jofeph , ayant préalablement obtenu de lui qu'il
ne le feroit point rechercher pour fa vie palfée.
.Le pere capucin- promit tout ce qu'il exigea de
lu i, dans l'efpérance de procurer au cardinal de
• Richelieu 3 fon protecteur 3 un adepte qui alloit
augmenter la grandeur de fon éminence & la ri-
cheffe de la France j qui devoit donner les moyens
de foulager les peuples 3 Se fournir abondamment
à toutes les dépenfes des guerres ruineufes , contre
les ennemis du roi. Son éminence ne tarda pas
d'être informée de cette heureufe aventure } Se
comme le père Jofeph avoit tout afeendant fur
fon efprit 3 elle ne forma aucun doute fur ce qu’il
lui raconta. Enfin il fut arrêté que le fabriquant
d'or travailleroit enpréfence du roij delà reine,
du cardinal , du père Jofeph 3 de l'abbé Blondeau
des furintendans Se autres, qui avoient intérêt à
la réuflîte du grand-oeuvre. Le jour étant pris 3
Dubois fe rend au Louvre 3 apporte une coupelle
8c un creufet pour fon expérience} allumé le feu ,
y met fes vaiffeauxj & de peur qu'on ne lefoup-
çonne de fourberie., il accepte pour aide de fon travail
^ un garde-du-corgs , nommé Saint-Amour,
que le roi lui-même lui choifit. Tout étant dif-
pofé 3 Dubois demanda à haute voix s'il plairoit à
fa majefté de commander qu'un de fes foldats
donnât dix ou-douze balles de moufquet pour
les convertir en or $ ce qui fut fait fort folemnelle-
ment & avec tout l’appareil'du myftère. Le plomb
mis dans la coupelle , on donna au feu le degré
de chaleur néceflàire pour en tirer l’effet tant de-
firé. Dubois fit voix en même-temps qu'il jettpit
fur les balles la valeur d'un grain de la potiare
de projeCtion. Après quoij il couvrit de cendrés le
plomb qui étoit darts la coupelle , comme chpfe
nécelfaire, dit-il , à fon procédé j &^fans dpçtë
afin de mafquer mieux fes manoeuvres. Le temps
venu de faire voir le réfultat de cette grande opération
3 Dubois , fous prétexte d'arranger la coupelle
3 gliffà adroitement, fans que perfonne s'én
apperçut, un certain poids d'or fous la cendré
comme il I'a.depuis confeflfé au procès. Etant alors
alluré d'avoir de l’o r , il fupplia le roi de vouloir
bien lui-même écarter peu a peu les cendres avec
a l c
un Loufflet 3 6u d’en donner l’ordre a qui il lui |
plairoit. Le roi ne voulut confier ce*1 foin à per- .
fonne 5 Se comme il fouffloit fort3 dans l’impa-f
tience de découvrir cet échantillon des richeffes I
infinies qui lui étoient promifes 3 les fpeCtateurs 3
tous très-interelTés 3 très-curieux , très-attentifs |
recevoient les cendres quivoltigeoient fur les aflif- "
tans, Se la reine elle-même s’en laifloit accabler.
Enfin 3 lorfque le rameau d’or parut, il excita
dans toute l'affemblée un cri d'allegreffe, Se caufa
une furprife fi agréable,. que fa majefté Se fon
éminence embrafierent Dubois , Se lui prodigue- f
rent leur faveur 3 Se les témoignages de leur fatis- ^
faCtion & de leur reconnoiffance. Le roi, dans fon I
enthoufiafme 5 le déclara noble & le fit chevalier,
en lui donnant la belle petite accollade, à là façon
des anciens preux Se chevaliers de la Table |
Ronde. Il lui conféra en même-temps l’office de
préfident des tréforeries de France , de la nouvelle
création à Montpellier, Se lui permit de chaffer
dans toute l'étendue de fes plaifîrs. Le cardinal f
dit qu'il falloit ôter les tailles 3 taillons , fubfides,
Se toutes les impofitions qui font à charge au 1
peuple j qiiele roi ne réfervéroit que fon domaine ■
avec quelques fermes Se droits feulement 3 comme
des marques de fa fuzeraineté Se de fàpuiffance
fouveraine 5 il annonçoit la renaiffancé de l'âge
d'or , & là fuprême domination de la France fur
toutes les puiffances de l'Europe : le chapeau du
cardinal fut de nouveau promis âu père Jofeph.
