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Un jour que M. le duc de Bourgogne paffoit
par - là ^ il entendît une grande difpute , entre
celui qui recevo:t l’argent & un officier qui
demandoit un billet. Le prince voulut fa\oir de
quoi il s’ agilfoit, & on lui dit que cet homme
vouloir qu’on é cm ït, polir fa devife, lur fon
billet Aux cinq fans diables.. Le receveur refu-
foit de inec.ra une pareille devife > & M- le duc
de Bourgogne en étoit même feandalifé 5 mais
celui qui la demandoit en expliqua le fens au
prince, & lui dît qu’ils étoient cinq affociés au
billet , tous cinq garçons , & par confequent cinq
J ans diables , puifqu’ ils étoient fans femmer. Cette
imagination fit rire la cour : mais il arriva une
autre aventure, -a peu-près de la même efpece,
qui l’ intrigua un peu. Un homme voulut famé
mettre fur fon billet : S i je gagne, le roi aura
du nvers■ On oit cela au r o i, qui commanda
qu’on arrêtât cet homme j & après l’ avoir fait
amener devant lui, fa majefté lui demanda quel
étoit le revers dont il le menaçoit. Ç ’e fty fire ,
répondit cet homme , que fi je gagne, j’ai deftine
cet argent à acheter une charge auprès dé votre
majefté ; & comme je m’appelle Durevers , fi je
.gagne votre majefté aura Durevers à fon fervice.
Cette équivoque ne fut,point du goût du roi j
on remercia M. Durevers, & on le pria de fe
retirer & d’aller porter ailleurs fa piftole oc fes
mauvaifes plaifanteries>
•' Un officier , logé en chambre garnie , fur lé
point de rejoindre fon régiment, étant feu! un
matin dans fon li t , en proie a mille réflexions,
faute de pouvoir dormir, fe mita fongerqud
avoit eu tort de biffer fa cle f a la porte de fa
chambre, attendu qu’il feroit facile d entrer pour
le voler. Tandis que de pareilles idées lui roü-
loient dans la tê te , un me nui fier montoit-lentement,
chargé d’un-cercueil pour un homme qui
venoit de mourir dans la chambre prochaine. Le
menuifier, croyant entrer chez le mort , ouvre
la porte de l’officier, & die en entrant : « Voila
» une bonne redingotte pour l’hiver ». Le
militaire, que fes craintes rendent attentif: au
mo'ndre biuit, ne doute point qu’on ne vienne
le voler, & qu’on ait deffein dé commencer par
prendre fa redingotte , qu’il avoit'biffée fur une
chaife ; il faute promptement hors du h t , & fe
met à courir, tout en chemife, apres j.e prétendu
voleur. Le menuifier , voyant paroitre quelque
chofe de blanc, biffe tomber-fon cercueil par
l’efcalier, & fe fauve à toutes jambes, ne doutant
point qu’ il n’ait le mort à fes trouffes.
Une veuve vouloit fe marier avec fon valet
éan , & demandoit confeil au curé du lieu. — Je
jis encore d’âge à pouvoir me marier, lui dit-
l|e -M a r ie z -V o u s , répondit 1 ecclefiaftique.
- Mais on dira peut être que mon futur eit de
eaucoup trop jeune pour moi. — N e vous
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mariez pas. — Il m’aideroit à faite aller notre
ferme. — Mariez-vous. — Mais j’ai peur q'ù il ne
vienne à, me méprifer. — Ne vous mariez pas.
— Mais d’un autre côté on mépiife auffi & on
trompe de toutes parts une pauvre veuve qui eit
fans appui. —- Mariez-vous donc. —r J“ crains
feulement qu’il ne s’amufe avec nos: fervantes.
— Ne vous mariez donc pas. La confultante,
plus incertaine après ces réponfes, quelle ne
i’ étoit avant, s’en pb:gnit au curé, qui, pour ne
rien hafarder dans un cas fi délicat, la renvoya
à ce que .lui confeilleroient les cloches de 1a pa-
roiffe qui. alloient fonner. Elle crut entendre
qu’elles difoient : prends ton valet Jean. Elle le
prit, & elle eut lieu de s’en repentir ; elle fe
plaignit vivement au curé de ce qu’il l’avoit adref-
fée ~à l’oracle impofteur des cloches. Oh ! vous
les avez mal entendues, lui dit le bon prêtre ;
écoutez-les encore une fois. Eh bien Lque chantent
elles de bon ? elles ont grande raifon , répondit
elie ; que n’ai-je eu l’oreille auffi bonne
la première fois ! Elles difent : ne prends jamais
Jean.
