
ferment. » Eh bien! fire çhevalier, reprit-elle, je
» vous requiers fur la foi que vous m'avez don- !
» née, que fi les farrafins prennent cette ville,
» vous me coupiez la tête avant qu'ils me puif-
» fent prendre ». C e bon gentilhomme répondit :
Que très-volontiers il le ferait, & que jà l'avoit-il
eu enpenfée d‘ainfi le faire , f i le cas y échéoit. Tous
deux oublioient le précepte de la religion } on ne
peut néanmoins s’empêcher d’admirer dans cette
demande & dans cette réponfe un courage & une
franchife dignes des fiècles les plus héroïques. Le
monarque prifonnier traita de fa rançon > on lui
vint dire que le fultan exigeait la rellitution de
Damiette & un million de befans d’o r , tant pour
fa rançon que pour celle des autres captifs. Louis
répondit avec une noble fierté : « Qu'un roi de
France n’étoit point tel qu'il voulût fe rédnner
» par aucune finance^de deniers} mais qu'il ren-
» droit la ville pour fa perfonne, & paieroit le
=° million de befans pour la délivrance de fa gent ».
Le fultan, étonné de la générofité du monoïque
françois, qui lui avoit accordé, fans la moindre
difficulté, la fomme exorbitante qu’il demandoit,
lui remit, par reconnoiffance ,. deux cents mille
befans. Mais ce fultan ayant été maffacré quelques
jours après par les mammelucs, dont fon père
avoit établi la milice , Louis éprouva de nouvelles
difficultés. Les émirs firent propofer au ro; de
confirmer le traité par un ferment qui alarmoit fa
religion. Comme le prince s’y refufoit conftam-
ment, ces émirs, outrés de colère, vinrent en
foule fondre dans fa tente , le fabre à la main,
& crijnt d'un ton menaçant : « T u es notre cap-
» t i f , & tu nous traites comme fi nous étions
» dans tes feis! il n'y a point de milieu, ou la
» mort, ou le ferment tel que nous l'exigeons».
Dieu vous a rendu maîtres de 'mon corps , répondit
froidement le monarque} mais mon âme efi entre
fes mains j vous ne pouveç rien fur elle. On peut
douter que Rome ou la Grèce fourniffe l'exemple
d'une intrépidité plus fublime } & les fiers far-
rafins furent obligés de lui foumettre leur férocité
naturelle.
Louis 3 dans la fécondé croifade qu'il entreprit
en 1270, ne fut pas plus heureux ; il périt même
de la contagion devant Tunis, en donnant à fon
fils ces avis céièbres, que le dauphin, fils de
Louis X IV , dans l’hiftoire de France, qu'il a
' écrite fous les yeux de fon précepteur, appelle
le plus bel héritage que faint Louis ait laiffé à fa
maifon : « Mon fils, mon cher fils, lui difuit-il,
«« fais-toi chérir du peuple : on n'eft roi que pour
». être aimé } & c'eft à cette condition que je
» defire transmettre le trôné à ma famille. Si mon
» peuple devoit être malheureux , j’aimerois
mieux qu'il le fût par un étranger que par les
» miens »•
LOUIS X, roi de France & de Navarre, fut
furnemmé Hutin, c'eft-à-dire, mutin, à caufe de
fon caractère querelleur. Son règne ne fut que de
dix-huit mois. Il fe vit obligé de différer fon facre
à caufe des troubles de fon royaume, pendant
lefquels fon oncle Charles de Valois fe mit à la
tête du gouvernement, & fit pendre Enguerrand
de Marignt à Mautfaucon , gibet que ce mjniftre
avoit lui-même fait dreffer fous le feu roi Phi-
lippe-le-Be!.
LOUIS X I , roi de France, né en 141$, mort
en 1485.
Le caractère doihinant dé Louis X l fut des
rapporter tout à l'autorité royale. Quelque deffein
qu’il formât, quelque parti qu’il prît, il n'ou-
blioit jamais qu’il étoit roi ; dans fa confiance
même, il mettoit toujours une diftance entre lui
& fes fujets. Sa maxime favorite étoit de dire :
« Qui ne fait pas diflimuler, ne fait pas régner.
