
«3 4> R O U
ment. Il y défavouoit, en termes les plus forts,-
ces monltrueux couplets, qui furent' l'origine de
fes malheurs, & continuoit de les attribuer à
Saurin. Rollin l'arrêta tout court en cet endroit :
il lui reprefenta vivement que le témoignage de fa
conlcience fuffifoit pour le -difculper > mais que
ne pouvant avoir aucune preuve équivalente ,
pour en chatger nommément un autre, il fe
rendroit coupable d'un jugement téméraire au {
moins , & peut-être d'une calomnie affreufe. Le i
poète n'eut rien à répondre, & Rollin fe fut bon |
gré de lui avoir fait effacer cet article.
Voltaire, qui avoir tint de fujet.d'etre indif-
pofé contre J. B. Roujfeau| racontoit devant un
homme d efprit que fon valet-de-chambre, parent
du poète l y r i q u e : , lui demandoit fouvent excufe
des vers germaniques de fon coufin. « Etoit il d'une
naiffance aufli commune, r é p l i q u a celui qui écou-
îo:t l Quoi 1 vous ne favcz pas quel étoit fon
P^re • “ Non, en vérité, je le croyais fils de
P.ndare ou d’Aïcée ».
On-differtoit devant Roujfeau fur les poèmes que
nous nommons opéra- « Ah !'s'écria-t-il, s'il eft
poffible de faire un bon opéra, il ne l'ett pas qu'un
opéra foit un bon ouvrage »►
" Lorfq.ue Roujfeau & la Motte fe furent réconcilies,
on demanda^ au.-premier, jï Gâcon n’entroit
pas dans leur traité./« Belle demande, dit-il, quand
les généraux des„deux armées ennemies font d’accord,
la paix n'elî-ellc pas cehfée faite avec Tes
goujats » ?
Voici répitaphs- que fui fit Pîrron r
C y - g î t î ’illu f t r e & m a lh e u t e u x Roujfeau,
X e B r a b a n t fu t fa tom b e & P a r is fo n. b e r c e a u t
V o i c i l ’a b r é g é d e fa v ie f ü I
Qui- fu t t r o p lo n g u e de m o it ié - 31 fu t t r e n t e an s d ig n e d ’en v ie
E t t r e n te a n s d ig n e d e p i t ié ;
R O U S S E AU , (Jean-Jacques) né à Genève
en 17 12 , mort à Ermenonville, à dix lieues de
ta r i s , en 1-778*
Houfeitn; fils d“un horloger,qm .aSnoit } lire
Flutarque&r Tacite , puïfa dans ces auteurs le
goût de l'étude, de Ta littérature & de h philofo-
phte. Il fut obligé fort jeuBe d’abintfonner la mai-
fcn paternelle, & f i trouvant fugitif en pays etrtrn-
f*r> r‘fl°urc?> i l changea, ; comme il le dit
fui-meme, de religion- pour avoir du.pain*
11 avoit des taiens pour la mufiquer p a y a n t
fo.lrciré vainement une place à la chapelle du roi,
11 alla a Chambéry pour y enfeigner le chant-
Revenu à Paris- en 1 7 4 1 , il eut beaucoup de
R O U
peine a gagner fa vie : tout eJJ cher ici, écrivoit-il
en 1743 » & fur-tout le -pain»
Cependant il parvint à être nommé feerét^ire
d'ambaffade auprès de M. de Montaigu, ambaf-
fadeur de France à Venife ; mais il ne put fe
maintenir long-temps dans cette place-
II revint dans la capitale, & obtint une com-
miflion par le crédit de M- Dupin, fermier-gé-
neral..
Enfin en I7£b, il travailla à la queflion pro-
pofee par 1 academie de Dijon, S i le rétablijfement
des fciences & des arts a contribué d épurer les
moeurs ? & il- remporta le prix en foutenant la.
négative avec beaucoup d'éloquence-
Son Difcours fur les caufes dé F inégalité parmi
les hommes & fur Vorigine des fociétés, ajouta
beaucoup à fa gloire.
,c^l^in2ua- encore par fon charmant opéra
du Devin du village | dont il fit les' paroles & la
niufique.
