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gradations j (es juges & fes bourreaux, t a mort,
à chaque inftant, s'imprimoit fur Ton vifage ; fes
yeux s'obfcurcffoient ; fa voix fe prêtoit à peine
aux efforts qu'il faifoit pour articuler fa penfée;
fes .geites, fans perdre de leur expreffion y cara&é-
nfoient les approches du dernier inftant ; fes jambes
fe déroboient fousluijfes traits s'al.lpogeo.'eRt;
fon teint j pâle & livide, n'empruntoit fa couleur
que de la douleur & du repentir ; il tombo.it enfin
dans cet état où.fes crimes fe retraçaient à fon
imagination fous des formes horribles. Effrayé
des fantômes hideux que fes forfaits lui préfen-
toient, il luttoit contre la mort; la nature fembloit
faire un dernier effort. Cette firuation faifoit fré-
il grattoit la terre; il creufoit en quelque
façon fon tombeau. Mais le moment approchoit;
on voyait réellement la mort ; tout peignoit
1 inftant qui ramène à l'égalité; il expiroit enfin;
le hoquet de la mort & les mouvemens eonvulfifs
de la phyfionomie, des bras & de la poitrine,-
donnoient le dernier coup de pinceau à ce tableau
terrible.
• Garrick 3 fortement paffionné pour fon art, fe
dérobé à toutes fortes de diffipations les jours
où il doit remplir des rôles importans & férieux.
Lorfque la fituation eft tragique, il s'én pénètre
egalement vingt- quatre heures avant de la jpuer.
Perfonne, ^u contraire , n'eft fi gai que lui
lorfqu'il a un rôle de petit-maître, de poète, de
nouvel ;ifte à rendre. Cet aéteur pofsède, indépendamment
de ce que l'art & l'étude peuvent donner,
une de ces phyfionomjes qui fe montent &
fe démontent pour prendre tel cara&ère qu'il leur
plaît. Une jofie femme de Londres, qui .recon-
noififoit ce talent à Garrick, vint le trouver pour
avoir le portrait d'un feigneur anglois qu'elle aimoit,
& qui ne voulait.pas fe laiffer peindrè. Il s'agiffoit
d'étudier la phyfionomie du lord , & de fe revêtir j
fi bien de tous fes traits', que le peintre pût faire
un tableau reiîemblant fur cette phyfionomie
empruntée. L'aéfeur, en conséquence, examine le
tic , lecaraélère particulier de fon modèle ; étudie
les traits qui le caraéfcérifent le plus, & les copie
fi parfaitement, que ce n'eft plus Garrick 3 c’eft le
Iprd lui-même. L'aéteur fe préfente, avec ce
vifage compofé, à un peintre habile, & fait tirer
fon portrait. Tout le monde y reconnoît fans peine
lelordenqueftion, qui, le premier, paroît inquiet
fur les moyens que Ton a pris pour le peindre fi
reffemblant.
Dans une des meilleures fociétés de Paris, on
engagea un jour l'inimitable Garrick à raconter
une aventure dont il avoit été témoin pendant fon
féjour en France, Scdela mettre enfuite en a&ion.
» Un père, commença-tril à narrer, berçoit fon enfant
auprès d’une fenêtre qui étoit ouverte; par malheur
l'enfant tomba de fes bras dans la rue, & mourut
fur le champ. Il n'efi pas né ceflaire de dire quel fut
■ le langage du père ; on peut le deviner, c’ctoitîe
- langage de la nature l | A l'inftànt Garrick fe mit
dans 1 attitude ou il aybit vu le père au moment
où l'enfant tomba de les bras. L'effet que pro-
duifit cette imitation fur ceux qui étoient préfens,
eft plus facile à fentir qu’à exprimer. Il luffira de
dire que leur étonnement fut fuivi--d'un ruiffeau
de larmes. Dès que la compagnie fut revenue de
fon trouble, l’illuftre demoifel.e Clairon, tranf-
portée de plaifir, ne put s'empêcher d’embraffer
Garrick ; & fe tournant du côté de fa femme,
qui depuis le jour de fon mariage n'avoit jamais
quitté d'un pas fon célèbre époux : « Excufez ,
w madame, lui dit-elle, c'eft un mouvement invo-
» taire par lequel j'applaudis à votre mari ».
Son époufe ( mad. Violetti ) étoit une des plus
célèbres danfeufes, & des plus belles femmes de
fon temps.