« Si mon chapeau favoit mon fecrét, je le bru-
» lerois ». Il avoit le coeur ferme & l'efprit
timide. 11 étoit prévoyant, mais inquiet ; plus
affable que confiant} il aimoit mieux fe faire des
alliés que des amis.
A l’entrée de Louis X I dans la ville de Tournai,
en 1463 , de defifus la porte defeendit par
une machine une fi le la plus belle de la ville,
laquelle, en faluant le roi, ouvrit fa robe devant
fa poitrine, où il y avoit un Æeur bien fait, lequel
coeur fe fendit, & en fortit une grande fleur
de lys d’o r , qu’elle préfenta au roi de la part de
la ville, en difant : Sire, pucelle je fuis, & auiïi
l’eft cette ville (1)} car oneques ne fut prifê &
ne tourna contre lés rois de France , ayant tous
ceux de cette ville chacun une fleur de lys dans
le coeur.
C e roi fonda les univerfités de Valence & de
XSoxirges J&ommines dit q uil aimoit à demander &
entendre de toutes c ho fes ,• il avoit la parole a
commandement , & le fens naturelparfaitement bon ;
qualité plus précieufe que les fciences, & fans
laquelle elfes font inutiles. 11 s’en faut beaucoup
que Louis X I foit fans reproches : peu de princes
en ont mérité d’auflî gravés ; mais on peut dire
qu’il fut également célèbre par fes vices & par
fes vertus.
Louis X I mit les rois hors de page ,* expreflion
populaire par laquelle on a voulu marquer qu’il
avoit confidérablfir.ent e'tendu l’autorité royale.
Cependant fa manière de vivre , fon caraélère 8c
tout fon extérieur auroient femblé devoir avilir
cette meme autorité. Dans fon entrevue avec le
roi de Caftille, les efpagnols, dit Mczerai, fe
( i) Tournai, que la France a bien voulu céder à
la maifon d’Autriche, a été le berceau des françois
& de la monarchie des Gaulés.
moquèrent de ta chicheté, de la mine baffe &
niaile du roi fo u is , qui n'étoit vêtu que de bure,
avoit un habit court & étroit, & portoit une
Notre-Dame de plomb à fa barette. D’ailleurs,
plufieurs regiftres de la chambre des comptes font
foi que fes habits étoient des^draps les plus communs,
8c qu'il porto t le même chaperon pendant
plulîeuis années. On le vie plus d’une fois
aller de maifon en maifon dîner & fouper chez
les bourgeois. Il s’informo.t de leurs affaires, fç
mêloit de leurs mariages, & vouloit être parran
de leurs enfans. Il s'étoit fait inferire dans plu-
fieurs confrairies d'artifans. Lorfqu'on lui repré-
fentoit qu’il ne gardoit pas affez fa dignité , il
répondoit : Quand orgueil chemine devant, honte &
dommage fuivent de bien près.-
Il n'avoit pas à fe louer des génois, qui
avoient fouvent violé leurs fermens. Aufli ces
républicains lui ayant offert de fe donner à lui,
& de le reconnoitre pour fouverain : Vous vous
donner à moi , leur dit-il, 6* moi je vous donne au
diable.
On lui faifoit voir un. hôpital fondé dans la
ville de Baune, par Ro’.in , chancelier du duc de
Bourgogne. C e Rolin avoit été un grand concuf-
fionnaire. » Il étoit bien raifonnable, dit Louis-,
» que Rolin, qui avoit fait tant de pauvres pendant
» fa vie, fit conftruire avant que de mourir une
» maifon pour les loger ».
Comme ce prince avoit de la vivacité' dans
l'efprit, il fe plaifoit avec ceux qui lui en mon-
troient. Il entra un jour dans fa cuifine 8c demanda
à un jeune garçon qui tournait la broche
d’où il étoit, qui il étoit, & ce qu’ il gagnoit? Le
jeune marmiton , qui ne le connoiffoit pas, lui
die, fans le moindre embarras : « Je jfitijjs de Berrij
» je m’appelle Etienne, marmiton de mon métier,
w & je gagne autant que le roi ». Que gagne le
roi? lui dit Louis. — Ses dépens, repiit Etienne,
6* moi les miens. Le roi l’attacha à fon fervice &
lui fit fa fortune.
