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L ’-amour eft-îl un mal ? Y amour eft-il ton bien?
Voltaire décide ainfi la queftion.
Un amour v ra i, fans feinte & fans caprice >
E f t , en effet , le plus grand frein du vice ,
Dans fes liens qui fait fe retenir
Eft honnête homme, ou va le devenir.
Lorfque François I fut fait prifonnier à Pavie *
un Gentilhomme , nommé Beauregard, fut un de
ceux qui furent obligés de prendre la fuite , il ne
Voulut point retourner ën France , pour n'être pas
témoin de la confternation de fa patrie ; il s'arrêta
à Turin , peu de temps après il y devint amoureux
d'une veuve nommée Aurélia. Beauregard étoit
un cavalier accompli 3 c'étoit un efprit vieux dans
un corps jeune, il avoit une de ces figures gra-
cieufes 3 avec laquelle tout le monde fympathife.
Aurélia étoit en femme ce qu'il étoit en homme.
Elle avoit une de ces beautés éclatantes qui effacent
toutes les autres ; Beauregard en devint
éperduement amoureux ; Aurélia ne vouloit point
écouter fa paffion. Elle lui reprochoit à tout moT
ment qu'il étoit frafiçois , que la légéreté , l'indif-
erétion étoient.les vices de fa nation. Beauregard
l'affuroit qu'il étoit • exempt de .ces défauts, 8c
qu'il étoit capable des plus grands efforts pour lui
prouver fon amour. Hé bien, lui dit Aurélia ,
je vous demande que vous foyez muet pendant
une année. Beauregard fur-le-champ ne lui parla
que par ligne ; quand il fut de retour chez lui ,
il ne s'expliqua que par ligne avec fes domeftiques.
Tout le monde crut qu'il avoit perdu la parole ,,
on déplora fon malheur. Les médecins qui furent
appellés prefcrivirent des remèdes , il n'en voulut
faire aucuns ; il alloit voir Aurélia à qui il parloit
par ligne j & voulant exprimer fa paffion , il met-
toit fouvent fa main fur fon coeur, 8c montroit
enfuite les yeux de fa belle, pour lui faire voir
la .caufe de fon mal. Aurélia ne parut point touchée
j elle lui ordonna de s'éloigner d’elle, il palïa
en France. François I ayant été mis en liberté,
B Jauregard qui étoit connu de ce monarque parut
à la Cour. François I qui l'aimoit, lui envoya des
médecins qui propofèrent plulîeurs remèdes ; il
feignit de les écouter. Comme il ne guërilfoit point,
les empyriques parurent, & il leur joua le même,
•our qu'il avoit joué aux médecins. Une étrangère
qui le vantoit d'avoir des fecrets particuliers , fe
préfenta à François I , comme une femme qui avoit
fait des cures extraordinaires, qui avoit reffufcité ,
comme dit Molière, des gens qui étoient morts.
Sa beauté frappa ce monarque qui ne haïffoit pas
les dames. Il manda Beauregard qui fut encore
plus furpris que le roi à la vue de cette belle em-
pyrique. Pour vous montrer , dit-elle au ro i,
quelle eft la vertu que j'a i, je veux par une parole
feule le guérir; parleç3 dit-elle a Beauregard.,
Alors la langue de ce cavalier fe délia. C'étoit Au- : ,
rélia elle-même, dont le coeur s'étoit fléchi, lorsqu'elle
avoit appris la fidélité avec laquelle fon
amant avoit exécuté l'ordre qu elle lui avoit pref-
crit, elle l'avoit jugé capable de tout faire pour
elle, 8c elle avoit payé fon amour par un amour
■ égal. C'eft la feule monnoie qui ait cours parmi
ceux qui s'aiment. Ces deux amans racontèrent au
? roi leur hiftoire, dont le dénouement fut leur ma-
• Pliage.
U amour de Pétrarque pour Laure, eft bien extraordinaire.
Laure étoit mariée depuis long-temps,
. elle avoit eu de fréquentes couches , 8c des chagrins
domeftiques qui avoient fait évanouir tous
fes attraits, tandis que le poète paflionné em-
ployoit tout le feu de fa verve pour les exalter.
Un étranger qui avoit fait le voyage d'Avignon
tout exprès pour contempler cette merveille tant
vantée , demeura ftupéfait à fon abord. « Quoi !
