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quatre jeunes gens qui s’amufoient à gravir fut un
rocher près de la côte , apperçurent une caverne,
dont l'entrée étoit fort étroite. La difficulté d'y
entrer les excita : ils y entrèrent , & frémirent
d'horreur à l 'afpeéi d’un cadavre étendu au milieu
de cet antre, : c'étoit le corps d'André Gor-
dier, qu'à fes habits, à quelques traits encore
mal confondus par la mort, les jeunes gens reconnurent.
Il avoit trois bleffures, deux au dos •
& l'autre à la tête. Cette découverte fut bientôt
publiée : elle alarma les deux familles , intéreffées
a venger cet affaffinat ; mais, le cadavre fêiil ne
préfentoit aucune forte d'éclair ciffemens , 8c les
perquifitions nouvelles que l'on fit n'aboutirent à
rien.
Inconfolable de la mort de fon amant, la
jeune fille du marchand de Guernezey ne vouloit
plus entendre parler de mariage refufoit obfti-
nément tpus ceux qui déliraient de remplacer
Gordier. Dans le nombre des prétendans fe distinguait
fur-tout M. Gaillard, jeune commerçant),
fort aimable , riche , &très-eftimé par fes moeurs
& fa probité. Les parens de la jeune fille le fe-
condoient de toute leur puiffance , 8f..ne celïbient
de la prelfer de fe déclarer pour lui. Fatiguée de
leurs inftances, & dévorée de chagrin , elfe tomba
malade ; & fort .état étoit d'autant plus alarmant ,
que la plus profonde trrftelfe.fe joignoit à fa maladie.
La mèr.è de Gordier, qui avoit pris pour cette
jeune perfonnèTa plus forte amitié , ne fut pas
plutôt informée de fa fituatiôn, quelle vola près
a'elle. Les deux infortunées répandirent un torrent
de larmes , 8c cet épanchement foülagea beaucoup
la malade,. On commençoit à , fe flatter de fa
prochaine convalefcence , lorfque madame Gordier
:, jettant,par hafard , les yeux fur la montre
de fon amie, apperçut à l'extrémité d.ela chaîne,
un bijou qu'elle-, re con n u td on t, glfe, fut fi vive-,
ment frappée , qu'elle- tomba 'évànpuie. Revenue
à ^elle-même, elle dit à fon amie que c'étoit
elle-même qui avoit fait faire 'ee bijou: ^ ,& qu’elle
l’avoit donné« à fon fils pour le p.réfenter ,,.à fa
fiancée, comme un gage ,de leur.uqion prochaine.
A ces mots, cette fille fut faifie d'une telle hor-r
reur, qii'elle ne put qu'articuler péniblement quel
ques. lettres, G . . . L . . A ; ..; ;D ..v.;, & au
même moment elle expira “ dans les bras /de madame
Gordier, Cette,mort & les;circonftancesqui
l'avoient accompagnée ,, avoient quelque; chôfq .de
fi terrible, & paroilfoient^envelopper un Secret fi
affreux, que madame Gordier , femme .tres-impé-
tueufe , concevant les plus injufteSsÔc les plus horribles
foupçons , s'exhala en reproches atroces ,
qui jettèrerit la divifion entre, lès»deux familles
Q îelques amis communs s'ciT^^ïèrent^êtemdr,e!
cette difcorde naifiTatifeon, en.vint aux édjaircif-.
femens. Le frère de Gordier protefta avoir plufiqurs
fois entendu dire à fon frère , qu'il ne donnerait, ;
qu'il ne ferait même voir ce bijou à fe prétendue . |j
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que le jour même de«-fes noces. Là fceur de"la défunte
, dépofa, de fon côté, qu.ece bijou ne venoit
pas de M. Gordier, mais de M. Gaillard ; qui en
avoit fait préfent à fa foeur quelques mois après la
mort de M. Gordier. Il n’y avoit dans tout cela
que matière à foupçon, beaucoup d'incertitude,
& pas une lueur de préemption ; car enfin, di-
foi.ent ceux qui connoiffoient M. Gaillard, il eft
fort ordinaire que deux bijoux fe reffembient, 8c
rien ne démontrait que ce fût là celui que M vGor-
dier deftinoit à fa future. Madame Gordier convint
de tout, 8c d'autant plus volontiers , ajouta
t-elle , que le bijou de mon fils renfermoit fon
portrait. A cette déclaration, on comprit que la
mort de la jeune perfonne ne venoit que de l'horreur
qu'elle avoit prife tout à coup pour M. Gaillard
, 8c l'on connut, qui elle vouloit nommer par les
lettres mal articulées qu'elle s'étoit efforcée de
prononcer. Le frère de Gordier, qui avoit le fecret
; du défunt , prit le bijou, prena le raifort, & le
bijou ouvert, fit .voir le portrait d' André Gordier.
