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mens 3 il fit plus, il les fit exécuter. Son génie Je
‘ répandit fur toute les parties de l’empire : on
voit dans les loix de ce prince un efprit de prévoyance
qui comprend tout , & une certaine
force qui entraîne tout. Les prétextes pour éluder
les. devoirs font ôtés , les négligences corrigées
, le,s abus réformés;ou prévenus 5 il favoit
punir j jl favoit encore mieux pardonner., Vafte
dans fes deffeins , fimple dans l’exécution y per-
fonne n’eut à un plus haut degré l’art dejfàire
les plus grandes chofes avec facilité , & les difficiles
avec promptitude. Il parcouroit fans ceffe
fon vafte empire , portant la main par-tout où il
alloit tomber. Les affaires renasffoient de toutes
parts, il les finiffoit déboutés parts. Jamais Prince
ne fut mieux braver les dangers 3 jamais prince
ne les fut mieux éviter. Il fe joua de tous les
périls 3 & particulièrement de ceux qu’éprouvent
prefque toujours les grands conquérans , je veux
dire les confpirations. Ce prince prodigieux étoit
extrêmement modéré 3 fon cara&ere étoit doux 3
fes manières fimples 5 il aimoit à vivre avec les
gens de fa cour. Il fut peut-être trop fenfible au
plaifir des femmes j mais un prince qui gouverna
toujours par lui-même 3 & qui paffa fa vie dans
les travaux j peut mériter plus d’excufes. Il mit
une règle admirable dans fa dépenfe 5 il fit valoir
fes domaines avec fageffe 3 avec attention 3 avec
économie : un père de famille pourroit apprendre
dans fes loix à gouverner fa maifon. On voit dans
fes capitulaires la fource pure & facrée d’où il
tira fes richeffes. Je ne dirai plus qu’ un mot : il :
ordonnoit qu’ on vendît les oeufs des baffes-cours !
de fes domaines 3 & les herbes inutiles de fes
jardins ; & il avoit diftribué à fes périples toutes
les richeffes des Lombards 3 & les immenfes tré-
fors de ces Huns qui avoient dépouillé l’univers.
( Montcfquieu ).
Charlemagne 3 le plus ambitieux , le plus politique
& le plus grand guerrier de fon fiècle , fit
la guerre aux faxons 3 trente années avant que de
les affujettir pleinement. Leur pays n’avoit point
encore ce qui tente aujourd’hui la cupidité des
conquérans. Les riches mines de Goflar, dont on
a tiré tant d’argent3 n’ étoient point découvertes....
Point de richeffes accumulées par une longue
induftrie 3 nulle ville digne de l’ambition d’un
lïfurpateur. Il ne s’ agifl'oit que d’avoir pour efcla-
ves des millionsj d’hommes qui cultivoient la terre
fous un climat trifte , qui nourriffoient leurs troupeaux,
& qui ne vouloient point de maîtres..-.;
Charles prend d’abord la fameufe bourgade d’E-
resbourg 5 car le lieu ne méritoit ni le nom de
ville , ni celui de fortereffe. Il fait égorger les
habitans : il y pille & raie enfuite le principal
terqple du pays 3 élevé autrefois au dieu Lanfana J
( principe univerfel ) 3 & dédié alors au’ dieu Ir- 1
fninful. On y maffacra les prêtres fur les débris |
fie l’idole «enverfée : on pénétra jufqu’au Wefer ]
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avec l’armée viCtorieufe : tous ces cantons fe fo#
mirent. Charlemagne voulut les lier à fon joug par
le chriftianifme. Tandis qu’il court a l’ autre bout
de fes états, à d’autres conquêtes, il leur laiffe
des miffionnaires pour les perfuader, & des fol-
dats pour les forcer. Prefque tous ceux qui ba-
bitoient vers le W e fe r , fe trouvèrent en un an
chrétiens de efclaves.
Vitikirtg retiré chez les Danois, qui trembloient
pour leur liberté & pour leurs dieux, revient
au bout de quelques années. Il ranime fes compatriotes
, il les-raffemble : il trouve dans Brème»
capitale du pays qui porte ce nom, un évêque >
une églife & fes faxons défefpérés, qu’on traîne
à des autels nouveaux. Il enaffe l’évêque, détruit
le chriftianifme qu’on n’avort embraffé que
par la force..... Il bat les lieutenans de Charlemagne.