La fucceffion de Garrick à monté à trois millions
fix cens mille livres.
Le célèbre David Garrick étant mort à fa
maifon de campagne, fes funérailles fe firent le
premier février 1779, avec une pompe prefque
royale. Après avoir été expofé fur un lit de parade,
où un concours prodigieux de perfonnes de
tout rang s'eft empreffé de le voir, le corps fut
. mis dans un cercueil, Couvert de velours pourpre,
avec des ornemens dorés, & conduit à l’abbaye
de Weftminfter. Le duc deDevonshire/lescomtes
d'Aper-Offori & Spencer, le vicomte Palinerftone,
; le lord Cambden, MM. Wgune, Rigby, Stanley»
: Patterfon & Al bany-Wallis, portaient les coins
[ du drap mortuaire y & un grand nombre de perfonnes
de diftinétion accompagftoit le convoi, que
fuivoient cinquante carrolfes de deuil, avec beauc
o u p d’autres voitures, & que fermoit un déta-
; chement de gardes à pied. Il a été ii humé dans
; la partie de l'églife de Weftminfter qu'on nomme
i le coin des poètes, au pied du monument de
; Shakefpear, près duquel les héritiers de ce célèbre
I aéleur fe propofent d'en faire élever un à fa
mémoire.
G A SCO NN AD E S.
Vivent les gafeons ! préfence d'efprit, hardielfe
pouffée, s'il-le faut, jufqu'à l’effronterie, habileté
à trouver des expédiens pour fe tirer d'un pas
délicat : voilà leurs qualités.
Un gafeon, plus gafeon qu'un autre, étoit en
Hollande au port de la Brille, prêt à s'embarquer
dans un paquebot qui alloit partir pour l'Angie-
terre- Il dépofa, dans le paquebot, fa malle,
qui étoit fort légère; il en tra dans un cabaret pour
fe rafraîchir; il s'y arrêta trop, puifque le paquebot
partit avec un vent favorable; il n'apprit fe
débarquement que demi - heure après i jl. avoit
fait de grands projets de fortuné; qui dévoient
s'exécuter en Angleterre ; voilà le vent qui em^
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porte fes efpérances ; mais il trouva le fecrët de
renouer la partie; il fait fon marché avec un patron,
qui lui promit, à force de voile , d'atteindre
le paquèbot avec une barque platte & decouverte.
A peine, fut-il en pleine mer, qu'une violente
pluie lé pénétra jufqu’à la moéhe des os. II efiuya
l'orage avec une confiance plus que ftoïque. Enfin,
il atteignit le paquebot dans un temps obf-
c'ur ; il grimpa comme un écureuil. La barque
d irparut. Voici le compliment qu'il fit en entrant?:
Dieu vous garde, meilleurs 5 cadédis, il faut être
bon nageur pour vous atteindre; quand vous
auriez été à quatre lieues d’ic i, vous ne m'auriez
pas échappé, & je nageois dans cette confiance
avec un efprit fort tranquille. La hardielfe du gafeon,
tout trempé d'eau, impofa à tout le monde;
or. admira l'habileté d'un tel nageur. Un lord,
qui étoit un des paffagers, fe récria là-deffus;
il fe prôpofa de faire l’acquifition du perfon-
fonnage, pour le mettre aux prifes avec le more
d’un autre lord , qui pafToit pour le premier
nageur du monde, & qui avoit vaincu tous ceux
qui avoient voulu lui difputer cette gloire. Ces
fortes de divertiflemens donnent lieu en Angleterre
à beaucoup de paris. Le gafeon s'engagea
avec le lord , & fit fa condition avantageufe
comme un homme qui avoit plufieurs talens. Nommez
une perfection qu'un gafeon n'ait point, ou
qu'il ne s'attribue pas, je vous en défie ; fi vous
en difeonvenez, il vous perfuadera en fa faveur,
malgré, vous & malgré la vérité elle-même, à la- .
quelle il donneront hardiment le démenti, quand
elle viendroit en perfonne. Le lord fut à peine ,
arrivé à Londres, qu'il défia le lord maître du '
more nageur : il fit un pari de mille guinées en
faveur du gafeon nagèür , qui n'avoit jamais mis
le pied dans l'eau, pas même pour fe baigner. Le
jour eft pris pour cette expédition ; le gafeon eft
le trompette de la viétoire qu'il fe flatte de remporter.
