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On difoit un jou r , à M . de Montefquîeu :
« M. de Fonte ne lie n’aime perfonne ». 11 répondit:
.« Eh bien, il en eft plus aimable dans la fociété »...
« Il y portoit tout, a dit une femme de fes amies,
» excepté ce degré d'intérêt qui rend maiheu-
« reux. ji.
L'ambîtidn p eut aucune prife fur M. de Fort-
tenelle. Il en avoit vu les funeftes effets dans le
cardinal Dubois qui ver.oit quelquefois chercher
des confolations auprès de lui. Quelqu'un parloir
un jour au philofophe de la grande fortune que ce
miniftre avoit faite, pendant que lui, qui n’etoit
pas moins aimé du régent, n’en avoit fait aucune.
*? Cela eft vrai, répond M. de Fontenelle,* mais
» je n'ai jamais eu befoin que le cardinal Dubois
» vint me confoler ».
Perfonne ne parloit avec plus de fincérité que
M. de Fontenelle aux auteurs qui. le confultoient >
il leur promettoit le fecret & le gardoit. Soit qu'on
eût profité ou non de fes avis, même de celui de
fupprimer l'ouvrage , il n'avoit que des louanges
a lui donner lorfqu’ il étoit imprimé > il les donnoit
non-feulement en public , mais encore en particulier
, & tête à tête avecjes auteurs mêmes-; &
dToit fur. cela : ce ÿ fuis grand ennemi des manuf-
» crits, mais je fuis grand ami des imprimés ».
M. de Fontenelle voyant le bufte de Defpréaux
parGirardin, s’écria: c* je ne m’en dédis pas, il
» faut le couronner de lauriers & l’envoyer aux
» galères »._
On difoit devant M. de Fontenelle que le fen-
timent de l'amitié fe réfroid;ffoit quelquefois, &
que nos meilleurs amis mouraient Le philofophe
répondit : « les amis qui fe refroidiffent ft nt, aux
« yeux d'un fage, comme des meubles qu’on
» change qüand ils s’ ufent ».
Mademoifelîe Subligny, célèbre dan feu fe, étant
alite en Angleterre , avoir, cherché des lettres de
recommandation. M. de Fontenelle lui en avoit
donné pour l’illuftre Locke. « Le grand métaphy-
» fîcien, difoit M. de Fontenelle, devint l’homme
» d’affaires de Mademoifelîe Subligny ».
Un membre de l'académie des fciences qui avoit
grande envie delà place de fecrétaire' perpétuel,
dit à Fontenelle alors plus qu'oéf ogénaire : « Mon -
» fleur, il faudrait vous repofer fur vos lauriers ».
Notre philofophe répondit: « Monfieur, je quit-
« te^ai la place quand j’aurai fait votre éloge ».
On parloit à Fontenelle du grammairien du Mar-
faix qui avoit beaucoup de naïveté & de {implicite :
«-oui, dit-il, c ’eft le nigaud le plus fpirituel &
» 1 homme d'tfprit le plus nigaud que je con-
» noiffe ».
I l difoit encore de lui : W j'admire comme M. du
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» Mar fais parle de fa pauvreté fans honte Si de fes
» talens fans vanité ».
Plufieurs perfonnes demandoient à M. de Fon-
tenelle, lai différence qu’on pouvoit faire du bon
& du beauj il répondit: « ahî ahl le bon, il a
» befoin de preuves, le beau n'en demande
» point ».
« A force de combinaifons, difoit quelquefois
» M. de Fontenelle, la nature réunit tout & fé-
ss pare tout; elle ne paraît bifarre que parce qu’elle
33 ell féconde ».
Fontenelle , pour exprimer qu'il avoit toujours
frit de Ton mieux dans tous les genres de fciences
& de littérature où fon efprit s ’étoit exercé, di‘-
foit tresTférieufement : « j?ai toujours travaillé en
» confcience ».