Ses romans philofophiques, où il a mis tant de
fonfibilité, fes ouvrages de controverfe,, où il
, montre la raifon dans toute fa puiffance, & fes
j vues patriotiques , dans lefquelles il développe la
fierté de. fon ame & l elévation de fon genie , lui
ont fait autant d admirateurs qu’il y a d'êtres en
; état de 1 entendre- Son Contrat focial a mis le
* comble a fa renommée , & lui a mérité ce fameux
decret du n décembre 1790 , par le quel l’affem-
; b!ee nationale voulant rendre un hommage folém-
- ncl à la mémoire dé J. J. Roujfeau, & lui donner,
; dans la peifonne de fa veuve, un témoignage de
f & reconnoiffance françcife, décrète- ce qui fait
: Article I. « Il fera- élevé à l'auteur d'Emile & du
Contrat focial une ftatue portant cette inferip-
. tion v La nation franpife libre , a 1. J. RoufTeau.
! Sur le piédettaLfcra- gravée fa devife : Vitam. im-
; pendere vero ».
Art. IL « Marie-Thérèfe le Vaffeur, veuve
de J. J. Roujfeau, fera nourrie aux dépens de l'état
: a cet effet, il lui fera payé annuellement, des
fonds du tréfor public, une fomme de douze
; cents -livres ».
Paf&ns à quelques traits épars caraétériftiques
; peuvent faire connoitre particulièrement cet
homme de génie, confidèré dans fa vie privée.
Lorfque le progamme de l'académie de Dijon
parut, J. J. Roujfeau vint confulter Diderot fur le
j parti qu'il prendtoit. « Le parti que vous prendrez,
dit le-philofophe, c'efi celui que perfonne
. ne prendra. —- V quS’ avez raifon,. répliqua Jean--
Jacques »►
,11 échappa a un des amis de J. J. Roujfeau de
dire dans la converfaUon>quç les honunçs étoieni
R O U
méchans. « Les hommes, oui, répliqua le philo-
fopfie, mais l'homme eft bon ».
Roujfeau venant d'herborifor à la campagne,
arr Vi -hez des dames les mains pleines de plantes
■ qu’on appelle gramen. On fe mit à rire en le voyant
entrer : « Il n'y a pas là de quoi rire, dit le philofophe,
je tiens dans mes mains les plus grandes
pieuves de l’exiftence de D:eu ».
Avant de jouer Je Pygmalion de J. J. Roujfeau 5
les comédiens députèrent vers lui deux de leurs
•camarades pour obtenir fon agrément. Il faifoit
déjà nuit; Roujfeau ne voulut point ouvra-, &
leur dit à traveis la porte : revenez demain. On y
retourna pour avoir fa réponfe qui fut telle : « Je
n’acquiefce point à cela, ma s je ne m'y oppofe :
point : je ne ferai aucune démarche peur ou contre.
Je vous avertis qu'on m'a,enlevé cet ouvrage,
qu'on l’a imprimé furtivement, qu'il y a beaucoup
de fautes, & q.ue je ne veux point de part ;
d'auteur
J. J. Roujfeau demeurant alors à un cinquième •
étage, rue PI arrière, s'obllina à ne point payer
de capitation. .11 aiiéguoit que le bureau de la ville,
qui avoit le département de l’opéra, lui devoir
foixante mille livres pour fon Devin du village,. On
éto;t fur le point d’ .nvoyer garmfon chez lui, lorfque
le receveur, averti à temps, porta le cas
Ikigieux au ribunal du prévôt dc^ marchands.
On y décida qu'on rcmettroit l’es trois livres douze
fols de capitation à l'auteu d'Emile. Le phil. fo-
phe opiniâtre avoir déLn ;u a fa femme & à fes
amis de payer pour lo i, fous peine d’encourir fon
indignation. Ou lui • bjeétoit que la garnifon n’a-
voit point de refpeél: p. ur les grands écrivo n s ,
tels qu’ils ftiffc.it. « He bien ! répondoit il, fi l’on
s’empara d: m 1 Lh imbi« & de mon p t , j'ira» m'ai-
Loir au pied d'un arbre, & là j’y attendrai la
mort ».
