
parce qu’il avoit plulïeurs fois éprouvé fur fon
théâtre que ces endroits ne réuflîffoient1 point.
Un jour Molière, pour éprouver le goût de cette
fervante, lui lut quelques fcènés d'une comédie
qu’il difoit être de lui , mais qui étoit de Brécou
r t, comédien. La fervante ne prit point le
change, & après en avoir oui quelques mots ,
elle foutint que fon maître n'avoit pas fait cette
pièce.
Racine regarda toujours Molière comme un ,
homme unique} & le roi lui demandant un jour
quel étoit le premier des grands écrivains qui
avoient hororé la France pendant fon règne, il
lui nomma Molière. Je ne le. croyois pas, répondit
le roij mais vous vous y connoifllz mieux que
friôi.
Molière e'toit fort ami du célèbre avocat Fur-
c ro i, homme redoutable par la capacité & par
la grande étendue de fes poumons, ils eurent
une difpute à table en préfence de Defpréaux.
Molière fe tourna du-côté du fatyrique, & dit :
Qu‘ejl-ce que la raifort avec un filet de voix , contre
une gueule comme cela ?
J ’étôis à la première repréfentation des Pré-
cieufes ridicules de Molière, dit Ménage , & tout
l ’hôtel de Rambouillet s'y trouva. La pièce fut
jouée avec un applaudiffement général. Au fortir
de la comédie, prenant M. Chapelain par la
main : monfieur , lui dis - je , nous approuvions
vous & moi toutes les fottifes qui viennent d'être
critiquées lî finement & avec tant de bon fens :
mais croyez-moi, pour me fervir de ce que faint
Remi dit à Clovis. I l nous faudra brûler ce que
nous avons adoré, & adorer ce que nous avons -
brûlé.
; Un jour que Ton repréfentoit cette pièce, unr
viellard s’écria du milieu du parterre : Courage,
courage , Molière, voila la bonne comédie.
Un bon bourgeois de Paris vivant bien noblement,
s'imagina que Molière l'a voit pris pour l'original
de Ion Cocu imaginaire. U crut devoir en
être offenfé , & il en marqua fon reffentiment à
un de fes amis. Comment ! lui dit-il, un petit
comédien aura l'audace de mettre impunément
fur le théâtre un homme de ma forte. Je me
plaindrai, ajouta-t-il : en bonne police, on doit
réprimer l'infolence de ces gens-la. Ce font les.
pelles d'une ville : iis obfervent tout pour le
tourner en ridicule. L'ami qui étoit homme de
bon fens, lui dit : E h i monfièur, fi Molière a )
eu .intention fur vous en faifant fon Cocu imaginaire
, de quoi vous plaignez-vous} il vous a pris
du beau c ô té , & vous feriez bienheureux d’eû
êfre q' itte pour l’imagination. Le bourgeois ,
quoique peu fatisfait de ia réponfe de fon ami,
ne lâilfa pas d'y faire quelque réflexion, & ne
fetourna plus au Cocu imaginaire.
Le r o i, en fortant de la première repréfenta-
tion des Fâcheux, dit à Molière en voyant paflfer
le comte de Soyecourt., mfupportable chafièur ;
voilà un. grand orig’nal que tu n’a pas encore
copié , ç’en fur allez. La fcène du fâcheux chaf-
feur fut faite & apprife en moins de vingt-quatre
heures} & comme Molière n’entendoit rien au
jargon de la*phaffe, il pria le comte de Soyecourt
lui même de lui indiquer les termes dont il de-
voit fe feavir.
Le fameux comte de Grammont a fourni à
Molière l’idée de fon mariage forcé. Ce feigneur»
pendant fon féjour à la cour d’Angleterre , avoit
fort aimé mademoifelle Harmlron. Leurs amours
même avoient fait du-bruit, & il repalfoit en
France fans avoir conclu avec elle. Les deux frères
de la demoifelle le joignirent à Douvres ,
dans le deffein de faire avec lui le coup de pif-
tolet. Du plus' loin qu'ils l’apperçurent, ils lui
crièrent : comte de Grammont, n’avez-vous rien
oublié à Londres? Pardonnez-moi', répondit le
comte qui devinoit leur intention} j'ai oublié
d’époufer votre foeur, & j'y retourne avec vous
pour finir cette affaire.