Ce prince accourt : il défait à fon tour Viti-
king 3 mais il traite de révolte cet effort coura-
rageux de liberté. Il demande aux faxons trem-
blans, qu’on lui livre leur général 5 & fur la
nouvelle qu’ils font laiffé retourner en Danne-
marck , il fait mafïacrer quatre mille cinq cents
prifonnîers au bord de la petite rivière d’Alve*
Si ces prifonniers avoient été des fujets rébelles»
un tel châtiment auroit été une févéritë horrible
; mais traiter ainfî des hommes qui com-
battoient pour leur liberté & pour leurs loix »
c’eft FaCtion d’un brigand , que d’illuftres fuccès
& des qualités brillantes on.t d’ailleurs fait grand
homme.
Il fallut encore trois victoires, avant d’accabler
ces peuples fous le joug. Enfin, le fang cimenta.
le chriftianifme & la fervitude...... Le roi, pour
mieux s’ affurer du pays, tranfporta des colonies
faxones jufqu’en Italie , & établit des colonies de
francs dans les terres des vaincus} mais il joignit
‘ à cette politique fage la cruauté de faire poignarder
par des efpions , les faxons qui vouloieut
j retourner à leur culte. Souvent les conquérans
rie font cruels que dans la guerre : la paix amène
' des loix & des moeurs plus douces. Charlemagne »
au contraire 3 fit des loix qui tenoient de l’inhumanité
de fes conquêtes.,... Ce prince foutint
l’Emir de Saragoffe contre fon fouverain f mais
il fe donna bien garde de le faire chrétien! D ’autres
intérêts, d’autres foins : il. s’ allie avec; des
farrazins contre des farrazins} mais après quelques
avantages fur les frontières d’Efpagne, fon
arrière-garde eft défaite à Roncevaux , vers les
montagnes des Pyrénées, par les chrétiens même
de ces montagnes, mêlés aux mufulmans.....
Content d’affurer fes frontières contre'des ennemis
trop aguerris, il n’embraffè que ce qu’ il peut
retenir, & règle fon ambition fur les conjonctures
qui la fàvorifent.
C ’eft à Rome, c’d t à l’empire d’occident que
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Cette' ambirion afpiroit. La puiffancé de§ rois de
Lombardi-■ en éto t le feu! obftacle.... Charles
p.iffe les Aipev : Didier marche à fa rencontre 5
mais une pairie des troupes de ce roi malheureux
l'abandonne. Il s’enferme dans Pavie, fa
capitale : Chanemagne l ’y alfiège au milieu de
Lffver. La ville, réduite à l ’extre'mité, fe rend ;
après un fie' e de huit mois..... Didier, le der- j
nier des rois lombards, fut conduit en France , ’
dans 1 moiiaftère de Corbie, où il vécut &
mourut en captif & mo;ne.... il faut remarquer
qu’il ne fut pas le' feu! fouverain que Charlemagne
enferma : il traita ainfi un duc de Bavière & fes
enfahs.
Charlemagne n’ ofoit pas- encore feu faire fouve-
rain de Rome : il ne pr t que le livre de rui
d’ Italie, fe fit couronner comni; eux, dans Pavie,
d’une couronne de fer. La juftice s’admin ftro.t
encore à Rome, au nom de l’empereur grec.
Les papes même en recevoient la confirmation de
leur élettion. Charlemagne préwoit feulement le
titre de patrice.... Les papes n’avoient dans Rome
même qu’une autorité précaire & chancelante....
Les inimitiés des familles qui prétendoient au
pontificatrempliffoient Rome de confufion. Les
deux neveux d’Adrien confpirèrent contre Léon
I I I , fon fucceffeur, élu pape, fclon l’ufage, par
le peuple & le clergé romain. Ils l’accufent de
beaucoup ds crimes , ils animent les romains
contre lui .: on traîne en prifon, on accable de
coups à Rome celui qui étoit fi refpeCté p ir-tout
ailleurs. Il s’évade, il vient fe jetter aux genoux
dupatrice Charlemagne, à Paderbonn. Ce prirce,
■ qui agiffoit déjà en maître abfolu, le renvoya
avec une efeorte , & des commiffaires pour le
juger. Ils avoient ordie de le trouver innocent.