L'abbé Blondeau fut nommé confeiller d'état^ & -
reçut le jour même fes lettres , avec promeffe du
premier évêché, vacant. Saint-Amour eut huit mille
francs pour avofr ^idé à cette belle oeuvre ; enfin
toute la cour étoit dans le rayiffement Se dans
1 ivreffe de la joie. Dubois fit une nouvelle expérience
^ Se employa le .même tour de foupleffe pour
entretenir l'enthoufiafme de fes fpeélateurs. Le
roi tira lui-même du feu le creufet aveç des pin-
cèttes. Laïvue de ce nouveau lingot caufa un re-
doublèment de plaifir , quoique cet or fut moindre 8
que Je premier qui pefoit neuf oncès , ce fécond •
n'étant que de quatre. On envoya auffi-tôt cher-
cher un orfèvre qui 3 après avoit fait l'effai de ces i
deux échantillons, trouva qu'ils n'étoient autres
que des piftoles , c'eft^à-dire à vingt-deux karats.
Dubois craignant que ce rapport fi parfait avec la
monnoie ne fit foupçonner quelque chofe, s'em-
p'refTà de dire que pour fes èflais ilfàifoit de l'or à
ce titre j mais que dans fon travail en grand dû
là transmutation, fon or feroit pur à vingt-quatre
karats. Cétte raifon contenta l'affemblée qui fe |
plaifoit. dans fon illufion.j mais elle parut très- I
fufpeéle à l'orfèvre.
Les expériences' étant faites , Se rie laiffant rien j
à defirêr, le cardinal tira Dubois à part ; il l'en- ‘
tretint fur l'or qu'il devoit fournir^dorénavant 5 d
lui dit que le roi avoit befoin ©égulïèçement de fix
cents mille francs par femaine 5 Se le charlatan j l §
a l c
l'etff onterie. de les promettre , pourvu qu|on lui
laiffàt feulement dix jours pour donner^ difoit-A,
la dernière perfedion de çuiffbn a neuf onces de
poudre dé multiplication qu il avoit, & qm, par
un accident, avoit été tnemiee (jargon de 1 art
pour dite aigrie & altérée) s ajoutant qud vouloitiporter
cette poudre" a fa perfeaion, & fa ne
un for purifié. Le cardinal lui répondit qu il lui
âccbrdoit non-feulement d-:x- jours , mais vingt,
s'il!en avoit befoin. Dubois, au lieu de faire un
travail qu'il favbit bien inutile , prend le plailir de
la chaffe , fait grand'chère chez lui, aflemble tous
les adeptes de fa connoiffance, les régale avec
magnificence, les entretient de fes fucces Se de ta
fcieîice fublîme. Il eft regardé par-tout comme un
homme extraordinaire , Se en quelque forte divin.
Cependant le tems fe palfoit, Se rien neTe pre-
paroit ; le cardinal envoya le pere^Jofeph folliciter
le faifeur d'or de fe mettre a 1 oeuvre j il demande
quelques jours qu'on lui accorde , Se qu il
ne met pas mieux à profit. Le foin'étoit pas moins
impatient de voir de gros faumons d or de cinq^ a
fix cents mille livres que Dubois avoit promis.
Comme ils ne paroiftbient point 3 cm eut des foup-
Çons, &, bientôt des craintes d'avoir été dupe 3
ce qui n'étoit que trop vrai. Il y "eut des ordres
pour veiller de près ce charlatan, Se 1 empecher
ae prendre la fuite, comme en effet il le médi-
toit. Enfin fon éminence l’envoya chercher _dans
une de fes voitures. Etant arrivé à Rue l, le cardinal
ne voulut point le voir, Se le fit enfermer
pour travailler. Dubois fit ou feignit de faire
beaucoup d'effais qui ne produifirent rien. Alors
on ile transféra au château de Vincennes , .où ,
-après beaucoup de tentatives encore inutiles, il ne
biffa plus douter qu'il ne fût unimpofteur. M. de
la fermas vint le prendre dans un carroffe Se le
conduifit à , la Baftille. M. le cardinal ne lui pardonna
point de l'avoir abufé fi publiquement Se fi
folemnellement. Il nomma une commiflion pour
faire fon procès j Se fon éminence voulant paroître
avoir été trompée par un art furnaturel, auquel
toute fa politique avoit été forcée de céder , elle
fit principalement infifter fur le fait de magie dont
Dubois fut accufé. Avant de procéder , M. de la
Fermas, chef de la commiflion, prit des inftruc-
tions des alchymiftes } il lut quelques traités de
leur vaine fcience , d'après lefquels il interrogea
Dubois en grand détail, dans les termes de l’ art
hermétique, enfuite fur la magie, Sç fur la rognure
des monnoies d’o r , qui étoit le malheureux talent
de ce fourbe Se fa coupable reflource, quoiqu’il
tien voulût pas convenir. Après dix ou douze
jpurs d'interrogatoire , il fut condamné à la
queftion pour confefler la vérité , & avouer qu'il
avoit eu deflein de tromper le Roi Se fon éminence.