Cette hijlcriette eft celle de bien des gens ;
; quand ils demandent confeil, ils n’écoutent que
ce qui flatte leur penchant ou leur averfion.
Un aubergifte des environs de Phalsbourg tomba
en léthargie. On le crut mort; & , au bout de
quelque temps, on l’enfevelic. Sa femme, tout
en pleurant le pauvre défunt , Vapperçut qu’on
avoit employé à cet effet un drap tout neuf &
très fin; & , comme elle"étoit fort avare : « Hé-
M [as! dit-elle, ce drap eft trop beau pour un
» m<rt, il me fervira beaucoup mieux à moi,
» qui fuis vivante». Elle avoit, dans fa raaifon,
un habît d’arlequin qu’ une troupe de bateleurs
lui avoient biffé pour paiement à leur paflage, Eile
s’enferme dans la chambre du mort, découvre le
cercueil , reprend fon drap , habille le cadavre en
farceur., & , à cela près , rétablit les chofes dans
leur premier éta* L’heure du convoi étant arrivée,
quatre hommes emportent la bierre fur leurs
épaules, félon l’ufage du pays. Le prétendu mort
fe réveille de fa léthargie, s’agite , fe débat. Les
porteurs s’êlfrayent ■ : ils biffent tomber le cercueil
qui fe brife, & l’on en voit fortir un
arlequin,
La première repréfentaticn de Tom- Jones, du
petit Poinfinet, fut on ne peut pas plus tumul-
tueufe , malgré l’excellence de 1a mufique de
Philidor. Au milieu du bruit, deux hommes ré-
pétoient fans celfe ; « Couperai-je, couperai je » ?
Leurs voifins crurent qu’il s’agiffoit de couper la
bourfe de quelqu’un,. & s’adreffèrent à la fenti-
neüe ; on ne tarda pas à mener nos deux mef-
fieurs au corps de garde, d’où ils alloient être
conduits en prifon comme filoux. Tout-à-coup
l’un d’eux s’écria : « Nous femmes tailleurs de.
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»» notre métier ; c’eft moi qui ai l ’hpnheur d ha*
>, biller M. Poinfinet, auteur de la pièce nou-
» velle. Je dois lui fournir un habit pour fe pré--
» fenter devant le public, qui ne manquera pas
» de le demander à 1a fécondé repréfènnation ;
» comme je ne fuis pas allez inftrùît pour con-
» noître le mérite d’une comédie mêlée d’ ar-
» rie très, j’ai amené avec moi mon premier gar-
s, çon, qui à de l ’efprit comme quatre; car c’eft
» lui qui compbfe tous mes mémoires : M. l’offi-
» cier, je lui dem.andois de temps en temps, s’il
» me confeil!oit d’aller couper-l’habit en queftion,
» qui devoit m’ être payé fur le produit des re-
» préfentations de cette pièce ». A ces propos
on rit aux éclats, & les deux tailleurs furent ren-,
voyés abfous.
Un procureur s’en fut à confeffe avec fa femme
la nuit de Noël. Le confeffeur commença par 1a
femme : mais étant fatigué, il s’endornlit. La pro-
cursufe , aprèjs avoir dit tout ce qu’elle avoit à
dire, garda le filence , & s’imagina que le bruit
des orgues l’avoit empêché d’entendre l'abfolution
qui lui avoit été’ donnée ; elle fe lè ve, & s’en va
dire fa pénitence ordinaire , qui étoit les fept
pfeaumes. Le procureur fe met à b place de fa
femme , & entend le confeffeur qui ronfloit. « Mon
père, vous dormez, !ui dit-il. Non, madame,
répondit le religieux en fe réveillant en furfaut,
» je ne dors pas ; le dernier péché dont vous
» vous êtes accufée, c’eft d’avoir couché trois
* fois avec le clerc qui paie penfion chez vous».
Alphonfe, roi d’Arragon, étoit venu voiries
bijoux d’ un jouaillier, avec plufieürs de fes cour-
tifans ; il fut à peine forti de la boutique, que ,
le marchand courut après lui pour fe plaindre
du vol qu’on lui avoit fait d’un diamant de grand
prix. Le roi rentra chez le marchand, & fit apporter
un grand^vafe plein de fon. Il ordonna
que chacun des courtifans y mît b main fermée,
& l’en retirât toute ouverte : il commença le premier.
