
diarmes pour captiver Jules Céfar & îe triumvir
Antoine. Elle etoit belle , mais fak beauté étoit le
moindre de fes attraits. Les grâces qui raccompagnaient
par-tout , les charmes'de fon entretien , un
fon de voix enchanteur îaiffoient dans le coeur de
tous ceux qui l’avoient vue, un aiguillon quipi-
quoit jiifqu au vif. Son efprit étoit orné de diverfes
connoiffances, & fa langue , fuivant l’expreffion
même de Plutarque, étoit un infiniment de mu-
fique à plufieurs jeux quelle manioit facilement,
& dent elle droit comme elle vouloit toutes fortes
de fons & de langages.
A l’âge de dix-fept ans, elle prétendit occuper
feule le trône d’Egypte, au préjudice de fon. frère
Ptolomée qui n’en avoit que treize. Céfar étoit
pour lors à Alexandrie. Il voulut connoître de ce
différend mais de juge de Cléopâtre 3i\ devint bientôt
fon efclave. il l’établit fur le trône d’Egypte,
& les charmes de la nouvelle reine lui firent oublier
pour quelque temps le foin de fa gloire.
Le triumvir Antoine, après h défaite de Caffius
& de Brutus les meurtriers de Céfar, étant pafles
en Afie pour y établir l’autorité de fon triumvirat,
cita devant fon tribunal Cléopâtre , accufée d’avoir
doniré des fecours à Caffius. Cette reine qui con-
noiflfoit le pouvoir de fes charmes ,par 1 épreuve
qu’elle en avoit faite, dans un temps où elle étoit
encore fort jeune, fe perfuada fans peine quepof-
fédant bien mieux qu’elle ne feifoit alors l’art de
ménager les hommes, il lui feroit facile de fe rendre
maîtreflè du coeur d’Antoine. Elle avoit alors
plus de vingt-cinq ans. Elle s’embarqua fur un vaiP
feau dont les voiles étoient de pourpre, & les rames
garnies d’ argent. Un pavillon d’un tiffu d’or
étoit dreffé fur le tïllac, fous lequel la reine étoit
couchée fur un lit d’or & habillée en Vénus environnée
de fes filles, dont les unes représentaient
les néréides , & les autres les grâces. Une douce
fymphonie fe faifoit entendre fur les eaux ; & les
plus délicieux parfums répandoient leur odeur
au-delà du rivage. Tout le monde courut pour
voir ce fuperbe fpeétaclej. & Antoine, occupé à
régler le deftin des rois Si des princes , demeura
fèul fur fon tribunal. Toute l’armée , ravie
d’admiration , fe mit à crier que Vénus étoit
venue trouver Bacckus , comparaifon quitte déplut
pas à Antoine. Plutarque„
•On fe perfuade facilement que la conduite de
Cléopâtre fut approuvée par Antoine , & que cet
homme foible fe conforma aux volontés de cette
nouvelle déeffe. Mais ce qui a lieu de furprendre,,
c ’eft que cètte magnificence avec laquelle la reine
d’Egypte s’étoit annoncée ne diminua point. Antoine
& elle fe ciifputoient à qui porteroit le plus
loin le luxe , 1a moleffe & la dépenfe. Pour enchérir
fur Antoine, elle fit diffoudre dans un bouillon
& avala une des perles qui lui fervoient de pen-
dans , & qui étoient d’un prix ineitimablc. Elle
alfeit diffoudre l’autre, lorfqu’un nommé Planetw
lui^ retint la main , Si fembla lui envier la gloire
unique & finguliere d’avoir dévoré en deux coups
deux millions.
Ces fêtes , ou plutôt ces débauches fe reaoü-
yeilerent a Alexandrie , où Antoine avoit fuivi
Cleopâtre. Cette reine, jaloufe de commander à
celui dont tous les princes de l’Orient reconnoif-
foient le pouvoir, faifoit ufage de tous fes charmes
pour le retenir dans fon efclavage. Afin même
d empecher qu’il n’en fentît le poids, elle s’aflo*-
cioit à fes plaifîrs les plus dépravés , ou cherchoic
a 1 egayer par mille joyeufetés. Plutarque en rapporte
une affez finguliere. Nous nous fervirons
ici de la traduction d’Amyot: « Antoine fe mit,
sï quelquefois a pecher à *la ligne , & voyant qu’il
» ne pouvoit rien prendre, en étoit fort dépité &
M marri, a caufe que Cléopâtre étoit préfente. Si
* commanda fecrétement à quelques pêcheurs,
« quand il auroit jetté fa ligne qu’ils fe plongeai
” PiP* foudain à l’eau, Si qu’ils allaflent accro-
» cher à fon hameçon quelque poiflbn de ceux
qu’ils auroient pêchés auparavant j & puis re-
» tira deux ou trois fois fa ligne avec prife : Cléo-
»3 pâtre s’en apperçut incontinent, toutefois elle
» fit femblant ae n’en rienfavoir, Si de s’émer-
" veiller comment il pêchoit fi bien: mais à part
M elle conta le tout à fes familiers, &Ieurditque
” le lendemain ils fe trouvaient fur l’eau pour voit
» 1 ébatement. Ils y vinrent en grand nombre.