Alors Dubois eut l'effronterie de foutenir qu’il
étoit point coupable de ce projet, Se que même,
pour fe jufîifier, il étoit prêt de répéter fes ex-
iénences 8e ,de faire de l'o^. Oü le relâçha, aulfiÀ
L C 3?
eôt, Se-comme on eft toujours crédule pour ce
qu'on defire^"3 on lui fit apprêter dès le lendemain
ce qui étoit néceflàire pour fon travail. Cependant
deux des plus habiles orfèvres de Paris fu-'
rent avertis de venir le voir opérer, & de prendre’
garde à fes tours de foupleffe. Dubois allume fon
feu à fa manière. Des nommes font ponéhielle^-
ment ce qu'il ordonne , il ne touche qu'à peu
de chofes j Se toujours obfervé par les deux orfèvres,
manquant d’ailleurs de la poudre d'or
qu'il n'avoit pu fé procurer dans la_ prifon , il
traîna fes expériences jufqu'à la chute du jour ;
à la fin il y renonça, difant qu’ il n étoit point
libre, & qu'il ne vouloitpoint enfeigner fon fecret
à. des gens qu'il ne connoiffoit pas. Mais quand
il vit qu’on alloit de nouveau l'appliquera la
queftion, il promit de faire l'aveu ae toutes fes.
fourberies , Se il découvrit les moyens qu'il avoit
employés pour en impofer au r o i , au cardinal &
aux Miniftres. C e premier crime confeffé, il fut
interrogé fur la magie , à laquelle on avoit encore
dans ce temps la fimplicité de croire. On prétend
même qu’il en fut convaincu, & qu’ il ne put
s'empêcher de l'avouer. Son interrogatoire étoit
fondé fur un accident qu’on fuppofe qui arriva
une nuit à l’un des gardes de fon éminence, lorfque
ce fourbe étoit retenu à Ruel. On rapporte
que ce garde s’étoit plaint d’avoir été rudement
battu fur les deux heures après minuit, fans qu'il
pût jamais voir ni toucher celui qui le frappoit j 8£
l'on fit courir le bruit que c rétoit un diable que
! Dubois avoit lâché contre lu i, pour fe venger de
quelque mauvais traitement. C e fait , avec plu-
fieurs autres, font cités dans le procès comme
preuves de fa forcellerie. M. de la Fermas l'interrogeant
fur cette magie, dont il fe défendoit foi-
blement, lui demanda pourquoi les diables qui
étoient à fes ordres, ou fes amis , ne l'enlevoient
point de fa prifon, ou ne lui apprenoient pas le beau’
fecret de faire de l’or dont il s'étoit tant vanté ,
qui étoient les deux chofes dont il avoit le plus de
befoin dans la fîtuation où il fe trouvoit pris.
Mais il ne dit rien à ces queftions auxquelles il
n’y avoit en effet point de- réponfe. Après ce fécond
chef d'accufâtion, on paffa à un troifième
plus ré e l, ce fut la fauffe monnoie 8e la rognure
dès pièces d’or. A cet égard on trouva chez
Dubois beaucoup d'outils Se de pièces de conviction.
Cette poudre d’or des monnoies étoit l'appât '
que ce maître fourbe employoit pour attraper les
perfonnes crédules ; car avec la valeur de huit ou
dix piftoies, dont il faifoit de petits lingots q u i}
lui fervoient d’effais Se de montre pour un plus
grand ouvrage qu’il promettoit, il attiroit des fix
ou fept cents écus ae la part de ceux qu'il prenoit
dans fes filets. L'abbé Blondeau, qui étoit fa dupe
& fon confident, lui avoit avancé jufqu'à huit 1 mille francs avant qu’il le f ît connoître au pèrs
Jofeph.-
Pubois cqmpofé un petit livret où ü
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