
"des loix des différentes nations de l'Europe. Lors
de fon féjour à Venife, il avoit beaucoup questionné
& beaucoup écrit : fes écritures , qu’ il ne
- tenoit pas allez fecrettes, a voient allarmé l'éta t}
on lui en fit dire quelque chofe : on ajouta même
à cet avis , qu’il y avoit peut-être à craindre que
v dans'la traverfée de Venife à Fucina, il ne fut
^ arrêté. Il partir avec cet avis. V ers le milieu de
la traverfée il vit venir à lu i, & roder autour de
fa gondole, d’autres gondoles qui ne paroiffoient
pas faire route. A cette vue la peur le faifit, &
recourant à l’expédient du caftor pourfuivi par
les chaffeurs , il tira de fon fac de nuit tous les
papiers qui contenoient fes obfervatior.s fur Ve-
nife & les jetta à la mer. L’auteur des nouveaux
mémoires fur l’Italie qui rapporte ce fait, ajoute
qu’on l’a alluré qu’on ne vouloit que tâter Montefquieu
, & qu’il auroit pafie , s’il eût ofé attendre
l’abordage, pour lequel il n’y avoit point
d ’ordre..
Lorfque l’Efprit des loix parut, la forbonne y
trouva plufieurs propofitions contraires a la reli-.
gion & à la do&rine de l’églife catholique ; elle
en fit une cenfure détaillée j mais, comme parmi
les propofitions cenfurées il s’en trouvoit quelques
unes concernant la juvifdi&ionqui foufFroient
bien des difficultés, & d’ ailleurs Montefquieu ayant
promis de donner une nouvelle édition de fon
livre , où il corrigeroit ce qui avoit paru contraire
à la religion, cette cenfure de la forbonne
ne' parut point;
La partie fyflématique de l’Efprît des loix étoit
celle dont Montefquieu fe montroit le plus jaloux $.
c ’étoit auffi la plus importante & la plus difficile.
Son fyftême des climats cependant paroît -emprunté
de la méthode d'étudier l’hiftoire de Bodin,
& du traité de la fageffe de Charon. Mais
le grand nombre d’obfervations utiles, de réflexions
ingénieufes , de vues faines, d’images
fortes répandues dans ce livre , & les maximes
admirables qui s’y trouvent développées pour le
bonheur de la fociété, le feront toujours regarder
comme un ouvrage immortel.
On auroit defiré une hiftoire écrite de la main
de cet homme illuftre. Il avoit achevé celle de
Louis X I , roi de France , & le public étoit prêt
d ’en jouir, lorfqu’une méprife fingulière la lui
déroba. Un jour que Montefquieu avoit laiffé le
brouillon de cette hiftoire & la copie fur fon bureau
, il dit à fon fecrétaire de brûler le brouillon
& de ferrer la copie. Le fecrétaire obéit }
mais il laifTa la copie fur la table. Montefquieu
ayant quelques heures après apperçu cette copie,
qu’il prit pour le brouillon, la jettyau feu>, per*
fuadé que, fon fecrétaire qui étoit abfent l’avoit
ferrée. ... /
U s’éte« élevé en 17; i une difpute littéraire,
où il s’agiffoit de décider fi dans les tradu&ions
françoifes de la Bible , il falloir conferver le tutoiement
de l’original. Fontenelle étoit pour l’affirmative
> c’écoit auffi le fentiment de Montefquieu.
L’auteur des Remarques fur une differtation qui
traite de l’ufage du toi & du vous dans une ver-
fion de la bible , quoique protellant, attaqua cette
décifion. Il ne pouvoir fe difpenfer de répondre
à deux fuffrages d’aufli grand poids que ceux de
MM. de Montefquieu & de Fontenelle. Le premier
ne l’embarralfa guères. « L ’auteur des Lettres
perfannes, dit-il, avec fon goût oriental, ne pou-
voit manquer d’être-pour le toi ».
On parloit un jour devant Montefquieu, de Fon-*
tenelle, de. quelqu’un qui chercher à rabaiffer le
caractère de ce philofophe, difoit qu’il n’aimok
perfonne. «E h bien, répondit auffi-tôt Montef
quieu, il en eft plus aimable dans la fociété».