On a cru jufqu'à préfent que J. J. Rouffeau co-
pioit de la muhq: e pour vivre , & cm a été dans
l'erreur. Ce grand homme, fi tln rulicr à la vérité,
cpnfen.’oit foigneufement les pet res fommes
que ce travail lui rapportait, & s'en fervoitpour
foulager des perfonnes hon- êtes dont il connoif-
foit les preffans befoins. Tont fe fait à h longue.
Cefecret, fi bien gardé pendant fa vie, a tranf-
piré après fa mort : c'efi un fleuron de plus à
ajouter à fa couronne. Roujfeau, avant à peine de
quoi vivre, a donc, à force d’épargnes, trouvé
le moyen d’empêcher les autres de mourir. Peut-
on citer à préfent ces riches qui, abondant de
tout, même en prodiguant tout, donnent difficilement
& feulement pour faire rougir ceux qui
reçoi vent ?
Des gens dignes de foi affurent que J. J. Rouf-
fious dans fa dernière retraite, prenoit foin d’une
bonne femme du village, & qu'on a trouvé cette
R O U 815
pauvre payfane accablée de la mort du citoyen de
Genève, à genoux devant e tomb.au de ion
bienfaiteur. Les particule.s qu l’ont pnfc.fu le
fuit, lui ayant demandé pourquoi elle c-toit à
genoux : « Hélas ! dit-elle, je pleure & je rie.
— Mais> ma bonne, M. Roujfeau n^’étoit poi.it catholique.
— II" m'a fait du bien j je pleure & je
prie ». C e fut avec toutes les peines du m >;-de
qu’on arracha de la tombe cette bonne femme qui
fon doit en larmes.
Roujfeau de Genève affiffoit à une repréfentat’on
de l’opéra d’Qrphée, de Gluck : après la pièce,
quelqu'un lui demanda ce qu’il p^nfoit de la mu*
fi que. Notre philofophe répondit avec atendiillè-
ment : « J ai perdu mon Eurydice ».
J. J. Roujfeau a dit à un de fés amis : « Remarquez
que lés peuples, dont les vins font tftimés,
ne connoifi/nt point ces plailirs vifs & bruyans
qui doivent accompagner une heureufe vendange.
11 n'y a dans ces pays que de riches propriétaires,
& la richefle cfi toujours trifte, parce qu'eile eft
intéreflfée, & que l'intérêt eft l’ennemi de la joie.
Ces hommes d’or affligent de leur préfence afix-^
due ceux qu’ils tiennent â leurs gages. Le rire qui
veut de la liberté, n’ofe fe déployer fous des
yeux que la cupidité rend févètes. V u'ez-vous
voir un tableau réjou fiant? tra ;fportez-vous dans
les vignobles, dont le produit, peu recherché
des gourmets, eft confommé fur les lieux mêmes.
C'eft-là que le travail eft mêlé d’ure folle joie.
Chaque payfan eft propriétaire, il boira fa vendange
; & l'on travaille gaîment toutes les fois
que l'on travaille pour foi ».
On a dit à propos des Confections fatyriques
du philofophe de Genève, que Jean-Jacques eût
mis tout le tort du côté de fes ennemis, s'il fût
mort fans confeffions.
On rapporte que dans un cercle de gens de lettres
, où l’on faifoit l'éloge du célèbre philofophe
de Genève, le chantre de Ver vert (G it fle t )
ajouta, c'eft dommage qu’il foit un peu ours. Â
quelque temps de-là-j J. J. Roujfeau, paffant par
Amiens, fut voir Grefièt : après un quart-d'heure
de vifite, pendant iequel le poète avoit été obligé
de faire tous les frais de la conver'ation, le phi-
lofophe dit en s'en allant à l’académicien : « Convenez,
monfieur, qu’il eft moins aifé de faire
parler un ours, qu’un perroquet ».
Roujfeau de Genève, après avoir entendu l’opéra
d’Iphigénie, dit à plufieurs perfonnes : « M. Gluck
a renvei fé ma théorie &■ changé toutes mes idées.
Cet homme de génie vient d’exécuter ce que je
n’avois pas cru poffible ».
J. J. RouJfpau a dit vingt fois à M. Diderot ce
qu'il a écrit à M. de Maiesherbes : « Je me fins
le coeur ingrat ; je hais les bienfaiteurs, parce
que le bienfait exige de la reconnoiffance, que U
N n n n n &