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inévitablement ; la liberté donne le courage de
tenter des entreprifes littéraires > la gravité fup-
pofe la confiance pour exécuter.
On a long-temps douté fi la pafilon des anglois
pour la liberté eft un pur effet du hafard , ou fi
elle réfulte de l'influence de certaines caufes extérieures
, ou fi un anglois eft naturellement plus
amoureux de la liberté , que d'autres peuples qui
n'en connoifient pas les avantages 8c la douceur.
■ Si nous faifons attention à quelque» efpèces
d'animaux que le pays produit fi nousconfidé-
rons leur impétuofité , leur courage , leur férocité
, & fi nous remarquons que ces mêmes animaux
perdent ces qualités dès quils font tranf-
çlantés dans un autre climat nous ferons portés
a attribuer à des caufes plxyfiques cette horreur
pour la fervitude, qui a toujours diftingué les an-
Çlois.
Ils opt toujours été finguliérement jaloux de
leurs privilèges, & dans le temps même des romains
, on a obfervé qu'ils traitoient fort durement
les étrangers , parce quils les regardoient
comme des efpions & des ennemis fecrets de
leur liberté 8c de leur conftitution.
C e principe de liberté, d'impatience du joug,
réfulte probablement des avantages de leur fitua-
tion. Comme ils n'ont point d'ennemis au-dehors
qui -puiflent diftraire leur attention, tous leurs
foins font concentrés fur le bonheur intérieur dont
ils jouiffent $ & comme ils ne connoifient point de
rivaux qui foient réellement à craindre, ils ne
voient point de plus "dangereux ennemis que ceux
qui voudroient reftreindre cette liberté, dont les
étrangers les laifient jouir paifiblement.
C'eft à M. de Voltaire que nous fommes redevables
de la peinture du bonheur dont jouif-
fent les anglois.
D e leurs troupeaux féconds leurs plaines font couvertes,
Les guérets de leurs bleds., les mers de leurs vaifièaux.
Ils font craints fur la terre, ils font rois fur les eaux.
Leur flotte impérieufe aiïervifiant Neptune,
Des bouts de l’univers appelle la fortune.
Londres, jadis barbare, eft le centre des arts,
Le magafin du monde , & le temple de Mars.
Aux murs de Weftminfter, on voit paroître enfemble.,
Trois pouvoirs étonnés du noeud qui les rafl'emble,
Les députés du peuple, & les grands & le ro i,
Divifés d’intérêts, réunis par la loi :
Tous trois membres facrés de ce corps invincible,
Dangereux à lui-même , à fes voifins terrible.
Apres l'éloge de l'Angleterre, on fera peut-être
flatté de voir la critique, ou plutôt la fatyre des
moeurs & des ufages d'Angleterre * extraite de
i'Infpeéteur anglois»
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U y a une filé fîtuée au nord de l'Europe, fa-
meufe par la liberté de penfer, de parler & d’agir,
dont jouiffent fes habitans.
Où la façon de s'habiller failant tous les jours
des progrès merveilleux dans l'invention des
modes, la mode eft parvenue au comble du ridicule.
O ù , parmi les femmes du premier rang , celle-
là fe croit la plus diftinguée qui peut approcher le
plus de la mal-propreté de fa femme-de-chambre j,
ou bien, fous un habit de campagne ,_refièmbler
de loin à un voleur de grand chemin, qui vient
fièrement vous demander la bourfe.
Où les jeunes beautés oublient la douceur & la
délicatefiè qui font l'apanage de leur fèxe, jouent
les amazones , prennent les armes, & n'attaquent
que les jeunes gens qu'elles font fûres de battre.
Où les commères fe donnent des rendez-vous
aflidus à l'églife , pour fe communiquer les calomnies
du jour.
Où le fèxe qui affiche la dévotion , fait allier
admirablement la broderie & les bijoux , avec
les termes de vile créature, de miférable pécha*
rejfe, &c.
O ù , loin de dire avec l'apôtre, que la piété
eft un véritable profit, on renverfe la phrafe en
difant que le profit eft la véritable piété.
Où le faquin du bel air 8c le fcélérat à la mode
font fêtés , tandis que le mérite modefte fe tient
à l'écart.
Où faire un affront 8c foutenir fon infolence à
la pointe de l'épée, c’eft avoir du courage & de
l'honneur.
Où c'eft jouer le plus beau rôle dans la no-
blefle , que de n'avoir point d'entrailles , d'infulter
à la calamité d'autrui , & de prendre la crainte de
Dieu pour de la poltronnerie.
Où l’on voit une fociété qui fait profeflion de
croire que c'eft manquer de refpeéfc à Dieu, que
d'ôter le chapeau à un homme , & de boire à fa
fanté.
Où l'on bâtit des palais d'une telle magnificence*
que lorfqu'ils font finis , il n'y a plus d'argent pour
allumer le feu à la cuifine.
Oùfouventles chevaux font mieux logés que le»
maîtres.
Où les matelots invalides font magnifiquement
renfermés dans un édifice royal, dont l'architecture
a été faite aux dépens de leur nourriture ,
tandis que le monarque habite un bâtiment de
pièces rapportées.
Où , pour dîner chez un homme , il faut
payer aux domeftiques trois fois plus que lavaleui
: 1 K G
|L lu dîner , & fe croire encore fort redevable au
•'maître.
I Ou l’on a découvert que le nez étoit un organe
»beaucoup plus convenable d la parole, que la
aB bouche.
ï Oïl le cou penché eft la pofture la plus dé-
■ -rente.
I ; Où les hommes les plus intimément liés
■ font les plus cruels ennemis, 8c fe font du
B ro a l en proportion de. l'intérêt qu'ils y trou*
■ vent.