L ’amour médecin eft le premier ouvrage dans
lequel Molière ait attaqué les médecins. Il logeoit
chez un médecin , dont la femme extrêmement
avare , dit à Fépoufe de Molière, qu'elle vou*
loit augmenter le loyer de la portion de mai fon
qu’elle oecupoit. Celle-ci ne daigna pas feulement
l’écouter} & fon appartement fut loué à
un autre. Molière époufa en cttte occafion la paf*
lion de fa femme , & attaqua le médecin. Depuis
ce temps-là , il n'a ceffé de tourner en ridicule la
médecine. Il définilfoit un médecin : un homme
que l ’on paie pour conter des fariboles dans la
chambre d'un malade, jufqu'à ce que la nature
l’ait guéri ou que les remèdes l'aient tué.
Tout le monde fait que le Mifantrope fut d'abord
mal reçu, & qu’il ne fe foutînt au théâtre
qu'à la fayeur du Médecin malgré lui. On rapporte
un fait fingülier qui peut avoir contribué
à la difgrace delà meilleure comédie qui ait été
jamais faite. A la première repréfentation, après
la leéiure du fonnet d'Oronte, le parterre applaudit
: Alcefte démontre, dans la fuite de la
fcène, que les penfées & les vers de ce fonnet
étoient
De ces Colifichets dont le bon fens murmure.
Le public confus d’avoir pris le change s’indif-
pofa contre la pièce.
Lorfque Molière donna fon Mifantrope, il étoit
broui'lé avec Racine. UnfLtteur crut faire p'aifir
au dernier, après la première.repréfentation , en
lui difant, la pièce eft tombée ; rien n’eft fi fri id !
Vous pouvez m’eq croire j j’y étois. Vous y éticzJ
reprit Racine, & moi je n’^ étois pas : cependant
je n’ çn croirai rien, parce qu’il eft impof-
lible que Molière ait fait une mauvaife pièce > retournez
y & examinez-la. mieux.
On fait que les ennemis de Molière voulurent
perfuader au duc de Montauzier, fameux par fa
vertu lâuvage, que c'étoit lui que Molière jouoit
dans le Mifantrope. Le duc de Montauzier alla
voir la pièce & dit en fortant, qu’i/ auroit bien
voulu rejfembler au Mifantrope de Molière.
Il y a une anecdocte au fujet de la chanfon
qu'i/f font doux, bouteille ma mie, &c. que chante
Sganarelle, dans le médecin malgré lui. M. Rofe,
de l'académie françoife , & fecrétaire du cabinet,
fit des paroles latines (ur cet air , d’abord pour
fe divertir, & enfuite pour faire une petite pièce
à Molière , à qui il reprocha, chez le duc de
Montauzier , d’être plagiaire, ce qui donna lieu
à une plaifante difpute. M. Rofe foutint toujours
enchantant lés paroles latines qu'il avoit faites,
que Molière les avoit traduites en françois d'une
épigramme latine imitée de Ÿ anthologie ; voici ces ;
paroles.
Quam dulces !
Amphora ameena !
Quam dulces
Sunt tua vocesî
Dum fundis merumin calices,
Utinam femper ejfes plena.
A h J ah l cara mea lagena,
Vacua cur jaces ?
La première repréfentation du Tartuffe fit un
bruit étonnant dans Paris : les dévots pouffèrent
les hauts cris, & le parlement défendit de jouer
cette comédie. On étoit aflfemblé pour la fécondé
repréfentation , lorfque la défenfe arriva. Mef-.
fieurs, dit 1Molière , en s'adrelfant à l'affemblée,
nous comptions aujourd’hui avoir l'honneur de
vous donner le Ta-tuff.. ; mais M. le premierpré-
fident ne veut pas qu on le joue.