M. de Fontenelle avoit fait, avant l'âgede trente
ans , ceux de fes ouvrages qui fondèrent fa réputation
, ceux qui lui valurent une place dans l’académie
françoife, en 1691 , c’eft-à-dire ,* avant
trente-quatre ans; il avoit follicité cette place dès
1688 , & on lui a fouvent entendu dire qu’il avoit
ete refufé quatre fois; il le difqit fïirtout à ceux
qui étoient piqués d'avoir échoué une ou deux
fois, i Mais, ajoutoit-il, je n’en ai jamais con-
» folé aucun ».
M. de Fontenelle excédé des éternelles fÿmpho-
niesdes concerts, s’écria un jour, dans un trar.f-
port d’impatience : « Sonate, que me veux tu »5
Le philofophe Fontenelle difoit-au fitjet-de notre
inimitable la For taine : « ji eft bien a le d'être un
» homme d efprit ou un fot> mais d’être les deux
» & dans le plus haut degré, cela ell admi-
» rable ».
Fontenelle ayant appris que Marivaux étoit malade,
fe rendit fur le champ chez lu i, demanda
à lui parler en particulier, & lui dit, avec route
la fenfibiliié qu'on s’obfline à lui refufer: « mon
ami, dans la fitu..to.> où vous vous trouvez on
peut avoir befoin d’argent. Les véritables amis ne
doivent pas attendre qu’on leur demande , leur
coeur doit devine-. Voilà une bourfe de cent louis
que je laille à votre difpofttion.— Je les regarde
comme reçus, répondit Marivaux, je m’en fuis
fervi & je vous les rends avec la reconto.ffance
qu'un tel fervice exige ».
Un homme de qualité étant aüé^vorr Fontenelle ,
& le trouvant de fort mauva fe humeur : « qu'avcz-
» vous d<mc.,^!ui dit-il ? — Ge que j'ai, répondit
» le philofophe, j'ai un domeftique qui me fert aufli
» mal que fi j’en avois vingt ».
Fontenelle difoit três-philofophîquement : « don-
» nez-moi quatre.perfonnes-perfuadées qu’il fait
» nu t en plein midi, je le démontrerai à deux
» millions d’hommes ».
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. M. le cardinal de Polignac , foiv retour de
.Rome, rendoit un compte fidele à M. de Fontenelle
des cérémonies qui s’obfervervt pour la cano-
mfation des Saints. Il faut , lui difoit-il, que les
miracles foient bien confiâtes. « Oh ! oh ! répond
» M. de Fontenelley il y a donc, Monfcigneur,
?3 de véritables miracles modernes ». '
Fontenelle eft peut-être le feul homme qui ait
d it, dans un âge très - avancé : « fi je*recom-
03 mençois ma carrière je ferais tout ce que j'ai
» fait ».
L’hiftoire des Oracles de Fontenelle fut amèrement
critiquée par un jéfuite. Le diferet auteur
n’y répondit que par cinq ou fix lignes qu’il adref-
foit à un journalifte qui |e preffoit de répliquer-
« Je bifferai, dit-il, mon cenfeur jouir en paix
» de fon triomphe; je confensque le diable ait été
** prophète, puifque le jéfuite le \eut & qu’il croit
» cela plus orthodoxe ».
La fécondé rcpréfentation de l’Orefte fut donnée
huit jours apres la première. M. de Voltaire
avoir employé cct efpace de temps à y faire des
coi restions. Sur quoi M. dë Fontenelle dit: « M de
» Voltaire eft un homme bien fingulitr, il com-
» pofe fts pièces pendant leurs repréfentations ».
M. de FontenelUy fort âgé, fe trouvant feul, par
hafard, avec une très jolie femme, tira vite le cordon
de la fonnete; & fur le champ il vihtdu monde ;
alors M. de Fontenelle dit en fou'iant à la dame
fort furprife : « àh ! madame, fi je n'avois que
» quatre-vingts ans ».
Un médecin fourenoit à M. de Fontenelle, que
le càffé étoit un poifon lent. « Oui dà , dit le phi-
» fophé en fouriant ; il y a plus de quatre-vingts
.» ans que j’en prends tous les jouis. Voilà ce qu’on
» appelle une preuve fans répliqué ».
