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forte d'enthoufrafme : « O heureufe femme ! qui
a • goûté :1e plaifir de faire fauter une tête cou»
ronnée 1 »
Caftelli-, chanoine & tréforier de Sainte-Marie
Majeure, qui avoit rendu de grands fervices au
cardinal de Montalce, comptoic fur fa r econnoif-
fance. Ce chanoine aVoit un neveu qui venoit d'enlever
une fille avec laquelle il s'étoit marié depuis,
du confentëment des deux familles. C e jeune
homme fut pourfuivi & pendu par ordre da pape,
malgré les prières de Caftelli, de la femme & de
tous les parens : le juge,-qui ne l'avoit pas condamné
, fut fouetté.
Un autre jeune homme, pour avoir feulement
arrêcé une jeune fille en pleine rue, & l’avoir em-
bralfée malgré elle, fut condamné à-cinq ans de
galère, quoiqu'il l'eût époufée quelques jours après.
L'époufe du jeune homme & fes parens coururent
fe jetter aux pieds du pape pour obtenir la grâce
du coupable. Ils repréfentèrent à fa fainteté que la
conduite du jeune homme & le mariage quil venoit
dé contrarier leur donnoient toute la fatis-
fa&ion qu'ils pouvoient defirer. Vous êtes fatis-
faits, leur répondit-Sixtes màis la juftice qui a
été offenfée la-preiiiièrêv ne Tell pas ». Il voulut
que la fentcrïce fût exécutée.
I! avoit établi la peine de mort coutre l'adultère
, & fit couper la tête à plulîeurs gentilshommes,
des plus grandes maifons d'Italie, convaincus
de ce crime.
Un poète, nommé Matére, avoit compofédes
vers, dans iefquels une dame romaine avoit été
infulcce. Le pape en demanda la raifon à ce poète,
qui s’excufafur la néceflité de la rime. Il lui dit
que le nom de Fontana, qui finifloit un de ces
vers, l’avoit obligé de terminerde fuivant par Pu-
tanat fans avoir eu deffein cf appeiler ainïî cette
dame y mais feulement pour donner plus de grâce
ôc d'harmonie à fa'pièce.
Vous méritez, feigneur Matère,
De ramer dans une galère,
lui .répondit le pape, en deux vers italiens, & cette
fentence fut exécutée.
Là févérifé de ce pape paroîtra bien cruelle. Ce
fut néanmoins à cette fevérité que Rome dut la
fatisfaélion de voir le libertinage exclu de fes
murs. Avant Sixte , les, loix trop foîbles Contre
les grands, né mettoicnt pas les jeunes filles à
l’abri des entreprifes de la témérité & de l'impudence.
Mais fous le règne de ce nouveau pape,
elles purent jouir en sûrete' de leur vertu, & fe
promener dans les rues de Rome avec autant de
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tranquillité qûe dans l'enceinte d’un couvent. Ou
.blâmera néanmoins Sixte d’avoir donné dans, fes
états un libre accès à la croupe infâme des délateurs.,
en permettant les accufations publiques. Il
avoit même ordonne' qu'un mari qui n'iroit pas fe
plaindre à lui des débauches de fa femme, fcroit
puni de mort, j
C e même pape, recevant la haquenée- en ligne
de vaffalité pour le royaume de Naples, ne put
s'empêcher de dire : En vérité t un compliment &
une haquenee ne valent pas un royaume II manifef*
toit allez par ces paroles fon ambition & fes pré-*
tentions.
La paffion dominante de ce pontife étant d’é-
iternifer fa mémoire, il employa une partie,de fes
nouveaux revenus à embellir. Rome de fontaines
& d'édifices fuperbes. Il fonda un hôpital de cinquante
mille livres de rentes * plulîeurs collèges
& la bibliothèque du Vatican. Jtl fit exhumer, réparer,
élever ce prodigieux obélifque de foixante
& douze pieds de haut, ouvrage des anciens rois
d'Egypte. Ce fut aulfi par fon ordre qu'on plaça
au haut des colonnes Trajane & Antonine les fta-
j tues de faint Pierre & de faint Paul, fondues en
bronze & dorées > ornemens cependant qui ne font
pas honneur au goût de Sixte ; car y a-t-il rien de
plus bizarre que de voir la ftatue d'un apôtre du
chriftianifme au haut d'un monument chargé des
allions militaires d’un empereur payen ?
