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T a C IT E , (Cornélius Tacitus) hiftorien latin.
Il fut créé conful fous Nerva, l'an 93 de Jéfus-
Chrift ; il époufa la fille du célébré Agricola.
On fait peu de chofe de fa vie , on ne fait
rien de fa mort.
Tacite eut pour ami & compagnon de fes travaux,
Pline le jeune. Ils jouifioient à Rome d’une
égale îéputation $ voici un petit fait qui le
prouve aflez.
Tacite fe trouvoit un jour affis au fpeéhcle à
côté d’un inconnu, qui, après une converfution
aflez longue fur des matières de littérature, voulut
connoître celui à qui il pàrloit : ce Vous me
connoiflez, lui dit Tacite, & même par des
écrits ». Etes-vous Tacite ou Pline 3 reprit avec
vivacité cet inconnu ?
, L'empereur Tacite fe difoit defcendu de cet
hiftorien j & il ordonna qu'on feroit chaque année
dix copies de fes ouvrages pour les. placer dans
les bibliothèques publiques. Il fembleroit que cette
utile précaution auroit dû les faire arriver entiers
jufqn a nous. Cependant nous n'avons encore que
des fragmens de fon hiftoire & de fcs annales,
qu'il ne compofa que dans un âge avancé. Il a
écrit la vie de fon beau-père Agricola, & c'eft
un des plus beaux & des plus précieux ^morceaux
de l'antiquité. Nous avons aufli de Tacite un ou-
vrage qu’il a fait exprès fur les- moeurs des germains.
Il eft court cet ouvrage, dit le préfident-
tle Montefquieu, mais c’tft l’ouvrage de Tacite
qui abrégeoit tout, parce qu'il voyoit tout.
Tacite, difoit Voltaire, aimoît encore mieux la
fatype que la vérité. Il veut rendre tout odieux,
ju qu'aux actions indifférentes ; & fa malignicé
nous plaît prefque autant que fon ftyle, parce que
nous aimons la médifance & l ’efprit.
x T AM E R L A N , ou T IM O U R -L E N E , c'eft-
à-dire, Timour le Boiteux, empereur des Mogols
& conquérant de l’Afie , né dans la Tranfoxane,
province de la grande Tartarie, l'an de l’ère chrétienne
13 3 v, & de l’égire 736, mort à Otrar l’an
de Jefus Chrift 1403, & de 1 egire 806.
Une émeute s'étant élevée dans la ville d'If-
pahan que Tamerlan s'étoit foumife, on vit auffi-
tôtcou'er des fleuves de fang Ce cruel defpote
avoit taxé chacun de fes régimens à lui apporter
un certa;n nombre de têtes perfanes. Des officiers
du divan étoient les contrôleurs & les dépofitaires
de ces têtes. Ces ordres parurent fi cruels.à des
tartares même, que quelques-uns s’avisèrent d'acheter,
des contrôleurs nommés, les têtes qui
leur manquoient pour faire le compte. Ils les por-
toient à leurs colonels, comme s'ils les euflent
coupées eux-mêmes. Ces têtes fe vendoient d'abord
fort cher j mais le maffacre ayant augmenté,
elles fe donnoient enfuite pour rien. On en compta
plus de foix-ante .& dix mille,.
Un fameux doéteur, nommé Ifmaël Kemal,
fut enveloppé dans ce maffacre. Son malheureux
fort confirma les perfans & les tartares dans l'opinion
où ils font, qu’aucun mortel ne peut ici-bas
fuir fa deftinée. Tamerlan 3 qui connoiffoit ce
docteur de réputation, avoit dit qu'on épargnât
fa perfonne & fa mai fon. Cet ordre ayant été fu
dans la ville, plufieurs habitans fe fervirent de ce
nom pour éviter la mort. Un colonel entr'autres
avo t déjà fauve la vie à deux habitans fous I3
fauve-garde de ce nom. Un troifième étant tombé
entre fes mains, & fe difant encore Ifmaël Kemal,
cet officier irrité, & le prenant pour un
impofieur, le maffacra : c'étoit cependant Ifmaël
Kemal lui-même. Tamerlan, à qui on rapporta
cet événement, y parut fenfible.