Lorfqu'en 1 7 J2, M. de Voltaire mit l’article de
M- de Fontenelle dans le catalogue des écrivains du
fiècle de.Louis X IV , M. de Fontenelle, qui en
fut averti, demanda à un de fes amis, comment
M. de Voltaire l’avoit traité; cet ami lui répondit
qu'à -tout prendre l’art'ele étoit favorable;
qu’il y avoir pourtant quelques reftri&ions aux
éloges, qu'au refte il étoit le feul homme vivant
que M. de Voltaire eût mis dans ce catalogue.
« Ce début me fuffit, interrompit M. de Fonte-
» nelle, & quelque chofe qu’ait pu dire enfuite
» M. de Voltaire, je fuis content ».
I « De tous les titres d’honneur du monde, difoit
M. de Fontenelle, je n'en ai jamais eu que
d’une feule efpèce, des titres d'académicien; ils
n’ont jamais été profanés p3r aucun mélange, avec
d’autres plus mondains & plus faftueux ».
M. dé Voltaire demandoit un jour à M. de
Fontenelle, ce qu il penfoit de fa tragédie de
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Mahomet: « elle eft horriblement belle, lui ré-
» pondit-il ».
Pour peu qu’un trait foit libre il ne peut être
exeufé dans la - bonne compagnie , qu'en faveur
d'une extrême fineffe. De-ià le bon mot de Fon-
tenelle: « quand je dis quelques folies, les jeunes
» filles & les fots ne m’entendent pas ».
M. De la Motte croyoit avoir pour amis tous
les gens de lettres, & alla un jour jufqu'à le dire
à M. de Fontenelle• « Si cela étoit vrai, lui ré-
» pondit-il, ce feroit un terrible préjugé contre
» vous y mais vous leur faites trop d’honneur ÔC
» vous 11e vous en faites pas affez ».
Fontenelle a dit plus d’une fois: « j’ai eu la
» feibliffe de faire quelques épigrammes ; mais
» j’ai réfifié au malin plaifir de les publier ».
M. de Voltaire a donné à M. de Fontenelle les
louanges -les plus délit ates. Tout le monde fait
ce vers fi heureux & qui caraélénfe fi bien l'illuftre
fëcrétaire de l’atadémie des- fciefices ,
L’ignorant l’entendit, le favant l ’admira.
A la dernière reprife de Thétis , opéra de Fontenelle
3 h marche de s prêtres fut foi t mal exécutée.
L’auteur d it, en forrant, au direéleur:
« Monfieur., je fuis très-mécontent de mon
» clergé ».
Un jour dès rois, FontcneVe ayant la fève ,
quelqu’un de la compagnie lui d i t r « vous êtes
» roi j ferez - vous defpote ? — - Belle de-
» mande » 1
Le préfidtnt Hénault lut à la reine les vers
de Fontenelle , fur le refpeét qu’on avoit à Sparte
pour une tête chenue, & fes regrets fur ce
que ce refped: s’étoit bien perdu depuis. La
reine lui dit : « faites favoir à Fontenelle qu'une
» tête comme la fieune doit trouver Sparte par-
» tout ».
Madame la ducheffe du Maine demanda un jour,
à quelques gens de L e.mcoup d’efpr t qui s’affen -
bîoient chez elle : ciuele différence y a-t il
» entoe moi & ure pendule » ? Ces Meflieurs fe
trouvoient fort embarraffés pour la réponf., lorsque
M. de Fontenelle entra; la même qu eft ion. lui
fut faite par la princtffe, il répondit fur le champ :
« la pendule marque les heures & votre altetfe
» les fait oublier ».
M. de Fontenelle difoit: « pour la folidité du
raifonnémerit, pour la force, pour la profondeur,
il ne faut que des hommes ; pour une élégance
naïve, pour une fimplic té fine & piquante, pour
le fentiment délicat des convenances , pour une
certaine fleur d'efprit, il faut des hommes polis
par le'commerce des femmes.
« Les hommes fions fors & me'chans, difoifi