Le magnifique dôme de faint Pierre eft encore
un monument de la grandeur de Sixte. Mais ce
qui dénote principalement l’élévation de fon ame,
eft l’eftime particulière qu'il conferva toute fa vie
pour la reine Elifabeth & Henri le Grand. Ces
deux fouverains méritèrent fouvent fes louanges,
en Tachant lui réfifter. Aulfi difoit-il quelquefois
en parlant d’eux, qu'il ne voyoit dans le monde
chrétien qu'un homme & une femme dignes de
régner, & à qui il pût communiquer les grands
delfeins qu'il avoit contre les Turcs pour le bien
de la chrétienté.
Il penfoit bien différemment de Henri I I I , dont
Ig dévotion ne fe bofnoit qu'à des pratiques extérieures
, pendant qu'il négligeoit les affaires de
fon état. « Il n'eft rien, dit-il, que ce prince n’ait
fait pour être moine, & moi pour ne l’être pas ».
La plupart des politiques de ce fiècle fe font
moins occupés de ce qui eft néceffaire pour régler
& perfectionner l'efpèce humaine, que des moyens
de l'accroître : mais Sixte V regardoit comme un
vrai mal de multiplier les hommes, fi leur fubfif-
tance n'étoit allurée. C e pontife avoit en conséquence
ordonné aux curés de ne faire aucun mariage
fans le certificat d'un juge établi pour prendre
d'exa&es informations fur les facultés des
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contra&ans ; & a,u cas que ce magiftrât lés jugeât
en péril de devenir pauvres i & par conféquent
hors d'état de nourrir les enfans qu'ils pourroient
avoir , il étoit défendu aux curés de paffer à la
célébration de mariage y il voulut qu'on bannît
de Rome ceux qui fe trouvtroient dans1 le cas de
défobéifiance. Sa maxime étoit, qu’il valoit mieux
détruire une ville, que de la remplir d'habitans
malheureux.
Suivant une autre de fes maximes, deux chofes
font abfolument nécelfaires pour conferver le
peuple dans l'obéiflance, le pain 6’ le fer .- maxime
néanmoins qui feroit mieux dans la bouche
d’ùn defpote que dans celle d'un vicaire dé Jéfus-
Chrift.
SO C R A T E , ph lofophe athénien , né l'an
469, & mort vers l'un 406 avant Jéfus-Chrift.
Il étoit fils d'un fculpteur& d'une fage-femme :
il fit avec beaucoup de fuccès trois ftatues , repré-
fentant les trois Grâces $ mais il abandonna fon
talent, difant qu'il s'éionnoit* « qu'un fculpteur
appliquât tout fdn efprit à faire;, qu'une pierre
brute devînt feinblable à un homme, & qu’un
Ijkomme fe mît peu en peine de n'etre pas fembla-
ble à une pierre brute ».
Il s’appelloit l3accoucheur des efprits, parce qu'il
s'appliquait à leur faciliter la naiflknce de la
penfée.
I! tefufa toujours de fe rendre aux invitations :
de grands & des fiches, parce que j difoit-il, il j
ne vouloit pas recevoir plus qu'il ne pouvoit
rendre.
Une des^ualités les plus marquées de Socrate,
étoit une tranquillité d’ame que nul accident, nulle
perte, nulle injure,; nul mauvais traitement ne
pouvoient altérer. On a dit que ce philofophe étoit
naturellement fougueux & emporté, & que la
modération à laquelle il,étoit parvenu, étoit l ’effet
de fes réflexions & des efforts qu'il avoit
faits pour fe va:ncre lui-même, & pour fe corriger.
