
Sous le règne des rois de la première race, l’u-
fagé du fuppHçe emprunté des Grecs de crever les
yeux, écoit fort en vogue, fur-tout parmi les tyrans,
qui dévaftoient l’Occident. Louis 1 aveugle,
roi de Provence, fut appelle ainft, parce qu'ayant
dépouillé de fes états Bérenger, .roi d'Italie, &
étant enfuite tombé entre les mains, celui-ci lui
fit crever Iesyeuxj mais on ignore la manière dont
Louis fut aveuglé. Cette barbarie.s'ererçoit de
trois manières différentes, ou en crevant les yeux
Amplement3 ou en les arrachant, ou en les huilant.
Dans ce cas-ci, on forçoit le patient de regarder
fixement dans un baflin d acier poli que
l'on préfentoat au foleil. Les rayons cie cet aftre
fe réunifiant dans, le baflin , véfléchifloient avec
tant d'ardeur,j qu'en peu de temps la vue étoit
éteinte j il en reftoit cependant encore afièz pour
mettre la fignature fur un papier. Châtier croit
que le malheureux Louis fut aveuglé de cette manière.
Il fe fonde fur ce que depuis ce funefte a c cident.,
on voit des chartes lignées de la main
de ce prince j ce qui femble prouver que fa vue
n'étoit pas entièrement éteinte.
On a dit que Démocrite s'étoît crevé les yeux3.
foit pour s'adonner avec moins de diftra&ion à
l'étude 3 foit pour n'être pas féduit par la beauté
des femmes. Bien des auteurs re g a rd en t& avec
•railon, ce fait comme apocriphe. Démocrite aura
perdu la vue par quelque accident, & comme ce-
toit un philofophe fingulier, on aura voulu qu'il
fe foit iui-mêms crévé les yeux} pour n'être pas
témoin des fottifes de fes femblables. Quoi qu’il
en foit, à la Chine il y a beaucoup d'anachoretes
qui fe crc vent les yeux, & difent pour raifon qu'ils
.ferment deux portes à l'amour, pour en ouvrir
mille à la fagefle.
Les efquimaux, peuple de la baie d’Hudfon , fe
fervent d'une efpèce de garde-vue , qu'ils appellent
yeux de neige, & voici ce que c'eft. C e font
de petits morceaux de bois ou d'yvoire, de forme
égale, pioprement travaillés, dont ils fe couvrent
1 oigane de la vue, 6c qu'ils attachent derrière la
tête. Ils ont chacun deux^ fentes de la longueur
.précife de l'oeil, mais étroites, & au travers def-
queiles 0n voit très-diftindement. Cette invention
les préferve de l'aveuglement de ne:g e , maladie
grave & douloureufe qu'occafionne l'éclat de la
lumière réfléchie fur ce météore. Ces inftrumens
augmentent la force de la vue, & deviennent à
ces peuples fi hab itu el, que quand ils veulent
regarder- des objets éloignés, ils s'en fervent
comme de télefeopes.
Y V R O G N E . Un buveur intrépide voyoit fa
maifon qui alloit être engloutie par une inondation.
Il court vite à fa cave, en tire la.feule.pièce
qui y reftoit, & après l'avoir fait tranfporter en
haut : Mes amis, leur dit-il,' l’inondation augr
mente, ne perdons point de temps, vuidôns
cette pièce de vin, & pour nous fauver nous g§|
rons la futaille»
Z
z .
N O N , philofophe grec, mort vers Lan 264
avant Jéfus Chrift, à l'âge de 98 ans»
Tenon , difciple de Cratès & de tous les philosophes
qui voulurent l'inflruire, profefia lui-
meme la philofophie à Athènes fous le portique.
Cet endroit décoré des tableaux de Polignote ôc
des plus grands maîtres, étoit appelle stoa, mot
grec qui fïgnifie galerie, portique, origine du
nom de Stoïciens, donné aux difciplês de Zenon.
Sa morale étoit févère. Ce philofophe, femblable
à ces légiflateurs rigides qui diétent pour tous les
hommes des loix qui ne peuvent convenir qu'à
eux feuls, forma fon fige d'après lui-même. Un
vrai ftoïcien (& nous faifons en même-temps le
portrait de Zenon ) vit dans le monde comme s'il
n’y avoir rien en propre. Il chérit fes femblables,
Î1 chérit même fes ennemis ; il ri'a point ces petites
vues de bienfaifance étroite qui diftingue un
homme.d'un autre. Ses Bienfaits, comme ceux
de là nature ,. s'étendent fur tous. Son étude particulière
eft l'étude de lui-même : il examine le
foir ce qu'il a fait dans la journée, pour s'exciter
de plus en plus à faire mieux. Il avoue fes fautes :
le témoignage de fa confidence ett le premier qu'il
recherche. Comme la vertu eft fa feule récom-
penfe, il fuit les louanges & les honneurs, & fe
plaît dans l'obfcurité. Les pallions, les affe&ions
même n'ont aucun empire fur lui.