» s'écria-t-il, eft-ce là l'objet qui a tourné la cer-
» velle à Pétrarque ? »
La reine Elifabeth aimoit fi ardemment le comte
d'Effex, que dans un tendre moment, elle lui
donna une bague, lui difant que fi jamais il s'ou*
blioit jufqu'à faire contre l'état quelque entreprife
qui méritât la mort, il lui envoyât cette bague ,
I avec confiance d’obtenir fon partfon. Le comte
d'Effex aima quelque temps après une autre femme
; dans la fuite il fé .révolta , 8c fut condamné
à la mort : en cette extrémité il donna à cette femme
la bagué pour la porter à Elifabeth; comme
elle en fa voit le myftère , elle aima mieux garder
la bague , & laiffer couper la tête à fon amant,
que de le voir infidèle.
La maîtreffe de Corneille Béga , peintre , étant
attaquée de la pefte , & abandonnée de tout le
monde, il fe rendit auprès d'elle, malgré les re-
préfentations des médecins 8c de fes parens ; il ne
ceffa de lui prodiguer les plus tendres foins, jufqu'à
ce que la mort x eût frappé du même coup &
l'amant & l'amante.
Jean George IV , éle&eur de Saxe, avoit pour
maîtreffe une demoifelle faxonne, appellée de fon
nom de famille Neitzfch, & de fon nom feigneu-
ria l, la comteffe de Rochlitz ( en Luzace ) ; laquelle
étant morte de la petite-vérole à Drefde
en Mifnie, le 27 Avril 1.694 , l'entraîna dix jours
après au tombeau. Il gagna la petite-vérole _à force
de la baifer dans fon cercueil.
Hipparchia , éperduement amoureufe du philo-
fophe Cratès, le rechercha en mariage, fans que
ni les parens , ni ce philofophe même, puflènt la
détourner de fa pourfuite. Mais , lui dit Cratès ,
connoiffez-vous bien ce que vous aimez ? Je ne
veux rien vous cacher : voilà l'époux , dit-il ,
en ôtant fon manteau ; puis jettant fon fac & fou
bâton, voilà, ajouta-t-il, en montrant fa boffe, le
, douaire de ma femme : voyez fi vous en êtes contente
3 ; & fi vous pouvez vous accommoder de
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cette façon i t vie. Elle accepta toutes ces condi-
tions 8c il l’époufa.
La Fontaine a bien eu raifon de dire :
Tout eft myftère dans l’amour,
Ses flèches, fon carquois , fon flambeau, fon enfance,
Ce n’eft pas l’ouvrage d’un jour,
Que d’épuifer cette fcience.
Vamour eft dépeint par les poète s avec un bandeau
fur les y eu x , pour marquer l'aveuglement
dans lequel il nous plongé ; la for ce de cette
paffion ne fe mefure même que par le degré de
ce t aveuglement. C'eft ce qu aVoit tires-bien fenti
cétte fem m e , q u i, furprife par fon amant entre
les bras de fon r iv a l, ofa lui nier le fait dont il
étoit témoin. «« Q u o i ! lui d it - il, vous pouffez^ a.
» ce p oint l'impudence ? . . . Ah ! perfide , s ecna -
» t- e lle , je le v o i s , tu ne m'aimes p lu s; tu crois
w plus ce que tu vois que ce que je te dis ».
Une jeune languedocienne qui avoit été trois
mois privée de voir fon amant, le rencontre au for-
tir de fà maifoa. Elle lui témoignoit les plus tendres
fentimens , lorfqu'il furvint Une forte pluie :
le jeune homme en paroiffoit inquiet, £ 8c cheçchoit
à s’en garantir. « Quoi ! vous avez été trois mois
1 abfent, lui dit fon amante avec emportement ;
» vous m’aimez , Vous me v o y e z , & vous fongez
» qu'il pleut » !
U n efpagnol ne ceffoit de foupirer pour une
très-jolie perfonne. Défefpéré de n'avoir encore pu
en obtenir la moindre fa v eur , il va lui-même , ,
pendant la nuit , mettre le feu à la maïfon où elle
demeure, 8c tout auffi-tôt lui annoncer le danger.,
afin du moins de pouvoir la tenir dans fes bras
tout le temps qu'il faut pour la fauver des flammes.
Q u e c e tte anecdote foit vraie ou'fauffe , elle peut
fervir à peindre Y amour romanefque d'un amant
efpagnol.