Tamerlan eut la générofité de déclarer un des
fils de Bajazet fultan, en lui diiant : « Reçois
1 héritage de ton pète 5 une ame royale fait conquérir
des royaumes, & les rendre».
Tamerlan avoit fu fixer la fortune à fon char
par une valeur intrépide qui lui avoit gagné l’ef-
timede fes fujers, & le rendoit redoutable à fis
ennemis. Le roi de Carifme, Ifoup Sophi, ayant
rompu l'alliance qu’il avoit folèmnellement jurée
à Tamerlan, il vit auffi-tôt fis états attaqués par
ce conquérant j mais défefpérant de pouvoir lui
réfifter, il lui avoit envoyé un héraut pour le défier
à |pj combat particulier. Il y avoit lieu de
croire qu un prince aufli puiflant que Tamerlan ne
voudroit pas commettre fa fortune au fort de ce
combat. Ifouph, par ce moyen, s'imaginoît que
l’honneur de ce défi lui refteroit tout entier fans
aucun rifque. 11 ne connoiffoit point l’intrépide
Tamerlan. Ce prince non feulement accepta le
défi , mais dans le moment même il fe fit armer,
& ordonna qu'on lui amenât fon cheval. Les
émirs fe jettèrent à genoux pour le détourner de
fon deflein : « Que reftera-r-il à faire à vos capitaines,
s’écrioient-ils, fi leur empereur fait l ’office
de foldat? » Mais vous, leur répliqua le valeureux
Kan, ignore^-vous qu'un général doit être
foldat dans l'occafion ? Il fauta aufli tôt fur fon
cheval. Leifeddin, un des généraux Je plus dans
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fa confidence, tranfporté de colère & de zèle ,
prit fon cheval par la bride pour l’arrêter. Dans
le moment, le fier monarque tirant fon cimeterre,
jura qu’il lui abattroit la tête s’ il ne le laiffoit aller.
Il fallut obéir. Tamerlan fe rendit jufqu’aux pieds
des murailles de la ville de Carifme j mais le
lâche Ifouph ne parut point, & préféra d’éxpo-
fer fa ville aux horreurs d’un fiège où il périt de
chagrin.
Dans l'excès de confiance que lui infpiroit la
rapidité dé fes victoires, il difoit fouvent que
comme il n’y avoit qu’un foleil dans le c iel, il n’y
avoit qu’un monarque fur la terre.
T A S S E , (TorquatoTafTo, ou ïe ) poète italien,
né le 11 mars IJ44 à Sorrento, dans le
royaume de Naples, mort à Rome le iy avril
Le Tajfe montra dès fon enfance un goût décidé
pour la poéfîe, & chercha à fe former des
protecteurs malgré les remontrances de fon père,
qui connoiffoit par expérience le danger qu’il y a
de cultiver la poéfîe, & de s'attacher aux grands.
A dix-fept ans il avoit compofé fon poème de
Renaud, & commença à vingt-deux fa Jérufalem
délivrée, le plus beau poème épique, & peut-être
le feul dont l'Italie puifle fe glorifier.
A l’âge de vingt fept ans, le Taffe fuivît en
France le cardinal d’E ft, & fut préfenté au roi
Charles "IX. C e prince le favorifa d'une bienveib- ;
lance particulière ; il lui accorda même une
grâce qu’il avoit refufée à tout autre. Un homme
s’étoit rendu coupable d’un crime digne de mort $
mais ce coupable étoit un poète de réputation. Le
Tajfe, autant en faveur des mufes, que par com-,
paffion.pçur le poète, alla demander fa grâce au
roi. Il fe rendit au Louvre j mais il apprit en arrivant
quc'le roi venoit d’ordonner que la fentence
fût exécutée en peu de jours, & qu’il avoit dé- I
claré là-deflus fa volonté. Cette déclaration d’un
prince qui ne revenoit guères de fes réfolutions,
n’étonna point le Tajfe. Il fe préfenta au roi avec
un vifage ouvert : « Sire, lui dit-il, je viens fup-
plier votre majefté de laifler périr par les loix un
malheureux qui a fait voir par fa chûte feanda-
leufe, que la fragilité humaine met à bout tous
les enfeignemens de la philofophie ». Le roi
frappé de cette réflexion du Tajfe, & de cette
manière de demander grâce, lui accorda la vie
du criminel. Cette anecdote n'eft rapportée que
par des hiftoriens italiens.
