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Dioclétien, pour fe former un appui contre les 1
trahifons continuelles des fo ld a ts ,s ’étoit donné
pour collègue à l'empire Maximilien Hercule,
foldat de fortune comme lui, & avoit créé Cé-
fars ce. Maximin Galere & Confiance Chlore }
mais' Galere, après avoir, par fes cruautés, rendu
odieux la fin du règne de Dioclétien, le força ,
par un excès d'ingratitude, à abdiquer l'empire.
Dioclétien fe retira dans la Salmatie, & fixa fon
féjour à Salone, ou il goûta dans le repos
d’une vie tranquille le bonheur qu'il n'a voit pu
trouver fur le trône.
Lorfque quelques années après, Maximin &
d'autres anciens amis lé follicitèrent de fortir de
la vie obfcure à laquelle il s’ étoit réduit, & de
revendiquer l'empire, il leur fit cette • réponfe remarquable
: » Ah ! fi vous connoiffiez tout le
»» plaifir que j'ai à cultiver de mes propres mains
« les fruits & les légumes de mes jardins, jamais
93 vous ne me parleriez de l’empire ».
C e prince fe rappellant dans fa retraite les
fautes qu’on lui avoit fait commettre- pendant un
règne de vingt ans, difoit fou vent à fts amis dans
l ’amertume dé fon coeur : » Rien n’eft: plus difficile
sa que de bien gouverner. Quatre ou cinq courti-
» fansîntérefles feliguent pour tromper le fouverain.
Le prince, enfermé dans fon palais, ne peut
» coniioître la 'vérité par lui-même j il ne fait
3> que ce qu’on lui dit j i! élève à des places ceux
»j qu’il devroit en éloigner ; il deftitue ceux qu’il
» devroit conferver. Enfin, malgré les intentions
?» les plus droites, malgré toutes les précautions,
» le meilleur des princes eft le jouet & la viéti-
»5 me de ceux qui lui dérobent la vérité} il eft
» trahi, vendu : Bonus, çautus , optimus vçnditur
» imperafor ».
D IO G EN E , philofophe cinique, né à Sinope
ville du Pont, mort vers l’an 329 avant Jéfus-
Chrift, âgé de §q ans.
Diogène, à ^exemple de fon maître, regarda,
comme indiférent tout ce qui n’étoit ni vertu ni
v ic e , & il en conclut qu’il 11e Falloir: avoir aucun
foin de fon extérieur, de fes habillemens & de
tout ce qu’on appelle, proprété ou décence. I! s'enleva
au-deflus de tous les éyénêmens, mit fous
fes pieds toutes les faveurs, & méprîfa également
les louanges & les fatyres de fes concitoyens.
C ’étoit, dit Montagne dans fon ftyle énergique,
une efpèce de ladrerie fpirituelle qui a un air de
lânté que la philofophie ne meprife pas. Ce qu’on
à lieu fur-tout d’admirer dans cet homme extraordinaire,
c’eft qu’au milieu des auftérités qu’il fe
propofa pour s’endurcir à la philofophie, il con-
lèrva toujours fon enjouement naturel. Il fut pi air
Tant, v i f , ingénieux, éloquent. Perfonne peut-
être n’a dit tant de bons mots 3 mais fa môçdantç
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ironie ns diftingua pas toujours le vice du vî*
cieux.
On chercha àfe venger, on calomnia fes moeurs.
Il fut acculé de fon temps, & traduit chez la pof-
téiité comme coupable de l’obfcénité la plus ex-
ceffive. Le tonneau qu’il avoit piis pour demeure,
dit un auteur moderne, ne fe préfente encore aujourd’hui
à notre imagination prévenue qu’avec
un cortège d’images deshonnêtes ; on n’ ofe regarder
au fond. Mais les bons efprits qui s'occuperont
moins à chercher dans l’hiltoire ce qu'elle
dit, que ce qui eft la vérité, trouveront que les
foupçons qu'on a répandus fur fes -moeurs, n’ont
eu d'autre fondement que la licence de fes.principes.
