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3î nable d'ôter la vie à un homme qui ., par fa
” fcience , pourroit la fauver à tout un petit
» monde ».
îi y a d'autres traits qui prouvent que ce.mo-
narque, tout barbare'., tout fanguinaire qu'il
étoit , favoit refpe&er la fcience & ceux qui la
cultivoient. Il répandoit même volontiers fes
bienfaits fur les poètes. Les récompenfes qu'il
leur donnoit étoient modiques à la vérité 3 mais
fréquentes, «c Les poètes , difoit-il quelquefois
« en badinant , renemblent aux chevaux. Ils dei
» viennent lâches 3 8c perdent leur vivacité dans
» la trop grande abondance : il faut les nour-
■ » rir, mais non pas les engràiffer ».
Il s’étoit formé fous fon règne, une elpèce
d'academie de gens de lettres 8c de beaux eÇ-
prits , qui s'aflèmbloient à faint Viètor. Charles
y alla plufieurs fois , & on obferve qüe , par la
confidération qu'il avoit pour les favans 3 il leur
permettoit de s'afifeoir en fa préfence. On ajouté
même que tout le monde étoit couvert , fi ce
n'eft quand on parloir dire&ement au roi.
‘ ^ Cet exemple fervit à régjer le cérémonial qui
s'obferva à l'académie françoifè lorfque la reine
de Suède vint, pendant fon féjour en France,
yifîter cette compagnie.
Les mémoires de Sully attellent que ce prince
mourut au milieù des douleurs les plus aigues :
& baigné dans fon fang. En cet état l'affreufe
journée de la faint Barthelemi fut fans - cefTe,
préfente à fa mémoire. Il marqua par fes tranf-
ports 8c par fes larmes,-le;regret qu'il en reflen-
toit. » Ambroife , avoit - il dit , quelques jours
auparavant, -à fon chirurgien , je ne fais, ce qui
», m'eif furvcnu depuis deux ou trois jours ; mais
» je me. trouve l'efprit & le corps tout aufli
» émus que lî j'avois la fièvre. Il me femble à
» tout moment., aufli bien veillant que dormant,
» que ces corps maflacrés fe préfentent à moi
» Jes faces hideufes & couvertes de fang : je
3» voudrois bien qu'on n'y eut pas compris les
93 foibles 8c les innocens.
C harles X I I , roi de Suède , fils & fuç-
çeffeur de Charles X I ; il naquit en 16825 il
vainquit à feize ans les rois de Dannemarck ,
de Pologne & le czar ; & pendant neuf ans
leur donna la loi y mais après la bataille de
Pultawa qu_*il perdit en' 1705?, il fut obligé de
fuir en Turquie. Il retourna dans fes états en
371 a , 8c fut tué aii fiège de F'-ederickshall, le
r i décembre 1728, à 36 ans & demi.
Charles XII étoit d'une taille avantageufe &
noble5-il avoir un .très-beau front , de grands
yeux bleus remplis de douceur , un nez bien ;
fqrmé } mais le bas du vifage défagréable , trop
fouvent défiguré par un rire fréquent qui ne
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| partoit que des lèvres ; prefque point de barbe
ni de cheveux. Il parloir très-peu & ne.répondoit
fouvent quepar cerire dont il avoir pris l'habitude.
On obfervoit à fa table un- filence profond. 11 avoit
confervé dans l'inflexibilité de-fon cara&ère cette
tijnidite, que l'on nomme mâuvaife honte. Il
eût été embarralfé dans une converfation , parce
que, s'étant adonné tout entier aux travaux de
la guerre, il n'avoit jamais connu la fociété. C'eft
peut-être le feul de tous les hommes, & juf-
qu'ici le feul de tous les rois qui ait vécu fans
foiblefle. Il porta toutes les vertus des héros à
un excès où elles font aufli dangereufes que les
vices oppofés. Sa fermeté devenue opiniâtreté,
fit fes malheurs dans l'Ukraine , &.le retint cinq
ans en Turquie : fa libéralité dégénérant en pro-
fufion , a ruiné la Suède : fon courage, pouffé
jufqu'à la témérité, a caufé fa mort : fa juftiçe
a été quelquefois jufqu'à la cruauté} 8c dans les
dernières années, le maintien de fon autorité ap**
prochoit de la tyrannie. Ses grandes qualités ,
dont une feule eûj: pu immortaliser un, autre
prince, ont fait le malheur de fon pays, tl n’ àt-
taqua jamais perfonne ; mais il ne fut pas-aufli
prudent qu'implacable dans fes vengeances/il a été
le premier qui ait eu l'ambition d'être conquér
a n t , fans avoir l'envie d'aggrandir fes états ;
il vouloit gagner des empires pour les donner.
