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fan palais, -& l'honneur de manger fouvent à fa
table.
Une ^hofe q urnc dépritne ni fes talens ni fa
perfonne aux yeux de laraifon, c’eft que Michel-
Ange étoic fart laid.
Voici peut être la caufe de fa (aideur. Il fit
de fi grands prpgrès chez le fçujpteur q.ui s’étoit
chargé de cultiver fes talens , que fa fupériorité
trop marquée > lui attifa la ,haine de fes camarades
; l'un d’entr’eux f le frappa même un jour fi
rudement au vifage, qu'il en a porté des marques
toute fa vie.
Content du zèle, & de l’affe&ion d’un de fes
domeftiques*, il lui demanda un jour ce qu’ il d,e-
viendroit, s'il venait , à le perdre. — Hélas!
» Monfieur, répondit le dqmçftique, il me faudroit
03 chercher un autre maître ». — Pauvre homme ,
oo lui dit Michel Ange, je veux te garantir .de
03 cette fe.ryitude >». — Et il lui fit préfent de
deux-mille écus.
.Lafolitude a.voit pour lui beaucoup de charmes ;
& il diffit que la peinture étoit une- maitreffe
extrêmement jaloufe, qui vouloitun amour fans
partage.
Quelqu'un lui demandant un jour pourquoi il
ne fe marioit pas, il répondit que la peinture
étoit fa femme, & que fes ouvrages écoient fes
enfans.
Buonarroti avoit une fi grande paffion pour
lés ftatues qu’on voit à Rome dans la cour du
Belvedere , qu’il les vilitoit tous les jours. Il fe
fatfoit même conduire auprès de ces flatues ,
lorfque la vieilleffe l'empêcha de marcher. Quoiqu’il
devînt totalement aveugle vers la fin de fa
vie , il n’ ipterrompit point fes promenades ordinaires'.
Il tâtoit, pendant plufieurs heures, les
antiques qu’ il ne pouvoit plus contempler , 8c
ne les quittoit qu’après les avoir tendrement em-
braffées.
On conferve dans le cabinet du grand- duc
dé Tofcane, la tête de Brutus, fculptée par Michel
Ange, 8c qui n’eft qu’ébauchée. Cet artifte
ne l'acheva point, parce qu'il craignoit, difoit-
î l , de partager le crime de ce fameux parricide,
en lui donnant, par fon cifeau, une fécondé
vie.
On lit au bas de ce. bufte informe ce difiique
latin. *
Dum Bruti eÿigiem fculptorde marmore ducit,
In mentem fccleris venit, & abjlinuft.
La ville de Bruges, doit au hafard la pof-
feflîon d’un beau grouppe de marbre blanc, fait
par Michel-Ange : c ’eft une Vierge grande comme
nature, 6c qui tient l’Enfant-Jéfus debout devant
elle j il eft fur l’un des autels de l’églife colle'-
giale de Notre-Dame; 8c l’on en fait un fi grand
cas , qu’on le tient, dans une caiffe vitrée de
tous les côtés. Ce grouppe admirable .étoit def-
tiné pour Gènes j mais le navire qui en • étoit
charge, fortoit à peine de Civita-Vecchia, qu’il
fut pris par un cc.rfaire hollandois ,'qui conduifit
fa prife à Amfterdam. Lors de la vente des effets,
perfonne ne connoilîant le mérite de ce précieux
morceau de fculpture, un négociant de Bruges
en fit l’acquifition pour une fomme très-modique
; 6c de retour dans fa patrie, i! le donna
à l'églife de Notre-Dame, dont il étoit mar-
guillier. Milord Walpole , en a depuis offert
30000 florins, ( 60000 livres, ) fans pouvoir
l'obtenir.