Diogène, fils d’un banquier de Sinope, chafie
de fa patrie pour le crime de faulle monnoie, en
fut auili banni lui-mêmejur la même accufation.
Il fe réfugia à Athènes dans l’école du philosophe
Antifthène qui profefioit la philofophie cynique.
Ce profelfeur, peu dilpofé à prendre un taux
monnoyeur pour aifciple , le rebuta : irrité de
fon attachement opiniâtre, il fe porta même juf*
qu’ à le menacer de fon bâton '.frappe , lui dit Dio-
g'ene, tu ne trouveras point de bâton ajfe£ dur pour
m éloigner de toi tant que tu, parleras.
Il écrivit à fes compatriotes : 9s Voüs m’avez
95 banni de votre ville, & moi je vous relègue
95 dans vos maifoqs. Vous reftez à Sinope, Ôc je
s» m’en vais à Athènes. Je m'entretiendrai tous
» les jours avec les plus honnêtes gens, pendant
99 que vous ferez dans la plus mauvaife compa-
99 gnie >9.
Le banni de Sinope endofTa le manteau & la
beface, & enchérit encore fur l’orgueilleux amour
4e fon nîâître pour la pauvreté. Comme on diffé-
roit trop à lui bâtir une cellule qu'il avoir demandée,
il fe réfugia dans un tonneau. Il n'avoit
gardé pour tout meuble qu'une écuelle. Mais
ayant apperçu un jour un jeune enfant-qui buvoit
dans le creux de fa main , i l m apprend , dit - il ,
que je conferve du fuperfu, & il calfa fon écuelle.
Quel Cénobite mena une vie plus pleine d'e-
xercices,* d’auftérités, de macérations ! Il fe rou-
loit en été dans les fables biulans $ il embraifoit
en hiver des ftatues de neige, il marchoit nuds
pieds fur la glace. Les alimens les plus greffier«
? lui ferVoient de nourriture. Remarquant une
fouris qui ramalfoit les miettes qui fe détachoient,
de fon pain ; & moi aujji, s'écria-t-il, je peujs me
contenter de ce. qu elles laijfent tçmbçr,
•Se trouvant à la célébration des jeux olympiques,
il reprocha au vainqueur qu'il n'étoit victorieux
que daps la carrière des corps j mais que
lui
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lui favoît triompher dans celle des efprits. ^On
s'eft oflfenfé de ce qu’ il s'eft proclame lui - meme
le vainqueur de l’ennemi le plus redoutable a
Fhomme, la volupté. Mais qui éft 1 homme q u i,I
connoilïant la vie laborieufe de ce philofophe,
voudra à ce prix mériter une couronne ?
Alexandre le Grand'étant en Grèce où il^voit
convoqué une diète de tous les états, voulut voir
Diogène qui fe tenoit renfermé dans fon tonneau.
II alla le trouver environné d’une cour brillante.
Le cynique couché alors au foleil, fe leva fur
fon féant, & attacha les yeux fur lé monarque
fans proférer un feul mot. Alexandre lui demanda
ce qu’il pouvoir faire en fa faveur. — Te retirer j
de devant mon foleil. Cette réponfe indigna les :
courtifans, mais frappa le monarque qui, fe re- ;
tournant du côté de fes favoris, leur dit : >9 Si
•» je n’e'tois Alexandre, je voudrois être Diogène.
A peine eut-on publié le décret qui ordonnoit
,«Tadorer Alexandre fous le nom de Bacckus de
/ Inde, que Diogène demanda d’être adoré fous le
nom de Scrapis de Grèce. Tous fes traits portent
l ’empreinte d’une ame fière & courageufe qui fe
joue feule de l’ambition d'un jeune conquérant
devant lequel toute la Grèce fe tenoit profternée.
