
reviennent briguer l’honneur de fervir encore* Il
gouvernoit alors la reine d’Angleterre, & par
le befoin qu’on avoit de lu i, & par l’autorité
que fa femme avoit fur l’efprit de cette reine. Il
avoit par-deffus tous les généraux de fon temps,
cçtte tranquillité de courage au milieu du tumulte,
& cette férénité d’ame dans le péril, que les
anglois appellent cool kead, tête froide.. Guerrier
infatigable pendant la campagne, il devenoit un
négociateur aulli agiffant pendant l’hiver. Il alloit
à la Haye & dans toutes les cours d’Allemagne
fufeiter des ennemis à la France.
Lors de la bataille d’Hochftet, perdue par les
françois en 1704, le maréchal de Talard fut pris
dans l’aétioru On le mena au quartier du duc de
Marlborough, qui n’oubüa rien pour le confoler.
Le maréchal » fatigué de tous les lieux communs
qu’on lui débitoit fur l’inconftance de la fortune,
dit au général anglois, avec une impatience déplacée
: *< Tout cela n’empêche pas que votre
» grandeur n’ ait battu les plus braves troupes du
» monde. — J’efpère, répliqua mylord, que votre
grandeur exceptera celles qui les ont battues *>.
Eugène & Marlborough venoient de conquérir
Lille en 1708. Quelque temps après ils fe rendirent
à la Haye. Les Etats-Généraux leur firent l’accueil
le plus diftingué, & pour leur donner une preuve
plus marquée de leur fatisfaCtion, ils ordonnèrent
un magnifique feu d’artifice. Mais les généraux
victorieux demandèrent que l’argent delliné à
donner de l’ éclat à leurs exploits, fût employé au
foulagement des foldats de la république qui avoient
été bleffés pendant la campagne. Cette propofition
fut reçue avec tranfport. Le public admira la bonté
compâtiffante des deux héros ; & les troupes prodiguèrent
les noms les plus tendres à des chefs
qu’elles s’étoient contenté jufqu’alors de regarder
comme invincibles.
Le duc de Marlborough, fur la fin de fes jours, ]
encourut la difgrace de la reine Anne par la faute
de la duchefte, dont l’humeur hautaine & ja-
loufe ne pou voit point fouffrir d’ égale en faveur.
Quelques paires de gants d’ une façon fingulière
qu’elle refufa à la princefle, une jatte d’eau
qu’elle lai fia tomber en fa-préfence, par une mé-
prife affeCtée fur la robe d’une dame de la cou r ,
pour laquelle Anne témoignoit de l’amitié, achevèrent
d’aigrir les efprits. On chercha à éloigner
Marlborough des affaires ; mais comme il étoit
difficile d’ôter aux troupes un chef fous lequel
elles étoient accoutumées de vaincre, Anne fie
hâta d’accélérer la paix d’Utrecht, long-temps
defirée par la France. Si on pouvoir approfondir
les grands événemens, on trouveroit peut-être
avec étonnement qu’ ils ont été également produits
.par la plus petite caufe.
On critiquoit Marlborough de fon avarice devant
Bolingbrocke : c’étoit un fi grand homme 7
répondit celui-ci, que j’ai oublié tous fes vices.
MARÔ L LES , ( Michel) mort à Paris en 1681
à 81 ans.
Il entra de bonne heure dans l’état eccléfiaf-
tique, & obtint, par. le crédit de Claude de Ma-
roles fon père, gentilhomme de Touraine & lieutenant
général des cent fuifies, deux abbayes,
celle de Baugerais &r celle de Villeloin. Claude de
Maïolles mourut en 163 3, à 69 ans, regardé comme
un héros qui mêloit la rodomontade à la bravoure.
Il ne fe faifoit jamais faigner que debout & appuyé
fur fa pertuifanne, parce qu’un homme da
guerre, difoit-il, ne doit répandre fon fang que les
armes à la main.
