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monfeigneur , répondit le Payfart : c’ eft que nous
ne fomrnes pas riches. L’évêque répondit qu'il
n'en auroit pas coûté davantage- Comment pas
davantage ? repartit le Payfan , j'y gagnons cinq
chevaux , car il ne lui en faut qu'un comme
ç a , & à un évêque il en faut au moins lix.
M. de Maupeou, évêque de Châlons fur Saône,
demandoit à un payfanj combien il y a de Dieux:
Parguié, monfeigneur, répondit-il, en Ton patois,
il n'y en a qu'un , encore eft-il bien mal fervi par
vous autres gens d’églife.
On montroit à un payfan tout ce qu’un maréchal
de France avoit pris ; les villès, les pays,
tout cela étoit fur un tableau. Morgué, tout ce
qu’il a pris n’eft pas-là, dit le payfan -, car je n’y
vois pas mon pré.
Des payfans mandoient à madame de Main-
tenon-, qu’ ils craignôient fort pour fa fanté <te
pour celle du roi à caufe de la mortalité des
bêtes. C'eft madame de Maintenon elle-même qui
ra-pporte ce trait dans fes lettres.
Un payfan qui plaidoir, alla voir fon avocat,
qui lui dit : Mon ami , tu perdras ton procès, la
loTâécide formellement contre toi. Il lui montra
en même temps avec le doigt dans fon corps de
droit, la loi en qneftion. Le payfan lui dit alors :
Monfieur, ne biffez pas de .plaider, que fait-on ?
les juges fe tromperont peut-être. ;
Dans ce temps là une affaire appella l'avocat
hors de fon cabinet» il y laiffa le payfan, qui pro
fita de cette abfence pour déchirer le feuillet où
il avoit remarqué qu'on lui avoit défigné la loi
_ dont il s'agiffoit.
Il mit ce feuillet dans fa poche, & s’échappa
fecrettement, comme un homme qui auroit fait un
■ mauvais coup.
L ’avocat plaida avec beaucoup de vivacité,
il éblouit les juges, il gagna fa caufe. Le payfan
au fortir de l’audience, l ’aborda f Mon ' ami,
lui dit l’avocat, tu as gagné ton procès contre
mon fentiment: Oh ! monfieur, lui dit le payfan
je ne pouvois pas perdre, parce que j'avois-bien
caché la loi qui me condamnoit : tenez , la voila,
continua t-il, .en lui montrant le feuillet qu'il tira
de fa poche.
.Unpayfan ayant tué d’un coup de hallebarde le
chien de fon voifîn, qui le vouloit mordre, fut
cité devant le juge, qui lui demanda pourquoi il
avoit tué ce chien : le payfan lui ayant répondu
que c'étoit en fe défendant, le juge lui répartit :
„ T u devois tourner le manche de la'hallebarde.
Je l'aurois fait, répliqua !epayfan, s'il eût voulu
me mordre de la queue, & non pas des dents ».
Un fameux traitant fut affez vain, pour faire
«lever dans fes jardins une ftatue équeftre qui
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le repréfentoit. Deux payfans la confîdéroïent :
l'un demande à l'autre, d'où vient que le traitant
n’a pas de gants ; hélas 1 dit l'autre, il n’en
porte point, parce qu'il a toujours les mains
dans nos poches.
Un laboureur voyant paffer l’archevêque de
Cologne, accompagné de foldats, ne put s’empêcher
de rire. L’archévêque lui en demanda la
raifon. C'-ett, dit le laboureur, que je fuis étonné
de voir un archevêque armé & fuivi de gens de
guerre. N e fais tu pas, mon ami, lui répondit-
il > que je fuis prince aufli-bien qu’ archévêque ?
J’entends bien répliqua le payfan ; mais, dites-
moi , je vous prie, quand monfieur le prince
ira à tous les diables, que deviendra M. l’archévêque
?
Un payfan de Baffe-Bretagne, étant allé à la
foire à Paris, où l'on montroit un animal extraordinaire,
alla fe jetter au col de la b ête, en
difant,ahi je le reconnoîs, c’eit le feigneurdc
notre village.
