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& fes domeftiques , voyant arriver la jument fans
leur maître, furent effrayés'; ils croyoient .qu’il
lui étoit arrivé quelque malheur. Ils-courent auflî-
tôt le chercher, & le trouvent au milieu des
épines, où il s’étoit déchiré tout le corps. L’auteur
du conte finit par ce proverbe : « Il ne faut
pas toujours dire ce que l'on penfe ». Ordéne de
Chevalerie.
L'invalide.
Un vieux baron , lire de Beaumanoir,
Devenu borgne au métier de la guerre,
Par bienféance avoit un oe il de verre >
Qu’à fon coucher un page alloit le fo ir , .
Sur une alliette , humblement recevoir.
Or, une fois que le p age, peut-être
Malade é to it, peut-être é to it abfcnt,
Un valet neuf, mal inftruit, innocent,
F u t, en fon lieu , chargé de comparoître.
Le bon vieillard, fans faire de façon,
Tout comme au page, à ce nouveau garçon
Livre fon oe i l , puis dit fa patenôtre.
Point cependant le valet ne s’en va.
Hé! dit lé maître , am i, qu’attends-tu là?
3’attends, monfieur, que vous me donniez l’autre.
Le maître & fes efclaves.
Au téms jadis fut un marchand romain,
Homme n a ïf, qui, fur la mer Egée,
Surpris un jour d’un ouragan foudain,
Faillit à voir fa barque fubmergée.
Dans- ce p éril, à tout événement,
I l voulut faire un mot de teftament ;
Et comme alors, effrayés de l’orage,
Autour de lui fes efclaves trembloient,
Levoient au ciel les mains, fe défoloient,
Pour les remettre : « Amis, dit i l , courage ;
» Malgré le v en t, contre nous irr ité,
» Raflurez-vous avant notre naufrage ,
» Je vous promets à tous la liberté ». |
C O N T E U R . Tout conteur fe répète , voilàf
le grand inconvénient du métier. Un conteur de
profeffion> auquel on reprochoit ce défaut, répondit
affez naïvement ; « Il faut bien que vous
» me permettiez de vous redire de tems en tems
» mes petits contes, fans cela je les oublierais ».
Quelqu’un vantoit beaucoup une perforine qui
contoit très bien, qui jouo.it même fes contes ; il
difoit que c’étoit un homme très-bon à voir.
Pour un jou r, ajouta quelqu’un, & à fuir en-
fuite.
C O N T I ( François-Louis Prince d e ) , mort en
1709.
Ce prince fut élu roi de Pologne en 16 9 7, &
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aufli-tôt détrôné par -fon rival l’éleifteur de Saxe.
Il devint par fon efprit, par fes lumières & fon
cara&ère, les délices du monde, de la cour, des
armées , du peuple. Louis X IV étoit, à quelques
égards, envieux de fon mérite, & quoique cep.ince
eût les plus grands talens pour la guerre, Louis X IV
affeéta de ne lé, nommer pour commander l’armée
de Flandres, que lorfqu’il vit fa fanté défefpéiée.
Sa mo:t fut regardée comme une ca amité publique.
Un courtifan qui étoit mal àvec le prince de
Conti, l’accufoit d'avoir parlé a i roi contre lui ;
ce prince répondit, » fi j’ étois allez heureux pour
» avoir fouvent des audiences particulières de
» fa Majefté , mes. amis s’en appertevroient plu-
» tôt que mes ennemis
CO N T IN E N C E . Armand de Maillé deBrezé,
amiral de France, reçut à Paris la vifite d’une
dame de condition du Poitou : elle avoit quitté fa
province , pour venir pourfuivre un procès. L’argent
lui manquoit ; la partie adverfe étoit puiffan-
te ; elle expofa ingénuement fa fituatiôn à M. de
Brezé : les malheureux trouvent toujours des protecteurs
dans les âmes vraiment grandes. Sur lè
champ, il lui donna trois cents louis ; un de fes
cochers eut ordre de fe rendre tous les matins à
la porte de cétte dame. Lui-même voulut voir &
foiliciter fes juges ; elle gagna fon procès. Pénétrée
de reconnoiffance, & ne fachant comment la
lui témoigner, elle alla le remercier, accompagnée
de fa fille, qui étoit jeune & belle. » Monfieur ,
» lui dit-elle, vos fervices font bien au-deffus de
» tout ce que je pourrois faire pour les reconnoî-
» tre : il n’ y a que ma fille qui puiffe m’acquitter
» auprès de vous «.