L ’abbé de Marolles fon fils, étoit né avec cet
amour pour les lettres & les beaux arts, que l’on
prend quelquefois pour un indice du talent ; mais
il prouva que cet indice eft quelquefois trompeur*
Il s’attacha à faire pafler les auteurs anciens dans
notre langue; mais les fleurs les plus brillantes
des poètes fe fanent entre fes mains. Il s’ avifa
lui-même d’être pdfe'te ; il compofoit fes vers ftans
pede in uno, & de compte fait il en enfanta,
malgré Minerve, & en dépit d’Apollon, 13; 124,
parmi lefquels il y en a deux ou trois de
bons. Il difoit un jour à Linière : « Mes vers
» me coûtent peu. » Ils vous coûtent ce quils
valent, répliqua Linière > & Fauteur ne s’en of-
fenfa point.
De Leftang, auteur des règles de bien traduire,
avoit pris tous les exemples de bonnes traductions
dans les livres de d'Ablancourt, ou de Port-
Royal , & ceux des mauvaifes , dans les ouvrages
de Fabbé de Marolles. Celui-ci en fut fort en colère
, & s’en plaignit à tout le monde. De Leftang
ayant jugé à propos de Fappaîfer , choifît pour
cela le jour que.Fabbé de Marolles alloit faite
fes Pâques, & fe préfentant devant lui comme
il alloit fe mettre a genoux pour communier :
« Monfieur, lui dit-il, vous êtes en colère contre
» moi : je crois que vous avez, raifon ; mais mon-
» fieur, ajouta-t-il , voici un terhps de miféri-
» corde, je vous demande pardon. » De la maniéré
dont vous vous y prenez, lui répondit l’abbé
de Marolles , il n y a pas moyen de s ’en défendre :
allez , monfieur, je vous pardonne. Quelques jours
après, cet abbé rencontrant de Leflang , lui dit :
Croyez-vous en être quitte ? Vous m’avez eferoqué
un pardon que je n’avois pas envie de vous accorder •
« Monfieur, monfieur, lui répliqua de Leftang ,
» ne faites pas tant le difficile. On peut bien ,
» quand on a befoin d’ un pardon général, en ac-
» corder un particulier. »
. L ’abbé de Marolles .-fit une traduction dès épi-
grammes de Martial , dans laquelle il n’avoit
rien confervé ftu fel de fon auteur> c’eft ce qui
engagea Ménage à mettre à la tête de l’exemplaire
que Fabbé de Marolles lui envoya : Epi-
■ grammes çontre Martial.
Cet abbé eft un des premiers amateurs qu’a
eu la gravure. Il forma une collection de plus
de cent milles eftampes, qui fait aujourd’hui un
des ornemens du cabinet du roi. Comme fa manie
étoit de faire imprimer, il a donné à Fimpreffion
deux catalogues d’eftampes.' C ’eft une nomenclature
fort fèche & fort mal en ordre des eftampes
qui compofoient fon cabinet.
Quelque temps avant fa mort, il fit imprimer
fes mémoires écrits’ d’un ftyle plaitemerrt naïf.
On y trouve cependant quelques faits intéref-
fans, parmi une infinité d’anecdotes minutieufes
& infipides. Ces mémoires qui étoient devenus
fort rares ont été réimprimés en 17^5, en trois
volumes in-11.
Il eft dit quèlque part dans ces mémoires qu’on
montroit à l’ abbé de Marolles, la tête de faint
Jean-Baptifte qui eft à Amiens ; il dit en la bai-
fant:« Dieu foit loué, c’eft la fixième que j’ai
» l’honneur de baifer ».
L’abbé de Marolles recevoit une petite penfîon
d’un feigneur. On vint lui annoncer qu’elle ne feroit
pas continuée : « Tant mieux, dit-il, je ferai libre;
?» cela me fera plus commode ».
M A R O T , ( C l é m e n t ) n é e n 1 4 9 5 , m o r t e n
Ï544*
Marot avoit la mine férieufe & l’air grave. Sa
phyfionomie étoit plutôt celle d’un philofophe
qui enfeignoit la morale, que celle d’pn poëre
qui diCtoit des poéfies enjouées. Cependant il n’y
eut jamais d’ efprit plus agréable, plus ingénieufe-
ment badin que le fien. Sa poéfie refpire par-tout
la délicatefle & la naïveté. Il a fur-tout réuffi dans
le genre épigrammatique.Sa plaifanrerie eft fouvent
d’un homme de cour, auffi l’a-t-on également
appelé le poète des princes & le prince des poètes.