Un eccléfiaftique , ’ préfent à cette fcène, conféilla
I de prendre les plus grandes précautions, 8c fur-
! tout d'ufer de beaucoup de modération dans cette
affaire , foit pôur découvrir le véritable auteur du
i meurtre de Gordier , foit pour ménager la répu-
: tatiôn de M; Gaillard, s'il n'étoit pas coupable.,
; comme paroilfoient le démontrer fa conduite , fes
moeursfon état ,& là haute idée qu'il avoit dans
tous les temps donnée de fa probité. D'après ces
confeils , on fit prier M. Gaillard de venir inçef-
famment à la maifon où l'on étoit affemblé, & il
s'y rendit fur-le-çhamp. Trop vive 8c trop ulcérée
pour fe contenir , à peine fut-il entré, que madame
Gordier lui reprocha, dans les termes les
plus amers, l 'affaffinat de fon fils. M. Gaillard
parut fort étonné, non de cette furprife qui décèle
les -coupables, mais de cet' air. «qu'a l'innocent
; qu'on accufe. injuftemen.t a &: il répondit, fans fe
| déconcerter , qu'on s'expliquât plus clairement,
( & qu'il n'entendoit rien, a .ce qu'on lui difoit. On
I lui montra ce bîjcfiit qüi' ’étoit encore; ouvert, &
■ madamè Gordier ajouta1 que foii fils T'ayant fur
i lui le joiir qu'il fut tti-é j c'étoit là une preuve
évidente qu'il étoit feul l'auteur de cét affaffinat.
| Cette obfervation déconcerta un/pèu M. Gaillard,
i qui;- affurâ d'abord qu’il-n'avok jamais fait préfent
I .de ce, bijou à la perfonne qu'il recherchoit en -ma-)
: nage ;, mais la foeur de celle-ci lui foutint le-fait ,
i &,lui rappella le; jqpn£ l'heure & les cirçonftaqçes
S au^qj^qifes i l . ipréfë-pté: ge «bijou fermé à fa
fi^r,-;Mj, .G^Ugïdf-^^jfentant vivement pi'effé,
I fe .troubla ;, pâl$, ifcjw&pua que le bijou venoit de
' lui», à lu vérité J mais , «que cela ne prouvoit point
| qu’il, fut un affaffin, puifqu'iî aveit-achêté. ce bijou
I du juif| Léyi;à connu de tous« les« habitant:du pays. «
' Qti il raftçit depuis près , de vingt: (ans. Ce juif
!n'étqit p.lus .fur (esTieu-x & i'impoffibilité de
ffiivre; cette affairé ■ : ’onnant: « la ■ plus grande' affii-
rance ,& beaucoup d'ayantagej à M-. Gaillard- fur
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fes accnfateurs, on fit tout ce qu tin put pour lui
faire oublier l'outrage qu'il prétendoit avoir reçu.
Cependant, après quelques mois dinformations ;
& de recherches, on découvrit enfin le îud Levia
Jerfey, où on le fit arrêter. Lorfque M. Gaillard
eut appris la nouvelle de cet emprifonnement, il f
courut s'enfermer dans fa chambre, ou on le trouva
, quelques heures après, mort de trois coups de
canif qu'il s'étoit donnés dans le coeur. Avant de
fe tuer, il avoit laiffé fur fa table ce billet en forme
de prières.
« Il n'y a que ceux qui connoiffent le délire &
l’impétuofité de l ’amour qui auront quelque indulgence
pour le crime que j'ai commis dans la vue
de pofféder l'objet de ma paffion. Mais vous, être
fuprême, père de la clémence ; vous qui mîtes dans
mon ame le germe dévorant de ce defir, j'ofe encore
efpérer que vous exeuferez le crime affreux •
qua j'ai commis pour contenter la paffion effrénée
qui m'embrâfoit. Vous déteftez les forfaits j mais
vous les pardonnez en faveur du repentir ; Tes
hommes les pourfuivent, les commettent & les
puniffent. Pour me mettre à l'abri des fupplices
déshonorans qui me font réfervés 8c des remords
qui m’accablent, j'ai cru devoir mettre fin à ma
v ie , criminelle fans doute, mais plus maiheureufe
encore)y, '' ...
' AMOUR CO N JU G A L / La reine Hipficra-
tée , femme du roi Mithridate, porta telle amitié
à fon mari, que pour l'amour de lui s'étant fait
tondre' , quoiqu'elle fût jeune 8c très-belle, elle
s'accoutuma à porter les armes, & aller à cheval
à la guerre avec lui ; 8c ayant été vaincu pat
Pompée, elle l'accompagna en fa fuite par toute
l'Afie , adoucififant par ce moyen l'ennui qu'il avoit
de fa perte.