Enfin, Charlemagne, maître de l’ Italie, comme
de l’Allemagne Oc de la France , juge du pape,
arbitre de l’Europe-, vint à Rome en 8013 il fe
fait reconnoître & couronner empereur.
Il n’avoit point de capitale: feulement Aix-
la-Chapelle étoit le féjour qui lui plaifoit le plus.
C e fut là qu’il donna des audiences , avec le fafte
le plus impofant , aux ambaffadeurs des califes
& à ceux ds Conftantinople. D ’ ailleurs, il étoit
toujours en guerre ou en voyage, a>nfi que vécut
Charles-Quint, long-tems après lui. Il partagea
Tes états comme tous les rois de ce tems-là : mais
quand de fes fils, qu’il avoit deftinés pour régner,
il ne refta plus que ce Louis , lï connu fous le
nom de débonnaire , auquel il avoit déjà donné
le royaume d’Aquitaine , il l’ affocia à l’empire
dans Aix-la-Chapelle, & lui commanda de prendre
lui-même fur l’ autel la couronnes impériale,
pour faire voir au monde que cette couronne
n’étoit due qu’à la valeur du pere ô: au mérite du
fils , & comme s’ il eût preffenti qu’un jour les
miniftres de l’autel voudrpjent difpofer de cette
couronne.....Miis en laiffant l’empire à Louis,
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& èn donnant l’Italie à. Bernard, fils de fon fils
Pepin, ne déchirok-il pas lui-même cet empire
qu il vouloit conferver à fa poftérité ? N ’ étoit-ce
pas armer néceffairement fes fucceffeuis les uns
contre les autres ? Etoit-il à préfumer que le neveu,
roi d’Italie, obéiroit à fon oncle empereur,
pu que l’empereur voudroit bien n’être pas le maître
en Italie ?
Il paroîtque, dans les difpofitions de fa famille.,
il n’agit ni en roi ni en pere. Partager fes états,
eft-il d’un fage conquérant ? & puifqu’il les parta-
geoit, laiffer trois autres enfans , fans aucun héritage
» à la diferétion de Louis, étoit-il d’ un père
jufte ?.
Quoi qu’il en fo it, Charlemagne mourut en
813 , avec la réputation d’un empereur auffi heureux
qu’Augufte, aufli guerrier qu’Adrien , mais
non tel que les Trajans & les Antonins, auxquels
nul fouverain n’a été comparable.
La curiofité des hommes, qui pénètre dan< la vie
privée des princes , a voulu favoir julqu’ au détail
de la vie de Charlemagne , & au fecret fes
plaifirs. On a écrit qu’il avoit poi ffé l'amour des.
femmes, jufqu’ à jouir de fes propres filks. On
en a dit autant d’Augufre : biais qu’importe au
genre humain le détail de ces foib'effes V qui n’ont
influé en rien fur les affaires, publiques ?
J’envifage fon règne par un endroit plus digne
de l ’attention d’un citoyen. Les pays qui com-
poffnt aujourd’ hui la France & l'Allemagne jufqu’au
Rhin , furent tranquilles pendant près de
cinquante ans, & l’Italie pendant treize , depuis
fon avènement à l’empire. Point de révolution
en France, point de calamité pendant ce demi-
fiècle, qui par-là eft unique. Un bonheur fi long
né fuffit pas pourtant, pour rendre aux hommes
la politeffe & les arts : la roui le de la barbarie
etoit trop forte , & les âges faivans l’épaiflîrent
encore.... Je tiouve peu de nouveaux régie mens
fous fon règne 3 mais une grande fermeté a fait
exécuter les anciens. Sa valeur fit fervir à tant
de fuccès les loix en ufage , & fa prudence les
perfectionna. Il avoit des forces navales aux embouchures
de toutes les grandes rivières de fon
empire. Avant lui, on ne les connoiffoit pas chez
les barbares : après lui, on les ignora long-tems.
Par ce moyen & par la police guerrière, il arrêta
ces inondations des peuples du nord , il les
contint dans leurs climats glacés » mais, fous
fes foibles defeendans , ils fe répandirent dans
l’Europe.
Il fit fleurir le commerce , parce qu’il étoit
maître des mers.
( Voltaire ).
Charlemagne fut le héroS de la France & de
l’univers, le modèle des grands rois, l’ornement
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