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On. voulut charger Ségrais de- l'éducation. de
M . le duc du Maine. Il s’eu défendit fous prétexte
de fa furdité. On lui dit qu’il ne s'agiffoit
pas d’écouter le prince > mais de lui parler. Il
répondit qu’il favoit, par expérience, que dans
lin pays comme celui de la cou r, il falloir de
bons yeux & de bonnes oreilles.
SÉNÈQUE le philosophe , £ Luci-us Antu&us
Sencca) y né vers l'an 15 de Jéfus-Chr.ff, mort
Pan- 6yl
Le père de Sénèque, qui avoit reconnu dans
fon fils le goût des. lettres , cultiva avec foin fes.
beureufes difpofitions > il le defhna à l’eloquence
du barreau qui étoit, chez les romains, la voie
ouverte au mérite, pour s’élever aux honneurs.
Sénèque débuta avec éclat ; fon éloquence fut
admirée , Se il devint bientôt l’orateur à la mode*
Mais la crainte d’exciter la jaloufie de Çaligula
l ’obligea de quitter une carrière fi brillante &c fi
dangereufe fous un prince baffement envieux*, &
qui avoit de détruire tous les exemplaires
d ’Homère, de Virgile & de Tite-Live. La dernière
fois que Sénèque plaida au fénat, en préfence
de Çaligula, on vit ce prince au milieu des ap-
plaudiffemens que l’on donnoit à l’orateur, changer
de couleur. 11 quitta l’aflemblée dans le def-
fein de facrifier cet homme^fi éloquent à fa barbare
jaloufie. Sénèque avoit un vifage paie &
défait , qui annonçait une faible fanté, & ce
fut ce qui lui fauva la vie. Une concubine de ,
l’empereur lui perfuada de fe repofer du foin de
fa vengeance fur la pthifie dont Sénèque étoit attaqué
; elle lui repréfenta qu'il étoit inutile de
hâter la mort d?un homme qui ne pouvoir vivre
long tems. Çaligula porta fa jaloufie fur d’autres
objets , & Sénèque fut oublié. Aufli ce philosophe
dit quelque part j dans fes ouvrages, qu’ il
eft des gens dont la maladie a retardé la mort,
& qui ont confervé la vie , parce qu’ils fembloient
devoir bientôt la perdre.
Sénèque pouvoit afpirer à toutes les charges
publiques, & fes parëns follicitèrent pour lui la
quefture. Lorfqu'il l’eut obtenue , on efpéroit qu’il
monteroit plus haut, lorfque fes liaifons avec la
belle Julie, que Meffaline avoit accufée d’adultère
} le fit reléguer dans l’ifle de Corfe ; mais un
exil, ordonné par l’infâme Meffaline, ne put être
regardé comme une flétriffure, & les moeurs auf-
tè.res de Sénèque le juftifient affez. C e philofo-
phe foutint d^abord fa difgrace avec courage,
c ’eft dans ce lieu de fon exil qu’il compofa fes
livres de confolation , qu’il adreffa à fa mère. Dans
une lettre qu’il lui écrivit » après avoir cherché
à la dillraire de fes follicicudes maternelles avec
cet art qu’il poffédoit fi parfaitement , il finit
par lui marquer qu’il n'eft pas aufli à plaindre
qu’ elle le croit : »: Peut-on n’être pas content,
ajoute-t-il, quand l’efprit, libre de toute penfée j
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étrangère, ne. s’occupe que de lui même* Je
m amuie tantôt, à des ouvrages de littérature,
tantôt avide du vrai, je médite fur la nature de
l'homme celle de l’uhjvers. Je prends J’elïot
vers les objets divins > je jouis de ce fpeâacle
délicieux. Mon efprit ne perd point de vue fon
immortalité, & je le nourri^ de tout ce que U
nature a de plus curieux & de plus intérelfant ».
Cette confolation que Sénèque chercha d’abord
en lui même , cette confiance ftoïque qui le
foutient dans les premiers te ms de fon exil, l’abandonna
au bout de trois ans. 11 fongea aux moyens
de revoir fes dieux pénates, & ces moyens démentent
un .peu fes maximes. Il eut recours à
un certain Polybe, vil affranchi de Claude. Il lui
écrivit une lettre dans laquelle il le comble d'éloges
$ il exalte les prétendues vertus de l'empereur ,
la prudence , fa valeur, fa clémence,>& ne rougit
pas.de mettre au rang des dieux, celui qui
ét<o;c à ' peine digne d’être compté parmi les
hommes $ mais fon encens fut rejette, & Sénèque
auroit fini fes jours dans fon exil > fi Agrippine,
qui avoit fu s'élever au trône , n’avoit .jette les
yeux fur cet illuftre exilé, pour lui confier l’éducation
de fon fils Néron.