L’amiral fut révolté d’un pareil difcours. Une
mere oublioit ce qu’elle devoit à la vertu & à
elle-même ; il s’en foüvint : c ’étoit une de ces
âmes qui fait le bien pour le piaifîr de le faire, &
à qui un aCte de vertu coûte moins qu’un crime
aux autres. Il écarte la demoifelle vers une fenêtre
, & lui parlant avec furprife de ce qu’ il venoit
d’entendre, il lui infinua que fon innocence n’étoit
point en fureté auprès d’une mère capable de
s’oublier à ce point. La jeune perfonne laifie collier
des larmes , & lui avoua que depuis quelque
temps, elle penfoit à être religieufe. L’amiral fe
défia d’ abord de fon deffein ; mais voyant'qu’elle
y étoit bien affermie, il la conduifit fur l’heure
dans un monaftère , qu’elle lui avoit indiqué , &
paya d’avance tout ce qu’il falloir pour la penfion
de fon noviciat; Ce ne fut point affez ; toujours
généreux, toujours digne- de fa vertu , quelques
jours avant fa profeffion, il fit remettre à la fupé-
rieure huit mille livres , dont il voulut que fad e
fut paffé au nom de la demoifejle, fans que le
j lien y parût. IL eft à propos d’obferver que l ’amiral
étoit très-jeune ;• il n’avoit que vingt-fept ans,
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quand il fut tué d’un coup de canon au fiége d’Or-
bitell'o, le 14 juin 1646.
Spurina, jeune homme Romain , extrêmement
beau, voyant que plufieurs femmes étoient paf-
fionnées pour lui, ce qui le rendoit odieux & fuf-
peéi aux maiis , fe-défigura entièrement le vifage,
préférant, par cette difformité, de prouver^
fa continence,'plutôt que de tenter par fa beauté
la paffion de quelques femmes..
f. CONTRADICTION. La contradiction.eft principal
-.‘ment infüpportablè à ceux qui parlent par
humeur & fans principes. Ce ferait même fou-
vent un cruel moyen de fe venger d’eux , que de
les contredire. Un curé donnant dons un rigorifme
exceflit, lbutenoit que les feftins des noces étoient
de l’invention du.diable. Quelqu’un lui objeda là-
deflus que Jefus-Çhriil y avoit pourtant affilié,
& qu’il avoit même daigné y faire fon premier
miracle, pour prolonger- la gaieté du ftffin. Le
curé , un peu embarraffé , répondit en grondant,
ce nejl-pas ce qu-il a fait.de mieux.
CONTREBANDIERS. Un homme imagina un
laifant moyen de faire entrer du tabac en contre
ande. Il arrangea plufieurs rouleaux , qu’il attacha
de maniéré qu’ils avoient la forme extérieure
d’un homme. Il habilla ce fantôme ; rien n’ÿ
manquoit, jufte- au-corps , vefte , culotte , bas ,
fouliers ; je vifage & les mains étoient de cire qui
imitoient parfaitement le naturel : il avoit une perruque
& un chapeau. Deux grands laquais 5 qui
avoient de belles livrées, le portoient comme un
paralytique fans mouvement qu’on ramenoit chez
lui, & qui venoit tout-à-coup d’être faifi d’un
mal extraordinaire. Ils pafferent ainfi cet homme-là
à la barbe des commis, fans qu’ilsfoupçonnaffent
la fraude.