Sa paflion pour la gloire , pour la guerre & pour
la vengeance 5 l'empêcha d’être politique , qualité
fans laquelle on n’a jamais vu de conquérant.
Avant la bataille 8c après la viftoire, il
n'avoit que de la modeftie $ après la défaite que
de-la fermeté. Dur pour les autres comme pour
lui-même , comptant pour rien la peine & la vie
de fes fujets , aufli bien que la fienne ; homme
unique plutôt que grand homme , admirable plutôt
qu’a imiter. Sa vie doit apprendre aux fois
combien un gouvernement pacifique 8ç heureux
eft au-deffus de tant de gloire.
Le caractère de ce prince s’étoit mànifefté de
bonne heure. Etant encore enfant, on lui de-
mandoit ce qu'il penfoit d'Alexandre, dont il
lifeit l'hiftoire, dans Quinte-Curce. Je penfe,
répondit-il, que je voudrois lui refiemblér. Mais .
lui dit - on, il n'a vécu que trente -deux' ans. Ah!
reprit - il n'eflr-ce pas alfez quand on a conquis des
royaumes ? ' : -‘■i
Lors de fa première campagne, en 1700,
comme il n’avoit jamais entendu de fa vie’ de
moufqueterie , il demanda au major général
Stuard , qui fe trouvoit auprès-de lui , ce que
c’étoit que ce petit fiflement qu’il entendoit à fes
oreilles ? C ’eft le bruit qùe font les balles de fu-
fîl qu’on vous tire, lui dit le major. Bon , dit
le roi, ce fera-dà dorénavant ma mufique. Dans
le même inftant, le major qui expliquoit le bruit
des moufquetades en reçut une dans l’épaule; &
un lieutenant tomba mort à l’autre côté du t©;.
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C e prince ayant eu un cheval tué fous lui-
à'.la bataille de Narva, il fauta légèrement fur
un autre , difant gaîment : Ces gens-ci me font
faire mes exercices.
Au fiège de T h o rn , ce prince dont l’habit
étoit toujours fort Ample, s’étant avancé ■ fort
près avec un de fes. généraux , nommé Liév-en ,
qui étoit vêtu d’un .habit bleu galonné d’o r , il
craignit que ce général ne fût trop apperçu. Il
lui ordonna de fe- ranger derrière lui. Liéven
connoiffant. trop tard fa faute, d’avoir mis un
habit remarquable, 8c craignant également pour
le ro i, héfitoit s’ il devoit obéir. Le roi impatient,
le prend aufli-tôt par le bras, fe met devant
lui & le ‘ couvre y au même inftant, ..une
volée de' canon qui venoît en flanc, rènyerfe le
général mort fur la place, qüe le rpi quittoit à
peiné. Là mort de çet homme tué precifément
au lieu dé lui , parce ' qu'il vouloit le fauver ,
affermit Charles dans l’opinion où il fut toute
fa vie de là prédeftination abfolue ; & ce dogme
qui favorifoit fon courage peut aufli fervir à juf-
tifier fes témérités.
C e prince étoit affiégé dans Straîsund, place
frontière de fes états. Un jour qu'il diétoit des
lettres à un fecrétaire , une bombe tomba fur la
maifon, perça le toit & vint éclater près delà
chambre même du roi. La moitié du plancher
tomba en pièces ; le, cabinet où le roi di&oit
étant pratiqué en partie dans une grofle muraille,
ne fouffrit point de l'ébranlement; 8ç par un bonheur,
étonnant , nul des éclats qui fautoient en
l’air n'entra dans ce cabinet dont la porte étoit
ouverte^ Au bruit de la bombe, & au fracas
de la maifon qui fembloit. tomber , la plume
échappa dés mains du fècréfaire. Qu'y-a^t-il donc ?
lui dit le ro i, d’un air tranquille ; pourquoi n'écrivez
vous pas ? Celui-ci ne put repondre que
ces mots : Eh ! fîrè, la bombe.— Eh bien répond’t le
r o i , qu'a de, commun la| bombe avec la lettre
que je vous diète ? Continuez. Hijioire de -Charles
XII.