Agrippine avoit affocié \ Sénèque y pour le même
emploi, Burrhus, officiel non moins confidérés
; par fes vertus. La mère de Néron, qui s’écoic
rendue coupable de plusieurs forfaits, pouvoit
efpérer, par ce choix, de fe concilier l’eftime
• des romains. ;Le méchant fait bien, d’ailleurs,
qu’il eft de fon intérêt qu’il y ait des bons, afin
d’en faire fes dupes 5 & Agrippine , comme l’événement
l’a juftifié, n’avoit rien de plus à craindre
que d’avoir un .fils qui lui reffembiât.
Cette princeffe s’étoit rendue la maîtreffe de
l’empire ; & non contente d’exercer le pouvoir de
l’empereur, fon fils , elle vouloic encore en partager
les honneurs. C e jeune prince donnoit au-
; dience aux ambaffadeurs d’Arménie ; Agrippine
s’avança pour monter fur le trône avec lui. Tous
les afliflans furent déconcertés. Sénèque feul eut
affez de préfetfee d’efprit pour avertir l’émpereur
de fe lever , & d’aller au-devant de fâ mère.
Ainfi, par une apparence de refpeét, on fauva
une indécence qui auroit choqué tout l'empire.
Tout le temps que Néron fuîvic les confeils
de fon précepteur , il fut l’amour de Rome.
Sénèque étoit incapable de fe plier aux vices de
Fon maître. » J’aimerois mieux , difoitdl, vous
offenfer par la vérité ,-qu e vous plaire par la
flatterie ».
Néron ayant fait conftruïre une tente oélo-
gone, d’un prix Si d’une richeffe extraordinaire,
tous les caurtifans s’empreffèrenc de louer la
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jnâgnïficenee & le bon goût du prince. » Seigneur , |
lui ditingénitufement Sénèque, une telle dépenfe 1
montre moins vos richeffes que votre pauvreté :
car fi vous perdiez cette tente, vous ne pourriez en
avoir une pareille «.
Sénèque avoit reconnu de bonne heure dans
Néron un coeur cruel * mais fâchant qu'il efi des
naturels pervers que l’on ne peut entièn mem
changer, il s’étoit efforcé de corriger celui de fon
élève , de le modérer , de l’adoucir. Il avoit eom-
pofé , dans cette vue, fon Traité de la clémence >
& Sénèque, voyant ce prince près de facrifier
plufieurs romains à fes.foupçons , lui dit avec
courage : » Quelque nombre de perfonnes que
vous fartiez tuer, vous ne pouvez tuer vqtre
fucceffeur ».
La cenfure d’un philofophe de voit être bien
incommode à un prince qui n’écoutoit plus que
fes paffions * & N éron, qui avoit trempé^fes mains
dans- le fang de fa propre mère, ne reconnoiflbit
plus de bornes à fes fureurs. Il avoit ordonne à
l’un de fes affranchis d’empoifonner Sénèque. Mais
ce funefte projet n’ayant pu être exécuté, Néron
enveloppa fon précepteur dans la conjuration de
Pifon. C e philosophe fut dévoué à la mort comme
les autres conjurés. Lorfque le centurion lui lignifia
l’ordre de Lempereur, il demanda, fans fe troubler,
fon teftament, afin d’y ajourer quelques legs
en faveur de fes amis préfens, Le centurion lui
en refufa la permiflion : c< Eh bien ! dit Sénèque,
en fe retournant vers fes amis ,puifqu'on m’empêche
de vous témoigner ma reconnoiffance pour vos
bons offices , je vous laiffe le feul bien qui me
telle, mais le plus précieux, l’image de ma vie.
Le fouvenir que vous en conferverez honorera
nos fentimens , & rendra notre amitié refpeâable :
aux fièçles à venir «. Les amis de Sénèque s’ at- I
tendrirent à un tel adieu ? ce philofophe les cen-
fola par fesdifepurs, & les raffura par fa fermeté.