Après que tout le monde y eut paffé, il
ordonna au jouaillier de vuider le vafe fur la table ;
par ce moyen le diamant fut trouvé, & il n’y eut
perfonne de déshonoré.
Dans la ville de Prato , dit Bocace , on fit un
édit auffi blâmable que cruel, qui, fans nulle.;
exception, condamnoit au feu toutes les femmes
furprifes en adultère. Une femme, des principales
de b villè, nommée madame Philippe, belle &
d’un coeur fort tendre , fut furprife , par fon mari,
avec un gentilhomme qu’elle aimoic paffionnément :
le mari, jaloux & vindicatif comme un italien , fut
fort tenté de les tuer fur le champ ; & il l’auroit
fait, fans doute, s’il n’eût fait réflexion que le
jeune homme n’ étoit pas d’humeur à le fouffrir,
fans lui faire au moins partager le péril : ainfi,
modérant fon premier mouvement, il fe contenta
de fe fervir de la loi pour aifurcr fa vengeance
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fans s*expofer; il alla accufer fa femme, & la
fit appeler en juftice ; 1a dame, qui avoit beaucoup
de courage, réfolut de s’y prëfenter, & de
mourir plutôt en avouant la vérité, que de traîner
une vie ,'malheureufe dans un exil : ne pouvant
d’ailleurs fe réfoudre à défavouer la grande
paffion qu’elle avoit pour fon amant, elle fe
rendit devant le Podefta, accompagnée de plu-
fieurs de fes par.ens & de fes amis, qui lui
confeîlloient de nier le fait ; mais . elle ,,.fans
s'étonner, fe prefenta avec un vifage aiTuré, &
répondit, d’une voix ferme, aux demandes que
lui fit le Podefta : Il eft vrai, lui dit elle, que
» mon mari m’a trouve'e avec un jeune gentil—
» homme que j'aime; je fais 1a rigueur de l ’édit
» contre les femmes ; mais vous ne pouvez igno-
» rer que les loix, pour être juftes, doivent être
» communes, & faites avec le confentement des
» perfonnes à qui elles touchent : cependant,
» celle dont il s’agit n’a aucune de cés èoqdi-
» tioffs; elle condamne à un fiipplice cruel k s
» femmes qui manquent de fidélité à leurs ma-
» r is , & elle ne condamne à aucunes peines les
» maris qui en manquent à leuts femmes. Le
» mariage^eft un traité dont les conditions doivent
» être réciproques ; vos femmes font vos com-
» pagnes, & vous les traitez en efclaves, en
» leur impofainf des loix fans leur confentement,
*» & même fans les avoir appelées pour défendre
» leurs droits : fi elles, avoient été écoutées avant
» que de faire cette loi barbare, elles auroient
» repréfenté b tyrannie qu’il y a de vouloir lei
.» contraindre feules à s’abftenir :dés mêmes plai-
1 » fîrs que les hommes prennent fans fcrupule dans
» toutes les occafions qu’ils en rencontrent, quoi-
» qu’ils en aient d’ordinaire moins de befoin.
» Quel tort ai-je fait, dans le fond , à mon mari
» que voilà ? Je demande qu’il foit interrogé pour
» dire fi je lui ai jamais refufé de fatisfaire à fes
» defirs, & s’il a réciproquement fatisfait à tous
» les nvîens ? Etnonobftant dés traitemerts fi op-
» pofés, il a l”injuftice. de trouver à redire que
» je difpofè dé fon fuperflu «.
C e difeours fit rire toute raftemblée, qui s’écria
que madame Philippe avoit raifon , & qu’ il
falloît la renvoyer libie ; & 1a force de fes rai-
fons, jointes à fa beauté & à fon courage, mirent
le Podefta dans fes intérêts ; de foi te qu’après
avoir fi bien pbidé fa caufe & celle de fon fexe,
elle fut non - feulement exemptée de b rigueur
de la lo i, mais elle la fit encore réformer pour
l’ avenir. Et c’eft d e - là , fans doute, que vient
l’impunité , qui eft préfentement fi bien établie
pour les criminelles de cette efpèce.
HOLLIS ( Thomas ) étoit né avec une fortune
bornée , mais avec un goût fingulier pour
l’économie &: la magnificence , & une paffion
extrême pour la liberté. Il aimoit à donner fans
Z z z z