Il àvoic exigé de fes amis de l’avertir quand
ils le verroient prêt de fe mettre en colère : au
premier lignai, il baiffoit le ton , où même fe tai-
foit. Se Tentant un jour de l’émotion contre un
efclave : « Je te frapperois, dit-il, fi je n’étois ,
en colère ».' Une autre fois ayant reçu d'un brutal
un vigoureux foüfflet, il fe contenta de dire en
riant : « 11 eft fâcheux de ne favoir pas quand il
faut s'armer d’un cafque ».
Il trouva dans fa propre maifon une ample carrière
pour exercer la patience dans toute foh éren-
due, &Xantippe, fon époufe, la mit aux plus,
riides épreuves par fon humeur bizarre-, emportée,
violetfte. Il paroît qu’avant de là; ehoiiïr
pour compagne , il n'avoit pas ignoré tfon caractère.
Il diioit Jumêmé qu'il l’avoit prife exprès >.
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pérfuadé que, s'il venoit à bout de fouffrir fes
emportemens, il pourroit vivre ayec les perfon-
nes les plus difficiles. Les traits fuivans feront
cpnnoître que ce grand homme avoit parfaitement
réuflî dans fon t;hoix.
. Il donnoic à fouper à Euthidèm?, fon ami. Pendant
le repas, ^Cantippe lui chercha querelle,
cria, tempêta, fuivant l'ufage, fe leva toute fu-
rieufe, & renvérfarles plats qui étoient fur la tablé.
Euthidème étonne de ce fracas, prcfitoit du
bruit pour s’efquiver doucement pair la porte ,
quand Socrate le retenant : « N e vous troublez
point, lui d it^ j l'autre jour, que je mangeois
chez vous, imé poule, en volant fur la t^.ble,
ne renverfa-t-elle pas tout ? nous n'en fumes cependant
pas plus émus ». La tranquillité du mari
mettoit le comble à la fureur de i'époufe : « Toujours,
difoit-elle avec un ton de défefpoir > toujours
il rentre à la maifon avec le même air & le
même vifage qu'il avoit en fortant ».
Un jour, pour l’outrager d'une-manière fenfî-
ble, elle lui arracha fon manteau de défias les
épaules, au milieu de la rue, & le jetta.dans la
crotte. Lès amis du fage lui confeilloient de fe
venger fur le champ de cette époufe infolente, &
de lui faire fentir une bonne fuis qu'il portoit.un
bâton. « C ’eft-àdire, meffieurs , répondit £0-
crate3 qu’un mari & une femme aux prjfes, fe-
rqient pour vous un fpe&acle fort amufant; mais
je ne fuis pas d'humeur de vous donner la comédie
à mes dépens «. ;
Socrate, après avoir long temps fouffért les
criailleries de, fa femme, foitit de fa maifon , &
s’aflît devant fa porte pour fe délivrer de fon importunité
$ cette femme, indignée de, voir que
tous fés cris n'étoient pas capables d;ébranler fa
tranquillité, lui verfa de l’eau fale fur la tête.
Ceux qui étoient témoins de cette aélion, rioient
du pauvre Socrate : mais ce philofophe fouriant
aufli ,'.leur dit : « Je me doutois bien qu'après un
fi grand tonnerre nous aurions de.la pluie ».
Alcibiade s’étonnoit que Socrate pûc réfifter aux
cris éternels de cette femme : « J ’y fuis tellement
accoutumé, lui,répondit-il, que fes clameurs ne
font pas . plus d'impreffion fur moi que le bruit
d’une «charrette.
L'oracle déclara Socrate le plus fage de tous les
Grecs.
C e fage prétendoit être infpîré par un démon
ou génie familier y ce démon n'étoit autre que la
pure raifon dégagée de toutes piaffions.
Socrate difoit, ,qu'il aimoit mieux écrire les
fentimens fur le coeur des hommes que fur les
peaux des animaux : c'efî fe rendre utile, pour
ainfi;dire, qu'à fes yoifîns. Il femble néanmoins
qu'un p,hi!ofophe doit travailler non-feulement à