Montejquieu étoit fort doux envers fes domef-
tîques , il lui arriva néanmoins un jour de les gronder
vivement} mais fe retournant auffi tôt en riant
vers une perfonne témoin de cette fcène : « ce
font, lui dit-il, des horloges qu’il eft quelquefois
befoin de remonter ».
En 1752, Daflier, célèbre par les médailles
qu’ il a frappées en l’honneur de plufieurs hommes
illuftrès, vint de Londres à Paris , pour frapper
( celle de l’auteur de l’Efprit des loix. Sa modellie
s’y refufoit. « Croyez-vous , lui dit un jour Tartine
anglois, qu’ il n’y ait pas autant d’orgueil à
refufer ma propofition , qu’à l’accepter»? Défar-
mé par cette plaifanterie , Montefquieu laiffa faire
à Daffier tout ce qu’il voulut.
Le préfident de Montefquieu étoit doué d’une
extrême promptitude d’efpri^t. Cependant il mé-
ditoit pendant vingt ans les fujers de fes ouvrages.
Le marquis de Vauvernague a dit de ce grand
homme , «qu’il avoit des faillies de réflexion».
On parlpit devant Montefquieu du roman de
Dom Quichotte.« Le meilleur livre des efpagnols,
dit ce grand homme, eft celui qui fe moque de
tous les autres ».
Le préfident de Montefquieu ayant montré fes
lettres perfannes au père Defmolets, lui demanda,
fi cela feroit débité. —■ « Préfident, lui répondit
le ^ bibliothécaire, cela fera vendu comme du
pain».
Montefquieu venoit d’achever les canfes de h
grandeur & de la décadence des romains } ouvrage
profond & plein de chofes. Il y avoit parmi
les préfidens du parlement de Bordeaux, un
homme d’d p r it , aimant la belle littérature, &
commençant à goûter la philcfophie. Montefquieu.
lui confia fon manuferit, en le priant de lui
en dire fon avis. Quelque temps après, il reçoit
de la bouche de fon ami le confeil de fupprimer
i ’euvrage
l’ouvrage comme trop foible, trop au-deffous des
lettres perfannes , & comme devant nuire à 'fa
réputation. Le' philofophe écoute, ce jugement
fa is troublé , fans humeur, reprend fon manuferit
, y ajopte pour épigraphe Docuit qu& maxi- -
mus Atlas j ce que réapprit le grand Atlas , & i
donne le tout à I’impreflion. Environ onze an- j
nées après, Montefquieu arrive à Paris, apportant
avec lui en_manuferit fon chef d’oeuvre de l’ef-
iprit des- loix , qu’il vouloit publier après qu’Hel-
vétiusTon ami, lui en auroit dit fa penfée. Helvétius
lit attentivement l’ouvrage, en porte le
jugement le plus défavorable; mais fe défiant dé
jui-même, il admet M. Silhouëte dans la confidence
du manuferit & l’abandonne à fon examen.
M. Silhouete, homme de talent autant que de
vertu, lit & juge comme Helvétius. Celui-ci plus
affuré, parle alors avec confiance à Montef
quieu, & lui donne le confeil d'oublier entièrement
l’efprit des loix, & même de le brûler. Mçn-
tefquieu reçoit encore tranquillement cet avis ,
reprend.fon manuferit & y ajoute pour épigraphe:
Vrolemfine matre creatam ,enfant qui n’a-point
eu de mère -, & l’envoie au^ preffes de Genève.
Les réflexions fur ces deux faits finguliers feroïent
plus qu’inutiles. Il fuffira de dire qù’un génie tel
gué Montefquieu fentoit fes forces,
M O N TM O R E N C Y , ( Henri I I , duc de )
'pair, amiral de France. Il naquit le 30 avril
i f 9 f , & fut décapité dans la maifon-de ville de
Touloufe, comme criminel de lèze-majefté, le
30 octobre 1632.
Le duc avoit époufé Marie-Félice des Urfîns.