Un gaillard de village fut trouver fon procu-*
reur,&-lui d it:je voudrois bien m’acquitter de
ce que je vous dois, mais jé n’ai point d'argent.
Le procureur lui dit qu'il étoit bien pauvre, s'il
n’avoit rien. Le villageois lui répondit : fi vous
voulez prendre un lièvre, je vous le donnerai.
— Oui-da, je le prendrai; dit le procureur. Le
payfan lui repartit ; vous feriez donc plus que
mon chien , qui chaffa hier toute la journée , &
qui ne put jamais en prendre un feul..
Deux fuiffes , le fabre à la main, fe battoient
à outrance dans une place ; un payfan paffe par-
4 "là, & le coeur ému de compaflion s’efforce de
les féparer ; mais le pauvre diable pour toute
récompenfe de fon zèle, reçoit à la tête, un coup
de fabre qui le jette à la renverfe. On appelé un
chirurgien, qui veut voir fi la cervelle eft atteinte.
Ah 1 tout beau , dit le payfan, je n’en avois
point iorfque je me fourrai dans cette que-
.relie. . "
Un gentilhomme fe vantant devant un payfan,
de l'ancienneté de fa nobleffe : « tant pis, moniteur,
dit-il , quand une graine eft fi vieille, elle
s'abâtardit ».
- Deux payfans des environs de B . . . . font venus
confulter M . . . . avocat, le 15 décembre 1783.
Ils avoient le coeur gros de foupirs, les larmes
s'échappoient de leurs yeux.
Nous fomrnes défolés , lui dirent-ils. — Et
de quoi, mes en fans ? — Notre beau-père vient
de faire devant le juge , un ferment qui nous
fembie équivoque : il a cru pouvoir ufer de cette
odieufe prefeription ; & contre qui encore? contre
un meunier charitable, fans le fecours duquel nos
enfans & nous ferions reliés fans pain.
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M __ leur demande le parti qu’ils veulent
prendre.11 eft tout pris , répondent-ils avec émotion
; nous payerons pour le père de nos femmes.
Et iis ont payé..
Un payfan eut le malheur que fa vache fût tuée
parle taureau du feigneur de fon village; il jugea
bien qu’il n'en auroit pas aifément fatisfaétion.
Il vint trouver ce feigneur qui étoit dans une
maifon de fes amis , & dit que fa vache avoit
tué fon taureau. La loi veut, s'écria auffitôt le
feignéu.r, que la vache appartienne au maître du
taureau qui a été tué. Le payfan difputa fur cette
peine, mais le Ligueur n'en voulut pas démordre.
Alors le payfan lui dit -, monfeigneur, il faut
tourner la médaille, c'eft votre taureau qui a tué
ma vache ; palfangué vous vous êtes jugé ; vous
n'en appelerez pas : le feigneur s'étant enferré de
lui-même, fut condamné par Tes amis.
Dans le temps que la France vi&orieufe fous
Louis X IV , foutenoit une guerre qui coûtoit
exceffivement, on étoit obligé de doubler les
impôts & les fubfîdes : Un payfan qui avoit peine
à digérer qu'on eût augmenté fa taille dit : quoi i
cous gagnons & nous mettons toujours au jeu ?
En 1770, le feu ayant pris dans un village de
la province de Fionie, un payfan du lieu donna,
dans cette circonftance, un exemple de zèle & de
magnanimité qui mérite d’être rapporté.
Il portoit du fecours en différens endroits de
l’incendie» loin de fon quartier, lorfqu'on vint
l ’avertir que le feu gagnoit fa maifon. Il demande
€1 celle de fon voifîn étoit endommagée 2 On lui répondit
qu'elle brûloit.