Prefque tous fes principaux officiers ayant été
tués ou bleffés dans ce fiège, le colonel baron
de Reichel , après un long combat, accablé
de veilles & de fatigues , s'étant jet té fur
un banc pour prendre une heure de repos, fut
appellé pohr monter la garde fur le rempart ;
il s'y traîna en maudiffant l'opiniâtreté du roi ,
8c tant de fatigues fi intolérables & fi inutiles ;
le ro i, qui l’entendit, courut à lu i, & fe dépouillant
de fon manteau, qu'il étendit devant
lui : ce Vous n'en pouvez plus, mon cher Rei-
»» ch e l, ; j'ai dormi une heure , je fuis frais, je.
» vais monter la garde pour vous ; dormez , je
*> vous éveillerai quand il en fera tems ». Après
ces mots, il l'enveloppa malgré lui, le laiffa dormir
, & alla monter la garde.
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Ce héros étoit trop fenfible à la gloire militaire
, pour refufer fes eloges à fes ennemi» ,
lorfqu’iiS les- méiitoient. Un célèbre général
Taxon, lui ayant échappé par de favantes manoeuvres,
dans une occauon où cela ne devoit point
; arriver j ce prince dit hautement : Schulcmbourg
mous a vaincus..
Lorfque dans un fiège ou un combat on lui
!annonçjoitla mort de ceux qu’il eftiinoit, & qu'il
aimoît le, plus, il réporidoit fans émotion : ‘ Eh
bien, ils font morts en braves gens pour leur
prince.
C e prince difoit à fes foldats : « Mes amis,
» joignez l’ennemi, ne tirez point ; c’eft aux pol-
» trons à le faire ».
Charles ayant, en 1706, forcé les polohpis à.
exclure le roi Augufte , du trône où ils l'à-
voient placé, entra en Saxe, pour obliger ce
prince lui-même à reconnôître les droits du fiic-
cefleur qu'on lui avoit donné. Il choifit fon camp
près de Lutzen, champ de bataille fameux par
la viètoire & par la mort de Guftave Adolphe. ,
Il alla voir la place où ce grand homme
avoit été tué. Quand’ on l'eut conduit fur le
lieu : ce J’ai tâché , dit-il, de vivre comme lui ;
» Dieu m'accordera peut-être un jour une mort
yy aufli glorieufe 3». •
Ori a rapporté cette autre ' anecdote. Charles
occupé d'une affaire importante , alla de grand
mâtin chez fon miniftre pour en conférer avec lui.
Comme il étoit encore au Ut, ce prince attendit
quelques momens. Il y avoit aufli un foldat qui
attendoit dans l'antichambre ; Charles lui fit plu-,
fieurs queftions auxquelles il répondit iquitférenv-
ment. Enfin on ouvre 5 le miniftre fait mille ex-
eufes a fon maître. Le foldat confus de lui avoir
parlé avec tant de liberté, fe jetta à fes pieds,
& lui dit : ce Sire , pardonnez - moi , ’ je vous ai-
» pris pour un homme 39. Il n 'y .a pas de mal,
répondit Charles, rien ne refiemble plus ’ à un
homme qu'un roi.
Charles, pour tout amufement dans fa retraite
de Bender en Turquie, jouoit quelquefois aux
.échecs. Si les petites chofes,'dit lniftorien dé
fa v iè , peignent les hommes , il eft permis de
rapporter qu'il,faifoit toujours marcher le roi à
ce jeu ; il s'en fervoit plus que des autres pièces,
& par-là, il perdoit toutes.les parties.
Un de fes vieux officiers , foupçonné d'être un
peu avare, fe plaignit à lui de ce que fa majefté
donnoit tout à Grothufen : « Je ne donne de
»> l'argent, répondit le roi, qu'à ceux qui favent
» en faire ufage ».
La princeflè Lubomirski qui étoit dans les intérêts
8c dans les bonnes grâces du roi Augufte
, ennemi de la Suède, avoit pris la routé d'AI-
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