K Où les proverbes, inventes pour ridiculifer le
■ v ic e , font devenus des règles de conduite , tels
H que ceux-ci : fermer é‘écurie quand le cheval eft Vole,
^R -arriverle Lendemain de la foire , &C.
I O ù, fi l'état a befoin d'un miniftre , fi un fei-
■ gneur veut un fècretaire, s’il faut un pilote pour
I l un vaifleau , 8cc. on cherche moins. celui qui con- ,
■ vient le mieux à l’emploi, que celui a qui 1 emploi
|R convient le mieux.
1 Où un homme qui a ruiné fes affaires & celles (
■ d’autrui , lorfqu'il n'ôfe plus fe montrer dans fon
JB 3 envoyé pour remplir un pofte important
9 dans une province éloignée.
I O ù , lorfqu’il fe commet un crime atroce contre
m la nation, les juges font fi bien qu'il demeure
ir; impuni.
' ■ Où la puiffance & le crédit s'arrogent le droit de
î§ ■. changer la nature des chofes.
ï . Où l’ art de flatter eft celui de réuffir, & le fe-
I cret de faire des dupes eft le moyen d’avoir des
I protecteurs.
I Où l'on infulte 8c l'on attaque fon ennemi,
B (ans fe précautionner contre fon reffentiment.
| O ù , être le finge perpétuel d'un peuple fri-
I vole -, cultiver" fa langue, y porter fon argent,
■ en rapporter toutes les modes, y prendre des B çuifiniers , des perruquiers 8c des valets-de-
R chambre, enfin tous les inftrumens de. la cor-
R ruption, 8c les raffinemens de la débauche , c'eft
R être parvenu au fuprême degré de la gentilleffe.
O ù .. . l'infpeCteur s'arrête i c i , faufà repren-
R dre la plume.
En Angleterre, pour obliger les maris à ne pas R; s'éloigner de leurs femmes, il y a une loi fort iin-
|| gulière : c’eft qu'encore qu'un homme foit long-
R temps abfent de chez lui, pourvu qu'il ne forte
B point de l’enceinte des quatre mers, c’eft-? - l ir e ,
R de la Grande-Bretagne i fi , pendant cette abfence, R fa femme accouche d’ un enfant , il eft obligé de
R reconnoître ce bâtard pour légitime, & dè“lui
B faire part de fes biens en cette qualité. En vertu
B d’une autre lo i, les filles au-deffus de l’âge de
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ifcpt ans peuvent donner leut foi , 8e fe promettre
en mariage à un amant ; mais elles ont permif-
iion de rompre ou de renouveüer leur promeue
lorfqu’ elles ont atteint leur douzième année.
L 'anglois , aimable chez les étrangers , eft très-
difficile à vivre dans fa patrie. C ’eft ce qu’ un
ambaffadeur de France vouloit faire entendre à un,
1 feigneur de la Grande-Bretagne. « Vanglois , lui
« difoit l’ambaffadeur , eft bien eftimable hors de
; » fon ifle ■ >'. Il a du moins , répondit le lord,
davantage de l’être quelque part. Sa répartie étoit
piquante ; mais l’ambaffadeur 1 avoit méritée par
J! tournure malignement épïgrammatique avec laquelle
il avoit rendu fa penfée.
Phifieurs faits femblent Indiquer que l’on pour-:
roit trouver en Angleterre, plus que par-tout ailleurs
, des caractères iinguliers.
’ Un feigneur anglois fort connu pour fa fingula*
rite , s’ avifa un jour, étant dans fes terres , d’ordonner
à fon cocher d’aller chercher de la creme
au village. Cet homme, offenfe de la propofi-
tion , répondit que c’étoit 1 affaire des iètvantes.
Ah! quelle eft donc la vôtre , demanda le maître ?
— panfer mes chevaux, les atteler , 8c conduire la
voiture. — Eh bien-, mettez donc les chevaux ,
prenez une des filles dans ma voiture, 8c qu'elle
aille chercher de la crème. L'ordre étoit pofitif 8c
fut exécuté.
Un trait qui pourra contribuer a faire connoitre
le courage de cette nation, eft la réponfe de
Guillaume III à un ambaffadeur danois. Le lord
Molefworth , qui avoit été miniftre d’Angleterre
.à la cour de Copenhague , fit imprimer, à la fin
du dernier fîêcle , un ouvrage eftimé fur le. Dane-
marck , intitulé : accouru o f Danmark. Cet écrivain
y parloit du gouvernement arbitraire de ce royaume,
avec cette franchife que donne l’ air de liberté
qu’un anglois tefpire. Le roi de Danemarck alors
régnant fut offenfé de quelques réflexions de
l’auteur , 8c ordonna à fon miniftre d'en faire des
plaintes au roi d’Angleterre Guillaume III. « Que
» voulez-vous que jefaffe, dit Guillaume i - Sire ,
» répondit le miniftre danois, fî vous vous plai-
» gniez au roi mon maître d’une femblable of-
« fenfe , il vous enverroit la tête de l’auteur.
» — C'eft ce que je ne veux ni ne peux pas faire,
>. répliqua le rois mais , fi Vous le.defirez , l’auteur
m mettra ce que vous venez de me dire dans la fe-
« conde édition de fon ouvrage ».
Les algériens bombardés en 168-4. par des ef-
cadres françoifes, demandent pardon à Louis XIV»
8c rendent libres tous les -efclaves chrétiens. Il le
trouve parmi ces malheuteux quelques anglois qui
foutiennent à Damfreville, que c’ eft la confide-
ration qu’on a pour leur pays qui fait tomber leurs
fers. Le capitaine françots remit ces anglois à terre,
8c dit aux algériens : « ces gens-ci prétendent