A Tinftant cet homme généreux, qui favoit
que fon voifîn étoit malade & hors d’état de
s'aider lui-même, vole au fecours de fon ami ;
& , fans s’arrêter*au danger imminent dont le
menaçoit une poutre embrafée prête à s'écrouler,
il s'élance auprès du malade, le charge fur fes
épaules, & le conduit heureufement en lieu de
fureté.
La chambre économique de cette ville ayant
été informée de cét aéle de zèle & d'humanité,
envoya à ce payfan un gobelet d'argent, rempli
d'écus danois, & ayant un couvercle dont la
pomme eft furmonté d’une couronne civique. Aux
deux côtés de cette couronne, pendent deux petits
médaillons fur lefquels l'héroïfme de cette action
eft gravé.
PEINTRE. Un peintre venoit d’achever un tableau
dans lequel il avoit repréfénté le dieu M ars,
& le^fit voir à un connoiffeur auquel il demanda
fon avis. Celui-ci, après l’avoir examiné , lui trouva
des défauts que le peintre ne vouloit pas avouer.
Cette difcuffion duroit encore , lorfqu’un petit-
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maître arriva. — « Que ce tableau eft admirable »
s'écria t-il après l ’avoir à peine regardé ; en honneur,
c’eft un chef-d’oeuvre : il eft unique l 'il eft
divin » ! — Le peintre alors prit un princeau &
effaça tout fon ouvrage.
Une demoifelle de vingt-cinq ans voulut qu’un
peintre la repréfentât en vellale & de grandeur naturelle.
L ’ouvrage étant achevé, la jeune per-
fonne trouva que la hauteur de fa taille n’étoit pas
tout-à-fait rendue, & comme elle s’en plaignoit
vivement au peintre, il lui dit : « Excufez-moi ,
mademoifelle, je vous ai repréfentée plus petite
que vous ne l’êtes en effet, parce que je n’ai
pas cru que , dans le temps où nous fomrnes, il
y ait des vierges aufli grandes que vous ».
Après avoir été ruiné par un malheureux procès
, un peintre eut deux plaideurs à peindre ,
dont l’unvenoitde gagner fa caufe & l’autre l’avoir
perdue : il repréfenta le premier en chemife , &
le fécond entièrement nud.
Une perfonne de qualité qui aimoit fort la peinture
, ayant montré un tableau de fa façon au
Pouffin; ce fameux peintre lui dit : « Monfieur ,
il ne vous manque , pour devenir habile peintre ,
qu’ un peu de pauvreté».
Un peintre italien, après avoir travaillé toute
la journée, fe faifoit un amufement, à l’entrée
de la nuit, de regarder les taches d’une voûte ou
d’un mur ; il traçoit enfuite fur le papier les figures
que fon imagination avoit apperçues.
Un peintre anglois, ayant repréfenté une jolie
quêteufe, tenant un tronc, & voulant faire entendre
que ce tronc étoit vuide, imagina de peindre
au-deffus de l’ouverture une toile d’araignée.
Frère Philippe Lippi, de l’ordre des Carmes ,
habile peintre Florentin , ayant été pris fur mer,
par des corfaïrés de barbarie, fit une fois le portrait
de fon patron fur une muraille avec du charbon.
Il attrapa fi bien l’air de fon vifage, & il
exprima fi naïvement fon habit à la morefque, que
le barbare, frappé d’étonnement & d’admiration ,
lui donna généreufement la liberté.
Ce frère Philippe étoit un maître moine. Comme
il peignoit un jour le tableau du maître-autel des
religieufes de fainte Marguerite de Florence, une
jeune penfîonnaire nommée Lucrèce , fille de
François B u ti, citoyen de Florence, l’étant venu
voir peindre par hafard, notre frère Philippe jetta
les yeux fur elle, & en devint amoureux. Il fit tant,
qu’ il obtint des religieufes, qu’ il feroit le portrait
de Lucrèce, ayant befoin, dit-il, d’ un bel air
de tête pour la vierge de fon tableau.
Comme il avoit la commodité de l’entretenir,
il la débaucha; & ils convinrent de s’ en aller en-
fembie, un jour qu’ elle devoit fortir, pour aller
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