” Antoine lacha fa ligne , & lors Cléopâtre coin—
» manda à l’ un de fes ferviteurs qu’il fe hâtât de
” plonger avant ceux d’Antoine, & qu’il allât
*• attacher a 1 hameçon -de fa ligne quelque vieux
» poiffon falé , comme ceux qu’on apporte dit
» pays de Pont. Cela fait, Antoine qui cuida qu’il
y eut un poiflbn pris , tira incontinent fa ligne :
» & adonc , comme on peut bien penfer , tous le i
» afliftans fe prirent fort à rire, & Cléopâtre x i*
30 riant lui dit : Laifle nous, feigneur , à nous
” autres Egyptiens , habitans du Phare & du Ca-
33 nope, lailfe nous la ligne : ce n’eft pas ton
33 nictier j ta pêche eft de prendre des villes, des.
» royaumes & des rois.
Antoine, quoiqu’amant éperdu , n’étoit cependant
point fans inquiétude entre les bras d’une
reine qui avoit empoifonné fon jeune frere Ptolomée
, & fait mourir fa foeur Arfinoé, pour régner
feule fur l’Egypte. Cléopâtreremzrqua. même beaucoup
de denance dans fon amant, qui ne tou-
choit à aucun mets qu’on- lui fervôit qu’il n’ eut
été goûté auparavant. Mais pour lui faire voir qu’il-
devoit plutôt s’en rapporter à fon amour pour
lui qu’à ces timides précautions , elle l’invita à
un repas où tous les convives étoient couronnés
de fleurs. Au milieu de l’ivrefîe du feftin , elle
détaché les extrémités de fes fleurs & les mit dans
fa coupe j Antoine fuivit fon exemple comme
il prenoit £à coupe Arrête, lui dit-elle , & apprenda '
h mieux connoître C amante qui t'adore j suffi-tôt
elle fit venir un criminel, qui ayant avalé le breuvage
, mourut un moment après. . .
Lors de la célébré bataille d’Aétium, qu’An-
toiNe livra à Oélave fon rival, la victoire s’ étant
déclarée en faveur de ce dernier^, il vit bientôt
entre fes mains l’Egypte qu’il réduifît en province
romaine. Cléopâtre avoit en vain effayé de mettre
dans fes fers ce troifième maître du monde. La
fière princefle, inftruite du fond de fa prifon que
le vainqueur fe préparoit à la faire fervir d’ornement
à fon triomphe, préféra la mort à cette ignominie.
Elle vit u’un oeil fec & tranquille couler
dans fes veines le poifon mortel de l’afpic auquel
elle ayoit tendu le bras pour fe faire piquer. Un
de fes plus fidèles ferviteurs, déguifé en payfan,
lui avoit procuré ce funefte fecours. Sur la fin du
repas qu’elle s’étoit fait fervir avec beaucoup de
magnificence , les officiers de Céfar qui la gar-
doient, virent arriver un payfan avec un panier.
Ils lui demandèrent ce qu’il portoit 5 le payfan ouvrit
le panier, écarta les feuilles & fit voir que
c’étoient des figues. Les gardes admirèrent leur
beauté & leur grofleur, Le payfan fouriant les
prefla d’en prendre.j cette franchife qui paroifloit
pleine de fimplicité, acheva de les gagner Si de '
diflîper toute leur défiance j ils lui ordonnèrent
d’entrer. Après le dîner, Cléopâtre prit fes tablettes
, écrivit & les envoya cachetées à Oétave.
Ayant enfuite fait fortir tous ceux qui étoient
dans fa chambre, excepté fes deux femmes, elle
s’enferma avec elles. Aufli-tôt qu’Oétave eut décacheté
la lettre , & qu’il eut vu avec quelles inf-
tances elle le conjuroit de faire placer fon corps
auprès de celui d’Antoine, dans un même tombeau,
il dépêcha promptement deux officiers pour la prévenir.