Michel - Ange, perfuadé qne l’ancienneté de
quelques ouvrages jugés antiques, eft fouvent
douteufe , voulut .s’en affurer davantage , &
prouver aux favans l’incertitude de leurs connoif-
fances. Il fit à Florence la ftatue d’un Cupidon ;
8c, lorfqu’ il fut à Rome, il l’enterra dans un
endroit de la campagne, où l’on devoit fouiller,
apiès lui avoir caffé un bras, qu’il garda avec
foin. Cette ftatue fut trouvée en effet 5 les con-
noiffeuts la déclarèrent antique, & vantèrent
beaucoup le travail de l’artifte grec, auquel il
leur plut de l’attribuer. Le cardinal de Saint-
George l’acheta, comme un des plus beaux ouvrages
de l’ancienne Grèce , 8c crut être fort
heureux de fe la procurer, même en la payant
très-cher. Quel dut être l’étonnement & la honte
des prétendus connoiffeurs du goût antique ,
quand Michel-Ange vint reclamer fon ouvrage , 8c
montrer le bras qu’il avoit confervé !
Michel-Ange peignit une Léda , pour le duc de
Ferrare; s’appercevant qu’on n’avoit point pour
cet ouvrage l’eftime qu’il méritoit, ij l ’envoya
en France, François I l’acheta , & le fit placer
à Fontainebleau. Léda étoit repréfentée animée
d’une paffion fi vive 8c .fi voluptueufe, que Def-
noyers, miniftre d’état fous Louis X I I I , voulut,
par fcrupule, qu’on brûlât ce tableau.
Raphaël, travailloît dans, une des chambres du
Petit-Farnèfe ; Michel Ange si y rendit en fecret»
8c, fans rien témoigner de ce qu’il pe.nfoît des
ouvrages de fon rival, il fe contenta de deffmer
fur la muraille, avec -du charbon , une tête de
Faune, d’une proportion beaucoup plus grande
que les figurés qu’ il voyait peintes. Raphaël ne
l’eut pas plutôt apperçue, qu’ il s’écria, qu’ elle
ne pouvoit avoir été faite que par Michel Ange.
On prétend qu’il fentit.le confeil qu’on lui don-
noit, 8c qu’il en profita. On ajoute qu’aimai'.t
mieux laiffer une partie de fon,.ouvrage imparfaite,
il ne voulut point.effacer cette belle tête,
qui eft encore foigneufement confervée.
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Jules II, appela Michel-Ange à Rome, le fit
travailler à différens ouvrages, 8c permit que cet
Artifte vînt fouvent l’entretenir en liberté. Un
jour que Buonarroti fe préfenta pour faire fa
cour au pape, l'huiffier de la chambre lui dit
brufquement qu’il avoit ordre de ne point le laiffer
entrer. Regardant ce procédé comme un affront,
î’artifte dit à l'huiffier, d’affurer le pape que fa
fainteté defiretoit de le voir un jour, fans pouvoir
y réuftir. Il fortit furieux , 8c partit dès la même
nuit pour fe rendre à Florence.
Arrivé à Florence, il n’y refta pas long-temps
en repos; Jules écrivit trois fois à la feigneurie
de Florence, pour redemander un homme qui
lui étoit néceffaire. Après bien des irréfolutions,
Michel-Ange fe décida enfin à céder aux inftances
du fouverain pontife; mais il craignoit l’humeur
violente de ce pape, que Ici moindre chofe met toit
fouvent en fureur. Ses alarmes étoient fi vives ,
qu’il fût fur le point d’aller en Turquie, où Soliman
lui propofoit de bâtir un pont fur le Bof-
phore , pour paffer de Conftantinople à Fera.
Pendant fon féjour à.. Bologne, Jules I I , fou-
haita que notre artifte lui fît fa ftatue de la hauteur
de cinq braffes , 8c qu'elle fût je.née en
bronze. Il en vit bientôt le modèle. Cette figure
élevoit un bras avec tant de fierté, qu’il ne put
s’empêcher de demander à Michel-Ange, fi elle
donnoit la bénédiction ou la malédiét on. ——
« Elle avertit le peuple de Bo’ogne d’être plus
« fage à l’avenir », — répondit l'artifte, faifant
allufion à une révolte de cette ville, que le pape
venait de châtier. Après cette réponfe, qui fent
un peu la flatterie, Michel - Ange propofa de
mettre un livre dans l’autre rr.ain de la ftatue ;
— «. Mettez-y plutôt une épée, lui rep- rt't le
» fouverain pontife; car je ne fuis point homme
» de lettres ».
