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temps du Tajfe , le repaire de troupes de bandon
s , formées de del’erteurs des armées q u i,
pendant une partie du feizième fiècle, s’éto ent
diiputé le royaume de Naples. Ces bandoliers.
vivant de pillage ,• & vrais fuccefleurs des leltri-
gor.S j compofoient une efpèce de république
peu inquiétée , tolérée même,■ dit-on, par les
vice-rois efpagnols. Tant qu'ils tinrent ce porte,
les voyageurs ne fe hazardoient à portée d'eux
qu'en caravanes armées & nombreufes. Une de
ces caravanes avec laquelle le TaJJé paffoit, fut
attaquée. Un des bandoliers ayant fur le champ
de bataille entendu nommer 1 auteur de la Jéru-
falem, le chercha, le joignit, & le préfenta au
chef de la troupe, il en fut reçu avec refpeét &
vénération ; fon bagage lui fut rendu; on y ajouta
un préfent ; & le chef lui-même, a la tête d'une
eicorte, le conduifit hors de la poitée de tout
danger.
Le Tajfe, quoique malheureux, fit néanmoins
toujours paroitre beaucoup de douceur & de gé-
pérofité. Quelqu'un lui propofant de fe venger d'un
homme qui lui avoit rendu plufieurs mauvais o.ffi
'c e s : « J e ne veux, dit-il, lui ôter ni le bien, ni
la vie, ni l'honneur; je voudrais feulement lui
ôter fa mauvaife volonté ».
T E L L , ( Guillaume ) payfan de la Suifife,
dont il devint le libérateur.
En 1307 Gejler , homme bizarre & cruel, qui
commandoit dans la Suiffe au nom de la mai-
fon d'Autriche, fit mettre un chapeau au bout
d'une perche que l'on planta fur la place d’Al-
to r f , avec ordre aux paffans de faluer ce chapeau
avec autant de refped que le gouverneur
même. Un laboureur, nommé Guillaume Tell,
homme dont I'ame étoit au-deifus de.fa fortune,
ayant manqué à cette formalité, Gejler le manda
pour le punir de fa défobéifiance. Le payfan
s ’exçufa , en difant qu'il n’avoit aucune con-
noiffance de cette loi, à laquelle il fe feroit conformé.
Peu content de cette réponfè, Ie.miniftre
autrichien ordonne au laboureur d'abattre d’un
coup de flèche une pomme fut; la tête de celui 1
de fes enfans qu'il aîmoit le plus, ajoutant que
s j ! manquroit fon coup, il lui feroit donner la
mort. C e père malheureux n'ayar.t pu adoucir
fon juge ni par fes pleurs, ni par fes prières ,
prit la flèche & la décocha fl adroitement, qu’il
abattit la pomme à cent vingt pas de diftance
fans faire de mal a fon fils. La joie du père fut
égale au dépit du gouverneur , qui, toujours dans
le deffein de perdre Guillaume, lui fufeita une
autre querelle fur ce qu'il avoit une deuxième
flèche dans fon carquois. Il voulut favoir à quel
ufage elle étoit deftinée : » A te tuer toi-même,»
lui répondit le laboureur ; ce qu'il exécuta, tandis
que le gouverneur donnoit fes ordres pour
le faire conduire en prifon, Plufieurs citoyens
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fe reunirent à Guillaume ; & cette alliance fut
le fondement de la république Helvétique, qui
s'ert foutenue avec tant de gloire .depuis plus
de quatre cens ans.
7 Cet événement eft le fujet d’une tragédie in-
téreflante de M. Lemiere.
Dans cette pièce après le dénouement, un
des conjures dit à Guillaume Tell, au fujet des
troupes que dévoie envoyer i'Empereur Albert,
pour venger la mort du gouverneur.
L a mort ou l a viéloire
T e l l répond.
C’eft un voeu trop commun.
Une partie du public entendit : » c’eft un peu
trop commun ; » ce qui excita un murmure allez
fort. L'a&eur répéta à haute & intelligible voix
le demi vers tel qu’il étoit, & le public l’applaudit.