Mais quelque diligence qu’ils purent faire,
ils la trouvèrent fans vie , couchée fur un litd’or,
& parée de fes habits royaux. De fes deux
femmes , celle qui avoit nom Iras , étoit morte à
fes pieds j Si l’autre appellée Charmion , pref-
qu’éteinte & pouvant à peine fe foutenir, lui ar-
rangeoit fon diadème autour de la tête. Un des
officiers de Céfar lui dit tôut en colère : Voila
qui eft beau , Charmion. « Oui, lui répondit cette
« femme , très-beau & très-digne d’une reine qui
99 defeend de tant de rois. 93 C e furent les dernières
paroles qu’elle proféra, & elle tomba morte
aux pieds du lit.
C L IS SO N , ( Olivier ) , connétable de France,
mort en 1406. Olivier Clijjon fut fans contredit un
des meilleurs généraux de fon fiècle, &mériteroit
d'être mis au rang des plus grands hommes , fi fa
valeur intrépide n’avoit pas été balancçe^par fon
avarice & fa cruauté, bien inférieur à cet égard
an bon connétable 3 au généreux du Guefclin , fon,
compagnon d’armes , fon modèle 8i fon ami. Ses
concuflions dans le tems qu’il étoit à la tête du
gouvernement, tes rapines exercées furies troupes
dont il retranchoit & détournoit la folde à fon
profit, l’avoient rendu également odieux au peuple
Si aux gens de guerre. 11 laifla une fortune im-
mtnfe acquife aux dépens d’une partie de fa réputation.
Jean V , duc de Bretagne, étoit ennemi mortel
d’ Olivier de ■ CLiJfon j S i , voyant qu’il ne pouvoit
nuire à ce guerrier par la force , il eut recours à
la trahifon & à l ’artifice. Il feignit de fe réconcilier
avec lui j il l’invita à venir à fa cour, & le
reçut avec les démonftrations de la plus fincère
amitié. Un jour, à la fin d’ un repas magnifique
qu’il lui avoit donné, il le- pria de venir voir un
château qu’il faifoit bâtir. Clijfon, trompé par les
politeffes du duc, & ne fe défiant de rien, y con-
fentit volontiers. Lorfqu’ils eurent vifîté les appar-
temens , le prince propofa à Clijfon de monter dans
la maîtrefle tour au château, lui difant qu’ il vouloit
favoir ce que penfoit de fa force le plus habile
homme du royaume en matière de fortifications.
Clijfon y monta j mais des gens armés , qui fie te-
noient en embufeade dans une chambre, fe jettent
tout-à-coup fur lui, & l ’arrêtent. Clijfon fe défendit
comme un lion, mais fes efforts furent inutiles.
On le traîna dans une chambre, où les gens du
duc lui mirent trois paires de fers aux pieds. Le
duc , voyant fon ennemi en fa puiflance, fe hâta
de fatisfaire fon reflentiment. Il appella un de fes
plus fidèles officiers, homme fage & prudent
nommé Jean de Baçyalen , & lui ordonna-de faire
mourir Clijfon fur le minuit, le plus fecrettement
qu’il feioit pqflible. Ba^yalen promit d’exécuter
fes ordres & fe retira. La nuit étant venue, le duc
fe mit au lit & s’endormit d’abord j mais l’inquiétude
le réveilla bientôt. L’ordre cruel qu’il avoit
donné vint alors fe préfenter à fon efprit, fous la
forme la plus effrayante : il fit les plus triffes réflexions
fur le rang de Clijfon, & fur les fuites
qu’auroit fa mort. Dès le point du jour, il envoie
chercher Baçyalen ; il arrive: « Avez-vous exé-
99 cuté mes ordres ? lui dit précipitamment le duc. >9
L’ officier répondit qu’il avoit obéi. «Quoi î Clijfon
99 eft mort ! reprit le duc.— Oui, monfîeur, ré-
99 pondit Baqyalen : cette nuit , bientôt après
>» minuit, il a été noyé, & j’ai fait mettre le corps
99 en terre dans un jardin.— Ha ! ha] s’écria tnT-
* tement le prince, veie-cy un pitieux re'veille
»» matin ! Retirez-vous, meffirt Jehan3 que je ne
9> vous voie mie plus. >9 Baçvalen fe retira j & Je
duc commença à fe tourmenter dans fon lit & à
jetter des cris affreux. Il n’écoutoit perfonne, &
ne voulut ni boire ni manger de tout le jour.
Alors Baqyalen, voyant que fa douleur étoit fincère
, alla le trouver, & lui avoua qu’il n’avoit
point exécuté fes ordres, prévoyant bien qu’il
s’en repentiroit. A ces mots , le duc fauta de joie
embrafla fon fidèle officier & loua fa prudence.
Quelque te»s après , il délivra Clijfon.