Il eut des imitateurs. On a écrit dans le ftyle
mdroiique des poèmes, des livres d’hiftoire & de
morale : mais ce ftyle n’ eft bon que dans un conte,
& on fouffriroit impatiemment dans un'ouvrage
férieux, une bigarrure de termes bas & nobles, fu-
rannés & modernes.
Marot fut bleffé au bras, & prifonnîer à la
célèbre journée de Pavie en 1525, ainfi qu’il le
mande dans une lettré en vers à fa maitrene. De
retour en France, il s’attira plufieurs affaires fâ-
cheufes, par fa conduite indiferète envers des
dames de la première diflinction, & par la liberté
avec laquelle il s’expliquoit fur des matières dogmatiques.
C ’ éroit le temps de l’héréfie de Luther,
& il y avoit en France une efpèce de tribunal
contre les novateurs en matière de dogme , &
ceux qui ne fuivoient pas la difeipline de l’églife.
Marot, qui fe permettoit tout, donnant à dîner
| à fa maitrefte un jour maigre, n’obferva point la
loi de l’ abltinence des viandes. Cette tranfgref-
fion vis-à-vis*d’une telle perfonne, fembloit 11e
devoir être d’aucune conséquence ; mais la mat-
treffe, quoique coquette, piquée contre fon amant
d’un reproche qu’il lui fit d’infidélité , chercha
à s’en venger en dénonçant Marot au nouveau
tribunal compofé de doCteurs de Sorbonne.
Le poète convaincu d’avoir enfreint une des
plus rigoureufes loix de l’églife, fut mis en prifon:
mais il faut l’entendre lui-même coûter fon aYan-
ture.
Un jour j’écrivis à ma mie
Son inconftance feulement;
Mais elle ne fut endormie
A me le rendre chaudement :
Car, dès l’heure tint parlement
A je ne fais quel papelard,
Et lui a dit tout bellement :
Prenez^le, il a mangé le lard.
Lors fix pendards ne faillent mie
A me furprendre finement, v
E t, de jour, pour plus d’infâmie,
Firent mon'emprifonnement.
Ils vinrent à mon logement;
Lors, fe va dire un gros paillard;
Par la morbleu ! voilà Clément;
Prenez-le, il a mangé le lard.
Marot du fond de fa prifon follicita fa liberté
auprès de fes juges. Tout ce qu’il put obtenir
fut d’ être’ transféré des prifons obfcures & malfaines
du châtelet dans celles de (Chartres. 11
foulagea fes ennuis en compofant uneTaryre contre
les gens de juftice, qu’il intitula. Y Enfer. Mais il
n’obtint fa grâce qu’après que François I, le protecteur
de tous les gens de lettres & de Marot
qu’il aimoit, fut de retour en France.
C e poète continua de faire les délices de fon
fîècle par fes poéfies ingénieufes & badines ; mais
toujours fougueux, toujours imprudent, il donna
dans de nouveaux travers auxquels il auroit enfin
fuccombé fans la protection fignalée de François I.
Sur la fin de fa v ie , au lieu de fujets libres &
plaifans qu’il avoit coutume de traiter, il en
choîfit de férieux. Il donna- une traduction en
vers françois de plufieurs pfeaumes de David.
Ces pfeaumes furent cenfurés par la Sorbonne,
& chantés par les courtifans. Avant qu’ ils fuflent
mis en mufique , on les avoit adaptés aux airs de
vaudevilles les plus en vogue. Florimond de Rémond,
parle ainfi du goût des courtifans & de$
princes pour ces pfeaumes. « Le roi, dit-il, prit
pour le fien le pfeaume comme on oit le cerf bruire,
lequel il chantoit à la chafle. Madame de Valen-
tinois qu’il aimoit, prit pour elle du fond de ma