« Ce prince , comme le rapporte Brantôme,
fe fervoit <tes premiers clercs qu’il puouvoit pour
fecrétairès, ou fe fervoit des premiers notaires
qu’il rencontroit aux lieux 8c villages d’où il
écrivoit} ou bien de quelqu’autre petit fecrétaire
de prince & autres gentilshommes de fa cour,'
premier rencontré } ainfi qu'il fit un jour d'un
petit feribé fin & bon compagnon, qui fe présentant
à lui lorfqu'il voulut faire écrire à la hâte,
lui voyant fon écritoire pendue à fa ceinture, lui
commanda auflitôt d'écrire fous fa dictée. Et ainfi
qu'il eut ouvett fon écritoire ou galimard, que
Ton appeloit ainfi jadis ; & voulant faire tomber
fa plume, avec elle tombèrent deux dez, auquel
le roi demande auffitot, à quoi fervoit cette dragée?
L'autre fans «'étonner, lui répondit : Sire, c'eft
an remedium contra peftem. Viens ça, lui dit le
roi, lu es un gentil paillard; ( il ùfoit fouvent de
ce. mot { tu es a moi: & le prit à fon ftn ic e j
car le bon prince aimoit fort les bons mots & les
fubtils efprits».
C e prince ayant rencontré l’évêque de Chartres
monté , fur un cheval richement caparaçonné : Les
évêques, lui dit-il, halloient pas ainfi autrefois.
Non fire , répondit l’évêque, du temps des rois
pafteurs. Cette réponfe plut au roi.
Les plaifanteries même ironiques ne lui déplai-
foient pas. On fait que ce prince ', qui avoit trop
bonne opinion de lui - même , prenoit rarement
confeil de quelqu'un. C ’eft ce que lui fit fentir
d’une manière équivoque Pierre de Bezé , foh
favori. Le roiéroit un jour fur une haquenée qu’il
avoit préférée à tous les chevaux de fon écurie,
parce qu’elle avoit un pas fort doux. « Quelque
foible que paroiffe cette haquenée, elle eft cependant,
lui dit Bêzé, la plus forte monture qu’on
puiffe trouver , puifque feule elle porte votre
majefté & tout fon confeil ».
Philippe de Crevècoeur, feigneur des Querdes}
connoiffoit fans doute l’humeur de ce prince, pour
lui faire une réponfe aùïïi hardie qu’elle eft rapportée
dans fon hiftoire. Il étoit paffé du fervice
de Bourgogne à celui de France. Comme il avoit
reçu des fournies ccnfidérables pour exécuter plu-
fieuis entreprifes, le roi avoit exigé qu’il lui rendît
compte de l’emploi de cet argent. Mais des
Querdes mit tant de différens articles, que la
dépenfe furpaffoit la recette. Louis ne trouvant
point le compte exaél, vouloit examiner & dif-
cuter chaque article. Des Querdts, impatient
d'une recherche fi fcrupuleufe , liii dit : Sire, j’ai
acquis pour cet argent les villes d'Aire, d’A rras,
de Saint-Omer, Béihune , Bergue, Dunkerque,
Gravelines , & quan.ité d’autres } s’il plaît à
votre majefté de me les rendre, je lui rendrai
tout ce que j'ai reçu ». Le roi comprenant que
des Querdes avoit prétendu fe payer un peu par
lui - meme de fes fervices, fe contenta de lui
répondre par ce proverbe du temps : « Par b pâque-.
» Dieu, maréchal, il vaut mieux laifftr le moultier
» où il eft ».
O n 'a lo u é la manière également vive & ingé-
1 nue avec laquelle il récompenfa la bravoure de
Raoul de Launoy , qui étoit m inté à l'affaut à
travers le fer & ’a flamme , au fiège du Quelnoy.
Le roi, qui avoit été témoin de fin aidcur, lui
paffa aucol une chaînbd'or de cinq ients ecus, en
lui difant : » Par la pâqiie^Dieu, n on ami , vous
ères trop furieux en un 0 mbat, iLvrrbs- faut er-
chaîner : car je ne von» veux pont pe ;dre, de fixant
me fervir de vous p! s d’une fois ». Le' def
cendans de Launoy ont porté long-temps
I i î i 2
une