• Ce même mot fut tourné d’une manière un
peu différente par .des comédiens de province. Ils
étoient dans une ville dont l'évêque étoit mort,
depuis peu. Le fucceffeur, moins favorable au
fpe&acle, donna ordre que les comédiens partirent
avant fon entrée. Us jouèrent encore la
veille, & cofnme s'ils euffent dû jouer le lendemain,
celui qui annonça dit : meilleurs, vous
aurez demain le tartuffe.
Huit jours après que le Tartuffe eut été dé-,
fendu, on repréfenta à la cour une pièce intitulée
Scaramouche hermite, & le roi en fortant dit
au grand Condé : je voudiois bien favoir pourquoi
les gens qui fe feandalifent ILfort de la comédie
de Molière , ne difent rien de celle de Scaramouche
: à quoi lé prince répondit : la raifon
de cela eft » que la comédie de Scaramouche joue
le ciel & la religion, dont ces meflieurs-là ne fe
foucient point ; mais celle de Molière les joue
eux-mêmes, ce qu'ils ne peuvent fouffrir.
Lorfque Molière fit jouer fon Tartuffe , on lui
demanda de quoi il s’avifoit'de faire des fermons#
Pourquoi fera-t-il permis, réportdit-ii, au père
Maiabourg de (aire des comédies en chaire ; &
qu'il ne me fera pas permis dé faire des fermons
fur le théâtre ?
Un jour qu'on repréfentoit le Tartuffe, Cham*
mêlé qui n'étoit point encore dans la troupe , fut
voir Molière dans & loge, qui étoit proche’ du
théâtre. Comme ils en étoient aux complimens,
Molière s'écria. : Ah ! chien ! ah ! bourreau , &
fe frappoit la tête comme un poffédé. Champ-
mêlé crut qu'il tomboit de quelque mal, 8e il
étoit fort embarraffé. Mais Molière qui s’apperçut.
de fôn étonnement lui dit : N e foyez pas furpris
de mon emportement ; je viens d’entendre un acteur
déclamer’ fauffement & pitoyablement quatre
vers de ma pièce : & je ne faurois voir maltraiter
mes enfans de cette force-là, fans fouffrir comme
un damné.
Madame Dacier qui a fait honneur à fo a fexe
par fon érudition, & qui lui en eût fait davantage,
fi avec la fcience des commentateurs, elle
n’en eût pas eu l’efprit, fit une diffeitation pour
■ prouver que l’Amphitrion de Plaute étoit fort
au-deffus du moderne ; mais ayant ouï dire que
Molière vouloit faire une comédie des femmes
favantes, elle fupprima fa diffeitation.
Lorfque Molière fe préparoit à donner fon
Georees-Dandin. un de fes amis lui fit entendre
qu’il y à voit dans le monde un Dandin, qui
pourroit fe reconnoître dans la pièce, & qui
étoit en état par fa famille , non-feulement de
la décrier , mais encore de le deffervi’r dans le
monde. Vous avez raifon, dit Molière à fon
ami} mais je fais un moyen fûr de me concilier
l'homme dont vous parlez : J’irai lui lire ma
pièce. Au fpeétacle, où il étoit affidu , Molière
lui demanda une de fes heures perdues pour lui
faire une leéhire. L'homme en queftion fe trouva
fi honoré de ce compliment, que toutes affaires
ceffantes, il dornia parole pour le lendemain,
& il courut tôut Paris pour tirer vanité de
la leéhire de cette pièce. Molière , difoit - il à
tout le monde , me lit ce foir une comédie,
voulez-vous en être. Molière trouva une nom-.
breufe affemblée & fon homme qui préfîdoir#
La pièce fut trouvée excellente } & lorfqu'elle fut
jouée > perfonne ne la faifoit mieux valoir que
celui qui auroit pu s'en fâcher } une partie des
fcènes que Molière avoit traitées dans fa pièce,
lui étant arrivées. Ce fecrct de faire psffer fur le
théâtre des traits un peu hardis, a été trouvé fi
bon , que plufieurs auteurs l’ont mis en ufage depuis
avec fuccès.
S f f f z