Une courtifanne à Madrid, tua fon amant pour
une infidélité qu'il lui avoit fait. Elle fut prife 8c
amenée devant le ro i, à qui elle ne cacha rien de
l’affaire. L e r o i , en la renvoyant, lui dit : tu as
trop d'amour pour avoir de la raifon.
Un jeune officier étant tombé malade, on le
conduifît dans le couvent de.... On prit un grand
foin de lui. Une jeune religieufe fe diftingua par fes
attentions. Elle le veilla prefque nuit & jour pendant
fa maladie qui fut longue & dangereufe.
Elle lui tint compagnie pendant fa ;Convalefcencé.
Le malade s'attacha tellement à fà garde qu'il ne.
pouvoit prendre un bouillon à moins qu’il ne lui
fût préfenté par elle. Enfin il fe rétablit entièrement.
Il fortit du couvent; mais quoique la ville
où étoit fon régiment fût affez éloignée dù
couvent, il ne fe paffoit guère de jours qu'il n'allât
voir la religieufe. Il l'avoit fans ceffe devant les
yeux, & ne refpvoit que pour elle. Au bout de
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quelques mois , cette vertueufe fille vint à mourir.
Un ne peut exprimer quelle fut la douleur du
jeune homme. Il renonça long-temps à toute fo-
ciété, & s'enferma dans fa chambre, où il croyoit
fans ceffe la voir 8c l'entendre. Souvent il s'écrioit
avec tranfport : « la voilà , oui, c’eft elle ; la
*> voilà % Ses amis s'efforcèrent de l'arracher à fa
folitude. & au fouvenir de fa paffion. Souvent au
milieu des plaiiîrs où ils l'entraînoient malgré lu i,
il arrçtoit fes yeux fur quelque chofe & s'écrioit :
cc Quoi ! vous ne la voyez pas« ? Le hafard voulut
qu'un de fes camarades rencontra une fille qui,
pour l'âge & la figiire, reffembloit à la religieufe
au point de tromper les yeux même d’un amant.
Il la fît habiller comme la défunte, 8c lui ordonna
de fe tenir prête à paroître quand on le jügeroit
à propos. Au milieu d'un fouper, le jeune officier
commençant à fixer fes yeux fur un endroit, de
l'appartement, on tira tout-à-coup un paravent
qui laiffa paroître la fauffe religieufe. « Ah ! ciel,
» elles font deux i s'écria l'amant ». Il tomba à la
renverfe , & on eut beaucoup de peine à le faire
revenir. On affure que cette paffion dura prefqùe
autant que fa vie.
Il étoit de l'effence de l’ ancienne chevalerie
d’avoir fa dame, à qui, comme à un être fuprême,
• on rapportoit tous fes fentimens , toutes fes pen-
fées., toutes fes actions : on étoit perfuadé que
Y amour perfeâiionnoit les âmes bien nées, & qu'il
étoit entrepreneur de grandes chofes. « Ah ! fi
«madame me voyoit.” ! difoit Fleuranges, en
montant le premier à l’ affaut.
Qu'il eft important de s’oppofer dans le commencement
à un amour qui deshonore ! car lorfqu'il
a fait des progrès, on ne peut plus l’arrêter.
Nous faifons cent réfolutions loin de-l'objet
de notre tendrèffe : il paroît, nous les oublions
, 8c nous né voulons plus que ce que veut
l’amer. Le grand Corneille dit :
Vamour, parr tyrannie , obtient ce qu’il demande ;
S’il parle, il faut céder; obéir, s’il commande;
Et ce Dieu, tout aveugle & tout enfant qu’il e f t ,
Difpofe de nos coeurs quand & comme il lui plaît.
AM O U R JALOUX. Dans le fiècle dernier,
vers l’ an T 616.3 M. André Gordier, françois ,
riche, établi dans l'ifle de Jerfey, paftionnément
épris de là fille d'un commerçant de Guernezey,
obtint le confèntèment des parens de fa maîtreffe ,
& déjà tout étoit prêt pour fon mariage, lorfqn'ii
: difparut tout-à-coup, la veille de fes noces. Ses
anus, fes yoifîns , fes parens, ainfi que ceux de
s fa future, fe donnèrent beaucoup de foins, firent
les plu? .exaftes recherches , & ne découvrirent
; rien.' Pendant quelques jours , on ne s'occupa
d'autre chofe à Jerfey , comme à Guernezey ; mais
enfuite on n'en parla plus ; ■ & l’on avoit prefque
oublié le malheureux Gqfdier, lorfque trois ou,
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