Diogène fe mocquoit des rhéteurs de fon temps
<jui enleignoient l'art de bieiLdire, & non celui
•de bien faire} dès muficiens qui régloient leurs
inftrumens, & qui ne favoient pas rég’er leurs
moeurs} des grammairiens qui s’amufoient à glo-
fer fur les fautes des auteurs, & ne penfoient pas
à corriger les leurs: » Si par l’étude, dit Mbn-
w tagne, notre ame ri'en va pas un meilleur bran-
*• le , fi nous n’ en avons lé jugement plus fain,
99 j’aimerois autant que nous euffions pafle le
»9 temps à jouer à la paume : au moins le corps
•• en feroit plus allègre »>.
Quand Diogène avoit befoin d’argent, il difoit
qu’il en redemandent à fes amis , mais non qu’il en
demandoit.
Il lui arrivoit fouvent de tendre la main â des
ftatues, pour s’accoutumer, difoit-il, au refus.
Etant entré un jour dans l ’école de Platon, il
I l mit à deux p:eds fur un beau tapis, en difant;
•9 Je foule aux pieds le faille de Platon »■». Oui,
répliqua celui-ci, mais par une autre forte de fafie.
C e chef de la feéte des académiciens avoit défini
Thonrne un animal à deux pieds fans plumes}
Diogène pluma un coq, & le jettant dans fon
école, voi'à, dit-il, votre homme.
Ayant rencontré un jour un enfant mal élevé,
il appliqua un foufflet à fon précepteur.
; Il dit à quelqu’un qui lui remontroit dans une
maladie, qu'au lieu de fupporter la douleur, il
£ acyclopédiana.
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feroît beaucoup mieux de s’en débarraffer en fe
donnant la mort, lui fur-tout qui paroiifoit tant
méprifer la vie: 93 Ceux qui favent ce qu'il faut
« faire & ce qu'il faut dire dans le monde, doi-
»» vent y demeurer} & c ’eft à toi d’ en fortir qui
» me parois ignorer l’un & l’autre**»».
Voyant un vieillard qui cajoloit une jeune fille:.
ne crains tu point, lui demanda t il, d être pris au
mot ?
Diogène difoit que les princes avoient fouvent
à leurs côtés deux fortes de bêtes, des farouches
& des privées. Les premières fojjt les délateurs*
& les fécondés les flatteurs»
Quand on difoit à Diogène ; tu es vieux, il eft
temps que tu te repofes, il répliquoit : >>_ Quoi ! ft
»> je courois dans une carrière, faudroit-il m’ar-
33 rêter quand je me verrois proche du but
Diogène y voyant le jeune Denis réduit à faire
la fonéfcion de maître d’école, fe mit à foupiuer
devant lui : ne t’affliges point, dit Denis à Diogène *
de ma mauvaife fortune, c’eft un effet de l’inconf-
tfânee des chofes humaines. •— Je ne fuis pas affligé
de ce que tu penfes, lui répondit Diogène,
mais de te voir plus heureux que tu n’étois &
que tu ne mérites.
Diogène fut pris fur mer dans le trajet d*AthèA
nés à Ëgine, conduit en C rè te , & mis à l’encan
avec d’autres efclâvès. On lui demanda ce qu’il
faVoit faire ? Commander aux hommes ,* & le crieuf
public difoit à haute voix par fon ordre : Qui eft-
ce qui if eut acheter fon maître ? Un nommé Xeniade
l’acheta fur ce pied, & s’en trouva bien.
Ses amis voulurent le racheter: « Les lions,
a» leur dit- 1, ne font pas efclaves de ceux qui les
’> nourr!ftent, mais ceux-ci font les valets-des
» bons»».
Xeniade qui connoifloit tout le prix d*un homme
tel que Diogène, lui confia l ’éducation de fes
enfans, qui apprirent de ce philofophe à ne point
dépendre de l’opinion des hommes, pour mieux
furmnnter les obftades qui s’oppofent à la pratique
de la vertu.
Il regardoit l’amour comme l'occupation des
gëns oififs.
Suivant fes! principes, ce qu'on appelle gloire
eft l’appas de la fottrfe (, & ce qu'on appelle no-
blejfe en eft le mafque.
Le triomphe de foi eft la cenibmmation de
toute philofophie.
Il faut réfifter à la fortune par le mépris, aux
paflîons par la raifon.
, meme excepter la vertu.
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