” Où font,, leurdifoit-il, ces maximes de fageffe
& ces réflexions qui, depuis tant d’années-, ont
dn vous armer contre les malheurs ? La cruauté
de Néron vous ëtoit-elle inconnue ? *Après s’ érre
tendu coupable de la mort de fa mère & de fon
ftère , il ne lui reftoitplus que d’ y joindre le meurtre
de celui qui a inftruit & élevé fon enfance ».
La fenfibilité de Sénèque fe réveilla lorfqu’il em-
braffa fa chère Pauline qu’il avoir toujours tendrement
aimée. Il la conjura de modérer fa douleur,.
& de chercher dans le fouvenir de la vie & des
vertus de fon époux, un foulagement honorable
au malheur de le perdre.. La vertueufe Pauline
répondît qu elle étoit réfolue de mourir avec lui,
& elle demanda, à l’officier qui étoit préfent,. de
Êaider à exécuter cedeffein. Sénèque^, qui, fuivant
hs principes de là philofophie fioïque,. regai doit
là mort volontaire comme, un, réftige- honorable.
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pour îe fage , applaudit au defir de Pauline, » Je
vous avoit montré, lui dit-il , ce qui pouvoit
adoucir pour vous les amertumes de la vie. Vous
préférez une mort généreufe : je ne vous envierai
point cet exemple de vertu. Nous mourrons l’un
& l ’autre avec une égale confiance, & vous avec
encore plus de gloire <*. Auflitôt iis fe font en
même-remps ouvrir lés veines. Senèque y dont le
corps étoit ufé par la vicillefîe & par un régiriie
aufière, neperdoit fon. fang qu’avec lenteur, ce qui
1 obligea de fe faire ouvrir encore les veines des
jambes & des jarrets. Ses douleurs furent Ion gu s
& violentes. Craignant alors d’accabler fon ép-.ufe
par le fpeâacle de fes maux » ou. d’être a-ecab é
lui-nième par la vue de fa chère Pauline mourante >
il lui' perfuada de paffer dans une autre chambre..
Cette époufeobéit. Sénèque avoit demandé qp’ os*
fît venir fos fecrétaires. Son génie enflammé, fins
doute ,.par la préfence de l’éternité qui alloit s’ouvrir
pour lui, prend l’effor ^ & il d iâ e des diÉ*
cours que nous ferions très-curieux- d’avoir* mais
que Tacite a malheureufement fupprimé, parce?
que,, dans fon temps, ils croient entre les mains
de toutle mgnde. Cependant les douleurs de Sénèqu*
amenant lentement la mort, il pria Stades Annarus,
fon médecin & fo» ami d e lui préparer de la ciguë.
Il prit ce poifoiT, mais fans aucun eff-t , parce
qué fon corps étoit- déjà refroidi „ & les vailfeaux
affaiffés,. arrêtèrent le paffage & l ’aûivité de la
liqueur. Il fe fit porter dans un bain chaud poire
faciliter l’aftion du poifon. En yr entrant, ilpritr
de Peau , & faifant allufîon à l’ufage de terminer
les feftins par des Jibations ,, il arrofa ceux de-
fes domefliques qui étoient le plus près de lui ^
& die d’une voix foible : Faifons nos libations-
a Jupiter Libérateur. Il fut enfui te porté dans une
étuve dont la vapeur l’etouffa,.
Néron, qui avoit appris la. funefte réfoludonde
Pauline , & qui craignoit que la mort de eette^
vertueufe romaine ne le rendit encore plus-odieux»,
avoit envoyé plufîeurs de fes- affranchis pour bander
fes plaies y mais il en étoit forti tant de Lng.,>
qu’ il lui en refta, fur le vifage ,, une noble pâleur:
qu’elle garda toute fa vie.
Suivant une anecdote, rapportée par Tacite,,
le deffein de la plupart de ceux qui conduifoient:
la conjuration de Pifon , étoit de placer Sénèque*
fur le trône, comme l’homme le plus capable de*
faire le; bonheur des romains. Cet hifiorien cite
même un mot affez vif d’un des conjurés. Néron?
touchoit des inftrumens , & Pifon aimoit à jouer
la tragédie. » Que gagnerons mous, difoit ce con—
juré, â nous défaire d’un joueur de flûte, pour-
avoir un aâeur de tragédie » ? Mais ne faifons
point injure à la philofophie, en accufant Sénèque,'
d’ avoir donné fon confentement aux conjurés. Le:
féul foupçon qu’on a contre lui, c’ eft que, retiré:
depuis quelque- temps dans, fes maifons- die Garni