Julie.,;femme de Pompée', voyant la robe de
fon époux teinte dufang d'une viétime qu'il avoit
immolée , Croyant voir le fang de Pompée, fentit
une douleur fi vive qu'elle mourut dans le même
moment.
Artémife, reine de carie, pouffa l’amour pour
Maufole fon époux, jufqu'à ne pas vouloir que
la mort même lés féparât. Elle àvaloit chaque
jour une portion des cendres de fon mari , & devint
ainfi Je tombeau de celui qu’elle avoit aimé.;.
- Portia , fille de Caton d'U tique ,■ & femme du
célèbre Brutus , voyant fon époux rêveur 8c penfîf,.
remarquant, pendant la nuit, fes agitations , fes
fbupirs étouffés, 8c l'efpèce de délire où l;e j étroit
la grandeur de fon entreprife, jugea qu'il avoit
formé'quelque projet important 8c périlleux, dont
il ne lui avoit point parlé. La veille du jour o'ù
Géfaf fut tué, Brutus-étant- forti de fa chambre
de grand matin, Portk fetlève,prend un rafoir
qui fe-trouva. fous fa main , fe fait une bleffiure affez
confidérable, 8c tombe évanouie. Au bruit des
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femmes qui s'empreffdient de la fecourir, Brutus
étonné, alarmé, vole dans fon appartement. Il
apperçoit fon époufe enfanglantée qui lui dit :
« J'ai voulu, cher époux, éprouver mon courage.
» Si la fortune ne couronne pas ton projet, ne
» crains rien : Portia faura te fuivre ». Cette gé-
néreufe 8c tendre époufe, après la mort de fon
mari, ne mit point de bornes à fon deuil. « Quand
«x cefferez-vous donc de pleurer, lui difoit-on ?
» — Quand je cefferai de vivre». On prit la précaution
d'écarter d'elle toute efpèce de fer mais
ces foins furent inutiles : elle avala des charbons
ardens & mourut.
Pauline, femme de Sénèque, ne voulut point
furvivre à fon mari, dont Néron avoit- ordonné la
mort, elle fe f i t , à fon, exemple, ouvrir les
veines. Mais Néron lui ayant envoyé des gens
pour l'obliger à permettre qu’on lui arrêtât le
fang, elle porta le refte de fa vie fur fon vifage ,
une pâleur, dit T a c ite , qui fut un glorieux té-;
moignage de fon amour pour fon mari.
Un ouvrier ayant été arrêté pour une dette' de
dix-huit cents livres, fa femme préfenta r.equêce
au Parlement , en yue d’obtenir la permiffion de fe
conftituer prifonnière à la place de fon mari , afin
qii'étant en liberté, il p ût, par fon travail, fe
mettre en état de fatisfaire fes créanciers. La requête
fut admife j mais fon procédé parut fi beaii
que les Magiftrats eux-mêmes, & quelques autres
- perfonnes , ne voulant pas 'qu'elle eût à fouffrir
d'être fi généreufe, contribuèrent beaucoup au-'
delà de ce qu’il falloir pour acquitter la dette de
1 fon mari.
Madame la Comteffe d’H- * * donne, dans
Paris , un exemple éclatant de La force de Y amour
: conjugal. La mort lui enleva fon mari en 1769 : cette
< tendre époufe , entièrement livrée à fa vive dou-
j leur1-, s’eû appliquée à imaginer tous les moyens
; poflibles de l’entretenir. Elle a fait élever à Notre-
; Dame, à la mémoire de fon époux , un riche mau-
| folée de la eompofition de Lemôyne , s'y eft fait
I tepréfenter elle-même dans l'attitude la plus dou-
| lôureufe. Non contente de ce lugubre tribut, elle
; avoir fait j-etter en cire la figure en grand du
: comte î elle l'a , fait revêtir de la robe de chambre
; dont il fe ferVoit, 8c l'a fait placer dans un fauteuil
, à côté du lit où elle avoit coutume de coucher.
Phifieurs fois par jour elle va s'enfermer dans ce
; trifte lieu, pour s'entretenir avec cette image
; muette 8c de la confiance de fon amour, & de la
■ vivacité de fes regrets.
■ _ Un ' médecin de Bourgogne fut envoyé par une
j danie charitable au village de Ruffiey , à une lieue
i de Dijon, où régnoit alors une fièvre putride ma-
i Ligne. D n le conduifit chez une femme d'environ
[ trerree ans-, dont le mari étoit mort depuis quel-
I ques jours de l'épidémie régnante > il étoit ac-
* compagne du curé du lieu:& d'ms chirurgien; leur