Cette ftatue fut place'e fur le fronrifpice d’une
églife de Bologne, où elle ne refta pas longtemps
; les Bentivoglio étant rentrés dans cette
ville, elle fut mife en pièces par ceux de leur
fiétion. Le duc de Ferrare en acheta les débris ;
il n’en conferva que la tête qui étoît entière, 8c
fit fond re le refte, pour en faire une pièce d’ar-
tfll erie , qui fût nommée la Julienne. Cette destinée
eût peut-être flatté l’ame martiale de Jules II,
s’il eût pu la prévoir.
Michel-Ange , de retour à Rome, fe mit à
peindre la chapelle de Sixte. Son deffein étoit
de travailler à cet ouvrage avec le plus grand
foin ; mais l’impatience de Jules venoit fouvent
le troubler. C e pape, laffé d’attendre, 8c croyant
que fes defirs dévoient être remplis auffitôt que
formés, lui dit un jo u r , dans un tranfport de
colère : —« « Si vous ne finiffez pas promptement,
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» j e v o u s f e r a i j e t t e r d u h a u t e n b a s d e v o s
» é c h a f f a u d s »». —
Michel-Ange le connoiffoit capable de lui tenir
parole j âufli fe hâta-t-il d’achever , évitant
même, pour aller plus v îte , d’enrichir d’or les
draperies de fes figures, & de les orner de couleurs
éclatantes. Lorfque le pape vint les voir ,
il en fut mécontent, 8c prétendit qu’elles n’é-
toient point fi riches que les autres tableaux dü
même artifte. Michel-Ange-3 fenfible à ce reproche,
lui répondit fièrement : — « Les perfonnages-que
M j'ai repréfentés ne portoient point d’or ni de
33' magnifiques parures ; c ’étoient de vrais chré-
» tiens qui méprifoient les* richeffés ».—
Jules' careffoit 8c maltrâitoit tour à-tour cep
artifte : mais fes vivacités n’étoient pas plutôt
paffées, qu’il s-éfforçoit de le^ lui faire oublier.
Un jour que Michel-Ange demandoit au fougueux
pontife la perm'iflron d’ aller à Florence pour un
certain temps : — « Et ma chapelle, auaod fera-?
33 t-elle finie , dit le pape? — faint père, quand
» je pourrai j répondit-il froidement. — Quand tu
»3 pourras! reprit le pape avec fureur, je te; i à
33 ferai bien achever ».•. — En difant ces. mots ,
il le frappa d’un bâton , dont il etoit toujours
muni. Michel-Ange'0utré , fe retira promptement,
fongeant acquitter Rome pour n’y p’us revenir1.
Mais à peine étoit-i! rentré chez lu i, que le
Camerier du pape lui apporta cinq cents écus ,
& le pria d’exeufer un eu.portement', qui n’etoit
que paffager. L’artifte voyant queL'humeur fôn-
gueufe du pape tournoit a fon avantage, ne fe
fâcha plus, & n’ en fit que rire.
En peignant le plafond de fa fameufe chapelle,
Michel-Ange s’accoutuma tellement à regarder les
objets de bas en haut, qu’après avoir terminé ce
grand ouvrage, il fut long temps fans pouvoir
bailler les yeux ; en forte que s’il avoit à lire une
»lettre, ou à fixer quel qu’autre ob jet, il étoit
contraint de le tenir au- deffus de fa tête.
Dans un tableau qui repréfentoit l’enfer,
* MickekAnge peignit au milieu des flammes un
cardinal qu’ il n’aimoit pas, 8c le rendit fi reffem-
blant, qu’il étoît très-facile de le reconnoître.
Léon X , proteéleur des arts, allant fouvent
; voir travailler notre artifte 3 n’eut pas de peine
à démêler les traits du cardinal fi mal traité,. 8c
voulut engager le peintre à l’effacer de fon tableau
: mais celui-ci refufa de fatisfaire fa fainteté,
8c lui dit pour exeufe : In inferno nulla. redemptie «
. ( dans l’enfer il n’èft point de rédemption).
Michel-Ange a vécu fous plufieurs papes. Lorf-
qu’Adrien V I , alloit dans la chapelle du V atican
où cet artifte a re pré fente le jugement
dernier, il difôit, à la vue des nudités dont el'e'
eft remplie, qu’il lui fembloit entrer dans l’étuve
d’un baigneur.