Le voilà avec le more fur le bord de la
Tamife , tous deux dans un équipage lefte prêt
à fe jetter à l'eau. Le gafeon avoit à côté de .lui
Ùne petite caiffe de liège, il la prit fous le bras.
Le more lui demanda l'ufage qu’iTen vouloit faire,
fan dis, dit-il, je fuis homme de précaution, il
ouvre la caillé, où il y avoit plufieurs bouteilles
de vin Ôrforce petit falé : voyez-vous cela, pour-
fuivit-il vous ne faites pas de provifiori comme
moi, vous courez rifquede mourir de faim; favez-
vous bien que jeivôus mène droit à Gibraltar. Le
more le regarda alors ; & comme le gafeon lui
parla d un ton réfolu qui fembloic promettre qu'il
tiendroit plus qu'il ne difoit,, il fut épouvanté:
il dit à fori maître, je fie veux poinf me commettre
avec cet homme-là ; je me perdrois ; ce
feroit fuit de moi. Cette opinion1 s'enracina tellement
dans l'ame du more, qu’on ne la lui put
jamais arracher : il ne voulut poini: nager avec le
gafeon, Sc laifla perdre le pari à fon maître, de
{ÿielques reproches qu'il l'accablât. Y eu t- il
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jamais faillie-de gafeon plus fanfaronne & plus
heureufe en meme-temps que celle-là.
G A SCO N .x
L on verra, difoit un jour le miniftre à un gafeon
qui fe préfentoit pour une gratification , que le
roi lui avoit accordée pour une aCtion périlleufe;
cadédis, répondit lè gafeon: ai-je dit, l ’on verra...
j’ai payé comptant pour exécuter les ordres du roi.
Un gentilhomme de Languedoc difoit d'une
très-jolie fille de Paris, qui avec beaucoup de
beauté, avoit mille bonnes qualités enferable : fa
préfence eft une compagnie.
Un gafeon , qui paflfoit pour avoir beaucoup
d'efprit, étoit des heures entières avec une femme
fiupide, & qui en échange étoit fort bien faite ,
& avoit une belle bouche & de belles dents ; on
lui demanda un jour : « Que poiivez-vous dire
»s avec elle » ? •— Il répond : Je la regarde parler»
Un gafeon perdoit conftamment ; une femme,
touchée de fon malheur continuel, ne put s'empêcher
de le plaindre : « Madame, lui dit-il,
» épargnez-vous cé mouvement dé pitié ; cé n’ eft
» pas moi qu'il faut plaindre; cé font ceux à qui
« jé dois qui perdent ».
Un normand faifoit un jour la defcrîption de
fes bois de haute futaie, & en vantoit l'érendue,
la beauté & Jes agrémens qu'iltf donnoient à fon
château. Vous entendez parler Monfieur fur fes
bois, dit un .gafeon, je veux que l'on m’étrangle
s'il en a feulement de quoi faire un cure-dent.
Sous le miniftère du cardinal de Fleuri, on avoit
accordé des récqmpenfes à tout un régiment,
excepté le chevalier de Férigoufe, lieutenant dans
ce régiment. C e chevalier étoit gafeon. Un jour
qu’il fe préfentoit à l’audience du miniftre :.» Je
« ne fais , monfeigneur lui. dit - i l , par quelle
»- fatalité je.me ttouve fous le parapluie , tandis
» que votre, éminence fait pleuvoir des, grâces
» dans tout le régiment ». Cette exprelfton fin-
gulière Fut remarquée du miniftre, & peu de
temps après, le chevalier de Férigoufe obtint la
récompenfe qu'il demandoit
Quoi ! difoit un jeune parifien à un gafeon de
fes amis, il y a fix mois que votre maitreffe eft
morte, & vous la pleurez encore r Gomment fi je
la pleure encore, s'écria le gafeon ? Après fix moisi
Je veux la pleurer quatre vingts ans ; j'ai embaumé
ma douleur pour la rendre éternelle.
Un officier gafeon ayant dit adieu à fa maitreffe ,
Dalla voir le lendemain : « Quoi, monfieur, lui
» dit-elle, c’.ert vous ! Je vous croÿois parti pour
» l'armée.— Que voulez-vous, lui répondit le
» gafeon ? h gloire avoit bridé mon cheval, l'amour
» l’a débridé »,
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