Le Tajfe avoit trente ans lorfqu'il publia fa Jé- i
rvfil cm délivrée 3 . & il étéît alors à la cour d’Al-
phonfe, duc de Ferrare, fon proteéïeur. Ce
poète, né avec un coeur fenfible, conçut pour
Eléonore d’Eft, foeur du duc, une violente paf-
«;>n, que la princefle de fon côté ne voyoit
point avec indifférence, Le Tajfe3. fuiyant les’
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hiftoriens de fa v ie , avoit tout pour plaire, un
caractère doux & complaifant, une figure prévenante,
mille agrémens dans la converlation, une
imagination brillante, & beaucoup d’élévation
dans l’ame : il joignoit à tout cela ce qui ne fe
rencontre pas toujours dans un poète, une bravoure
extraordinaire. Ayant confié Je fecret de
fes amours à un ami qui le trahit, il fe battit contre
cet indiferet & contre trois de fes frères, qui
eurent allez peu de générofité pour fe mettre
quatre contre un. Mais le poète fe défendit avec
tant de valeur, qu’il blefla deux de fes adverfai-
rcs, & donna le temps d’arriver à ceux qui accou-
roient pour les féparer.
Cependant le duc, inftruit du fujet de cette
querelle, & offenfé de ce qu’on eût oié lever les
yeux fur fa foeur, fit arrêter ie Tajfe3 dont le
relie de la vie ne fut plus qu’ un tillu d’amertumes.
Il fouffrit l’exil, la prilon, la plus extrême
pauvreté, la faim même. Ces mauvais traitemens
& fa folle paflion, joints aux critiques outrées
que lui fufeitèrent les rivaux de fa gloire, altérèrent
fa fanté. Ils le jettèrent dans une mélancolie
qui, pendant plufieurs années, fit regarder comme
infenfé un homme qui s’étoit élevé par la
force de fon génie au-deflus de fes contemporains.
„Enfin, au bout de vingt années, l’envie fut
laffe de le perfécuter j fon mérite furmonta tout.
On lui offrit des honneurs & de la fortune. C lément
VII voulant honorer l'auteur de la Jérufalem
délivrée3 d une maniéré particulière, le fit appel-
ler a Rome. Le pape avoit réfolu dans une congrégation
de cardinaux de lui donner la couronne
de laurier & les honneurs du triomphe» cérémonie
très-férieufe & très-recherchée alors en
Italie. Les deux cardinaux Aldobrandins, neveux
du pape, qui fe faifoient une gloire d'admirer &
d aimer le Tajfe, allèrent avec un grand nombre
de prélats^ & de perfonnes de toutes conditions le
recevoir à un mille de Rome. Il fut conduit à
1 audience du pape. Je défire, lui dit le pontife,
que vous honorie£ la couronne de laurier qui a juf-
quici honoré tous ceux qui l'ont portée. Le couronnement
devoit fe faire au Capitole. Les deux cardinaux
neveux fe chargèrent de l’appareil. Le
triomphe du Tajfe alloit être complet ; mais le
poète, qui avoit été malheureux toute fa v ie ,
tomba dans une langueur mortelle au moment de
ces preparatifs, & mourut la veille du jour def-
tine à la cérémonie, comme fi la fortune eût
voulu fe jouer de lui jufqu’à la fin de fes jours.
L auteur des obfervations fur l'Italie, rapporte
un fait affez fingulier , & qui prouve que la providence
fait mêler quelques confolations à l’amertume
dont la jalon fie contemporaine empoi-
fonne fouvent la vie des hommes illuftresl Les
montagnes, aux environs de Gayette, étoient du