Cette femme jeune, bien faite , pleine de-grâces
& d’efprit, auroit defiré de pofféder le coeur de
fon mari tout entier. Elle fe faifoic fouvent violence
pouf lui cacher Tes chagrins, & lui rendre
fa maifon plus agréable. Mais fa douleur étoit fi
grandé, fes combats fi fréquent , que le duc ap-
perçut bientôt de l’altération dans fes traits. Etes-
vous malade, lui dit-il , vous êtes changée. I l eft
vrai , lui répartit la ducheffe , mon vifage eft
changé ,* mais mon coeur ne l'eft pas. A ces mots
elle fondit en larmes. Le duc , touché jufqu’au
fond de l’ame, lui promit tout ce qu’elle voulut}
mais l’habitude l’emporta. Il mit feulement
plus de myftère dans fes intrigues galantes, &
dédommagea fa femme par toutes les marqués
poffibles de refpeél, de déférence , d’eftime &
de confiance.
Le duc de Montmorenci, après la mort de fon
père , joignit la maifon à la fi'enne, qui devint la
plus nombreufe & la plus brillante du royaume;
U n’avoit jamais moins de trente pages & de cinquante
gentilshommes, tous entretenus avec tant
de magnificence, qu’on les eût pris plutôt pour
de grands feigneurs que pour des gentilshommes
ordinaires. On peut aifément fe perfuader que le
Encpelopédiana,
nombre des officiers & des cômefnqûes dévoie
> être à .proportion très-confidérabîe. La duchefle 3
fon époufe , quoiqu’ elle eût l’ame, grande & gé-
néreufe, crut devoir lui faire des repréfentatipns
à ce fujet. Le duc entrant, ou feignant d’entrer
dans fes raifons , fit avec elle la revue de fa maifon
; mais elle ne lui nommoit pas plutôt un officier
ou un domeftique inutile, que Montmorenci
prenoit fa défenfe : celui-ci étoit néceffaire a fes
gentilshommes} celui-là avoit été reçu à la recommandation
de fes amis} enfin d’un fi grand
nombre , il ne s’en trouva que deux qu’il fembla
abandonner à fon époufe} mais peu après il lui
demanda fi elle croyoit que ces deux officiers fe-
roient à charge à fa maifon : Ne font-ils pas ajfe%
malheureux , ajoutoit-il , de nètre bons h rien, fans
leur donner le* chagrin de les renvoyer ?
Dans un voyage qu’ il faifoit de Languedoc à
Paris, il pafia par Bourges, où le duc d’Enguien,
depuis le grand Condé fon neveu, étudioit che«
lés jéfuites.,11 fit préfent au jeune prince d’une
bourfe pleine de pièces d’or. A fon retour , il lui
demanda l'ufage qu’il en avoit fait; l’enfant la lui
préfenta ’ telle qu’il l’avoit reçue. Montmorenc'Lt>
très-mécontent qu’ il n’en eût pas fait des libéralités
, la prit & la jettà par les fenêtres, en di-
fant : Jfoila le cas qu’un prince tel que vous doit
faire de l'argent.
Un jour qu’il jouoit, il fe trouva un coup de
trois mille piftôles : un,des fpeélateurs dit à fon
voifin } voilà une fomme qui feroit la forjune d un
; honnête homme. Le duc l'entend , gagne le coup,
| & préfente la fomme à ce gentilhomme, en lui i difant : Je voudrois , monfieur, que voire fortune
i fut plus grande.
j II s’entretenoit dans une de fes promenades à
i la campagne , fur ce qui fait le bonheur de la vie.
| Un de ceux qui l’accompagnoient , foutenoit ayec
raifon que l’homme, dans les conditions les plus
bornées, étoit fouvent plus heureux que les grands
de la terre. Voilà qui réfoudra la queftion, répondit
le duc en appercevant quatre cultivateurs
qui dînoient à l’ombre d’un burffon. Il marche à
eux , & leur adrefîant la parole : Mes amis, leur
dit- il, êtes-vous heureux? Trois de ce pàyfans-
lui répondirent, que bornant leur félicité à quelques
arpens de terre qu’ils avoient reçus de leurs
pères, ils ne défiroient rien de plus. Le quatrième
avoua qu’il ne manquoit à fes defirs què
la poffeffion d’un champ qui avoit appartenu à
fa famille, & qui étoit pafte en des mains étrangères.
Mais f i tu l’àvois , continua le duc , ferois&
tu heureux ? « Autant, monfeigneur, qu’on peut
l'être en ce monde ». Combien vaut-il} « Deux
mille francs ». quon les lui-donne, s’écria Montmorenci
j & quil foit dit que j'a i fait aujourd'hui un
heureux.
Ep 1615 , le duc de Montmorenci battit la flote
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