Zenon fut appelle à la philofophie d’une manière
particulière : il étoit négociant. Dans un
voyage qu'il fit fur mer, fon vaiffeau fut jetté par
les vents dans le port du Pyrée, port d'Athènes,
& fit naufrage. Les marchandifes périrent. Le
commerçant, fort affligé de fa perte, fe retire à
Athènes, entre chez un libraire, & prend un
livre pour fe difliper. Il le lit, & plein de cette
le&ure-, il oublie bientôt le commerce de la pourpre
pour l'étude de la morale : il demande au libraire
où demeuroient les illuftres perfonnages i
dont parloit Xénophon. Cratès le cynique pafla
par hafard dans le moment. Le libraire le montra à
Zenon, & l’exhorta à le fuivre. Il commença en
effet dès ce jour à être fon difciple. Il étoit pour
lors âgé de trente ans, & n'en fentir que mieux
tout le prix & toute l'utilité de la philofophie :
aufli fe félicitoit- il lui-même fouvent fur fon malheur,
& difoit que jamais navigation n’avoit été
diifli heureufe pour lui que celle où il fit naufrage.,
1 Zenon admiroit l’élévation que Cratès montroît
dans fa conduite & dans fes difeours; mais il ne
put jamais fe faire au mépris des bienféances que
les cyniques affeéloient dans leur école. Cratès
voulant i j f accoutumer, lui donna à porter ï
Encyclopédiana.
en plein jour un pot de lentilles à travers une
place publique. Zenon fe couvroit le vifage pour
n'être pas reconnu. Cratès court aufli tôt à lu i,
& prenant fon bâton, en décharge un grand coup
fur ie p ot, & le'cafle; & . voilà toutes les lentilles
qui fe répandent fur l'apprenti! philofophe.
Celui-ci honteux & confus, va pour fe cacheri
Pourquoi t enfuis - tu , petit phénicien, lui àru
Cratès ? tu n as reçu aucun mal. Zénon} content de
cette leçon, fortit de l ’école de Cratès quelque
temps après, & publia un ouvrage intitulé, de la
République. Il l’avoit compofé lorfqu'il étoit encore
difciple du philofophe cynique.
Zenon, après avoir encore pris pendant dix ans les
leçons de Stilpon, ouvrit lui-même une école fous
lé portique. 11 eut un grand nombre de difciplês;
car, quoique fa morale fut très-févère, il favoit
■ tempérer par le'charme de fini éloquence, l’aufté-
rité de fes leçons. Il recommandoit fur-tout à fes
difciplês le filence : « Souvenez-vous, leur di-
foit-il quelquefois, que la nature nous a donné
deux oreilles & une feule bouche, pour nous apprendre
qu’il faut plus écouter que parler «.
Il avoit remarqué qu’ un de fes difciplês étoit
enclin â la critique. Pour le corriger de ce défaut,
un jour que ce jeune homme lui apportoit un ouvrage
d’Antifthène où il reprenoit plufieurs pen-
fées de Sophocle, Zénon lui préfenta un difeours de
Sophocle, & lui demanda s’il ne croyoit pas qu'il
contînt de fort belles chofes. Le difciple lui répondit
que né l'ayant pas lu , il n'en favoit rien*
« N ’avez-vous donc pas honte, lui dit Zénon,
de vous fouvemr de ce qu'Antifthène peut avoir
dit de mal, & de négliger d’apprendre ce que
Sophocle a dit de bien «,
Le corps, les jouiffances, la gloire, les dignités,
difoit ce fage, font des chofes hors .de nous
& de notre puiflance ; elles ne peuvent donc que
nuire à notre bonheur, fi nous nous y attachons.
Zenon jouit d’une longue vie fans avoir jamais
reffenti aucune incommodité. Agé de 98 ans, il
pouvoit attendre tranquillement fa fin ; mais il
n’en eut pas la patience. S'étant laifle tomber air
fortir du portique, il crut que la mort l'appelloit.
Me voila, dit-il froidement, je fuis prêt a te fuivre
, & de retour dans fa maifon, il fe laifla mourir
de faim.
Zénon avoit obtenu pendant fa vie la bienveiU
lance même des rois. Ptolémée, roi d'Egypte,
étoit en correfpondançe avec lui, & Antigone,
roi de Macédoine , avoit été entendre fes leçons
fous le portique. On demandoit à ce prince pour-
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