Les SuifTes, très-fatisfaits de voir mettre au
théâtre l'époque d e leur liberté , & le héros qui
la leur a procurée, fe déclarèrent pour la pièce
d'une façon très-flatteufe pour l’auteur.
Mlle. Arnoult étant venue à une des repré-
fentations de cette tragédie, & n'y voyant pref-
que perfonne, dit à quelqu'un qui l'accompa-
gnoit : » on dit ordinairement, point d'argent,
» point de Suiffe ; mais ici il y a plus de Suitfes
» que d'argent ».
T EN IE R S , ( David) dit le jeune, né à Anvers,
l'an 16 10, mort en 1694.
La quantité de- tableaux peints par Teniers
le jeune eft furprenante ; auflï difoit-il quelque-
fois en plâifantant : » — Pour raffembler tous
» mes ouvrages, il faudroit «ne galerie de deux
» lieues de longueur ».
Dom Jean d'Autriche voulut que David Teniers
^ lui apprit à peindre : ce prince vivoit familièrement
avec l’artifte, & logeoit même fou-
vent dans fa matfoii. Pour lui marquer fa re-
connoiffance d'ur.e manière aiifli rare que diftin-
guée, dom Jean d’Autriche peignit l'un du fils
de Teniers. ,
Plufieurs princes l'honorèrent encore de leur
amitié, & le comblèrent de bienfaits. L'archiduc
Léopold Guillaufne lui donna fon portrait attaché
à une chaîne d 'or, & le fit gentilhomme de fa
chambre. La fameufe Chrijline, Reine de Suède,
donna auffi fon portrait à Teniers : le prince
d’Orange , Guillaume , & l ’évêque de Gand , enfin
tous les Seigneurs qui fe piquoient de quelque
goût pour la peinture, firent un accueil favorable
à ce célèbre artifte.
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Louis X IV n’aimoir pas le genre de ce peintre
agréable. On plaça dans fon cabinet plufieurs
tableaux de Teniers, mais , ce prince ne les
eut pas plutôt apperçus, qu'il s’ écria : — qu’on
m ôte ces magots de devant les yeux.
T E R E N C E , ( Publius Terentius Afer) poète
comique latin , né à Rome l’an j6o. On croit
qu'il mourut fur mer lors de fon retour de grcce
où il avoit fait un voyage à l’âge de 35 ans.
Térence alla préfenter fen Andrienne à l'édile.
Le poète modefte arrive mefquinement vêtu &
fon rouleau fous le bras. On l'annonce à i’inf-
pedteur des théâtres ; celui-ci étoit à table. On
introduit le poète ; on lui donne un ptt.t ta-
bquret^& le v®;là affis au pied du lit de l'édile.
C e magiftrat lui fait ligne de lire, il lit;
mais il n'euc pas plutôt récité quelques vers ,
que l'édile, fans doute homme de goût, oublia
bientôt que Térence n'étoit qu'un affranchi. Il le
fait placer à fa table & près de lui. Après le
repas il acheva d'entendre cette ledture , & témoigna
fa fatisfaélion au poète.
L Eunuque, qui eft une des fix comédies de
Térence, eut un fi grand fuccès, qu'elle fut jouée
deux fois en un jour, le matin & le foir; ce qui
n'étoit peut-être jamais arrivé à aucune pièce.
La fable des comédies de Térence eft grecque,
& la fcène fe paffe à Scyros, à Andros & dans j
Athènes. Ce poète avoit beaucoup étudié Ménandre.
Comme nous n'avons que quelques frag-
mens de ce comique grec, nous ignorons tout
ce que Térence lui doit. Ma:s ne feroit-ce point
par un effet de cet amour propre qui tend toujours
à diminuer le mérite d’un grand homme
en le partageant, que l’on faifoit courir le bruit,
du temps de Térence3 que L&lius & Scipion l'Africain
l ’aidoient dans la compofition de fes pièces ?
Ce ne font point de chefs d’oeuvres tels que
ceu? de cet iiluftre poète qui peuvent être l'ouvrage
de plufieurs mains.
Madame Dacier a traduit en françois les comédies
de Térence ; mais cette dâme avoit plus
d’érudition que de goût ; & celui qui n’a lu le
comique latin que dans la tradu&ion, peut dire
qu'il ne le connoît pas.