Des contrebandiers firent choix d’un voiturier
qui avoit l’air ingénu , mais qui étoit madré dans
le fond , pour paffer leurs marchand!fes ; cet
homme conduifoit tranquillement fa charrette,
chargée de plufieurs coffres où la clef étoit à la
ferrure ; fur ces coffres on avoit mis des matelats,
des lits & autres meubles.
Le voiturier, approchant de-Paris , fut d'abord
arrêté à la barrière par les commis, qui lui demandèrent,
s’il n’avoit point de contrebande dans fa
voiture : » Voyez, Meffieurs , dit-il, d’un air in-
09 génu , je ne cherche pas à vous tromper«. Les
commis trouvèrent dans les coffres des étoffes 'de
perfe & d’indiennes, qui étoient de la contrebande
i ils virent que le voiturier n’étoit point
étonné ; ils. le .curent dans la bonne f;i, 8c fe
félicitèrent cependant de leur piifc. Ils demandèrent
où il alloit conduire fa voiture ? Il leur nomma
une rue dans le fauxbourg faint Germain, &
un nom en l’air qu’il donna au maître prétendu.
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Il faut d’abord, lui dit l’un des commis, conduire
la voiture à la douane , & ils firent efeorter
la charrette par deux d’entre eux. Le voiturier
feignant de ne rien comprendre à tout cela, partit
avec l’efcorte. Quand on eut perdu de vue le bureau
des commis, voilà fix foldats aux Gardes qui
parurent ; ils s’approchent des commis, les regardant
au vifage, & tout d’un coup feignant de les
reconnoître pour deferteurs : » Ah '! dirent ils,
» voilà nos gaillards, que nous cherchons depuis
» fi long-temps, Meffieurs les déferteurs > vous
» ne nous échapperez point «. En difant cela , ils
fe faifirent des deux commis, malgré leurs pro-
teftations , les conduifirent à la prifon de- fa*nt
Martin, où ils les firent écrouer comme défertëurs.
Pendant ce temps-là , le voiturier eut le temps de
conduire la voiture au lieu de fa deffination, &
il entra ainfi dans Paris pour plus de cent mille
livres de marchand!fes melëes avec d’autres.
CONVERSATION. Il y a des fots qui brillent
dans la converfajion par un certain clinquant, une
audace à s’exprimer & à changer de fujets que les
gens d’efprit ne poffèdent pas , parce que l’étude
& la réflexion rendent ces derniers circonfpe&s.
C’eft ce qui fait que dans' la fociéce , les, uns &
les autres paffent quelquefois, pour ce qu’ils ne
font pas.
Ce ne font pas même toujours les auteurs qui
briffent le pltiis dans la converfatioq.. Le talent de
parler fur le champ, demande un homme qui penfe
promptement & nettement. Or combien de beaux-
efprits qui ne peuvent développer leurs penfees
que par la méditation ? M.<Wicole , l’un des premiers
écrivains du fièçle paffé, étoit de ce nombre
; il fatiguoit même ceux qui l’écoutoient :
Auffi , difoit-il, au fujet de M. deTréville, qui
parloit facilement : il me bat dans ta chambre ,
mais il nefi pas plutôt au bas de lefcalicr que je la i
confondu.
Duclos n’écrivoit jamais fans s’être auparavant
entretenu plufieurs fois avec fes amis fur la madriers
qu’il avoit deffein de traiter ; & cela non pas
pour mendier des idées , mais pour en faire naître
chez lui par la chaleur de l’imagination qu’il fe
procüroit en parlant : » Avec ce fecours, difoit-iî,
» jetrouve en un moment ce qui m’auroit coûté
"'V*' des journées entières dans mon cabinet, & que
» peut être même je n’aurois pu trouver.' Je parle-
” rois à mon, laquais, faute d’un auditeur plus
» compétent : cela anime toujours plus, que de
» penfer tout feul «.
M. Duclos n’étant encore que de l’académie
des belles-lettres , & n’ayant donné que les con-
feflians , & Madame de Luz, qu’ii n’avoit pas
même avouées , eut une affez longue converfation
avec M. de Fonteneîle fur un point de littérature.
Quand M. Duclos eut ceffé de parler, M. de