La comedie de l'Andrienne 3 attribué â Baron, ,
ayant, été fort eftimée , quoique peu connue ,
Monfieur Defpreaux ciifoic qu'il troiivoit Baron
bien hardi de s'être expofé à montrer de la raî-
fon aux hommes, en leur traduifant Térence.
T E R R A S SO N , (Jean) de l’académie royale
des feiences de Paris, & de l ’académie françoife,
mort en cette ville en 1750, âgé de 84 ans. -
L ignorance où étoit l’abbé Terrajfon fur la
P uparc des chofes de la vie , lui donnoit une
naivete que bien des gens taxoient de fimplicité;
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s cè quî a fait dire qu’il n'étoit homme d'efprit
que de .profil. Madame la, marquife de Lajfay
qui étoit de fa fociété, répétoit volontiers qu'il
n / avoit qu’un homme de beaucoup d’efprit qui
put être d’une pareille imbécillité.
Il s enrichit par le fyftême, & dans fon opulence
rien ne lui déplaifoit faut que les fréquentes
demandes d’argent que fon cocher lui faifoit pour
lè foin, la pailie & l'avoine. Il confulta fur cela
mademoifelle Falconet, foeur de l'iiluftre Fal-
conet, médecin ; & parmi les différentes quef-
t.ons qu'il lui faifoit à ce fujet : mademoifelle,
lui dit-il , efi-ce que les chevaux mangent la nuit ?
I. abbe Ttrrajfon fe foumettoit de bonne grâce
aux plaifanteries que fa naïveté & fon igno-
rance^ fur la .plupart des chofes de la vie lui
aitiroient. I l ny a pas de mal a cela , d ifoitil,
il faut que jujlice Je fajfe.
Il aimoit à entendre les gens du monde dont
les connoiffances étoient un peu étendues, juger
les ouvrages nouveaux , lorfque leurs décifions
ne portoient que fur les chofes qui font du ref-
fort du goût. » J’admire, difoit-d, leur péné-
» tration fur de certaines convenances, ce fen-
» timent délicat qui leur fait démêler une infi-
» nité d'agremens & de défauts que le fiècle a
» établis. Je les écoute comme un voyageur confi-
» derc un pays ou il fe trouve étranger, & dont
» le climat lui plaît. Mais quand ils veulent faire
33 n°tre métier, juger le fond des chofes, ils parlent
» ils décident ; je tâche de me diftraire , & cela
» me fait prendre patience «. En effet, ce phi-
lofophe-pratique ne lailîoit jamais appercevoir ni
mépris, ni ennui.
Les révolutions du fyftême de Law lui avoient
procuré une opulence paffagère ; mais fes nouvelles
richeffes fembloient l’embarraffer. Il fe de-
mandoit quelquefois à lui-même des befoins, des
goûts nouveaux, & il ne lui en venoit point. Eiv
fin il dçfefpéroit d’en acquérir , lorfque ce fu-
perflu s'évanouit entièrement : Me voila tiré d’affaire
, dit-il, je revivrai de peu ; cela m’ ejl plus
commode.
L ’ a b b é Terraffbn a v o i t f u c o n f e r v e r a u m i l i e u
d e f e s r i c h e f f e s la f i m p l i c i t é d e m oe u r s q u 'e l l e s
o n t c o u t u m e d ’ ô t e r ; i l n ’ é t o i t c e p e n d a n t p a s f a n s
d é f i a n c e d e l u i - m ê m e ; je réponds de moi , d i f o i t -
i! J jufqn’à un million : c e u x q u i l e c o n n o i f f o i e n t ,
a j o u t e u n d e f e s i l l u f t r e s ^ m is . a u t o i e n t r é p
o n d u d e lu i p a r - d e l à .
Ce phdofophe defiroit que les gens de lettres
moins répandus & moins dilîiaits vécuffent davantage
entr’eux. Ce defir étoit celui d’un fage
rempli d’amour pour les lettres , & qui pré-
voyoit bien que ceux qui les cultivent ayant
moins d’intérêt de fe nuire, feroient plus unis,
& par conféquent plus refpe&és.