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toutes «es pratiques étoient annoblies par les
vertus fohdes & jamais démenties qui formèrent
fon caractère.
Louis, dès fon plus bas âge, témoigna le plus
grand attachement pour la reine Blanche. Et
quelle reconnoifiance, en effet , ne devoir point
avoir ce prince pour une mère qui en avoit
rempli à fon égard tous les devoirs avec les plus
tendres follicitudes ? Car l’hiftoire attelle que
cette reine veilla non-feulement à Téducation de
, fes enfans 5 mais qu’elle nourrit de fon propre lait
fon fils aîné. Elle s’acquitta même de ce facré
devoir avec un foin & une tendreffe qu’elle portoit
jufqu’ à la jaioufie, ne voulant pas que le petit
prince prît un autre lait que le fien. Ayant un jour
été attaqué d’une fièvre qui dura quelque temps.,
une dame de la cour , qui, à fon exemple, nour-
riffoit auffi fon fils, donna fa mammeile à Louis 3
qui la faifit avidement. Blanche, revenue de fon
accès, demanda le prince, & lui préfenta le fein>
mais, furprife qu’il le refufât, elle en foupçonna
la caufe , & demanda fi on avoit donné à teter
à fon fils.' Celle qui lui avoit rendu ce petit
office, s’étant nommée, Blanche, au Heu de la
remercier, la regarda avec dédain, mit le doigt
dans la bouche du petit prince, & lui fit rejetter
le lait qu’il avoit pris. Comme cette aétion un
peu violente étonnoit ceux qui fe^ trouvoient
préfens : » Eh quoi 1 leur dit-elle , pour fe
» juftifier, prétendez.-vous que je fouffre qu’on
» .m’ôte le titre de mère, que je tiens de Dieu &
» de la nature » ?
Lorfque Louis fut en état de recevoir fes leçons,
elle lui répétpit fouvent ces paroles : « Vous
» favez, mon fils , que j’ai pour vous toute la
9 tendreffe d’une mère ; j’ aimerois mieux cepen-
» dant vous voir mort, que fouillé d’un péché
9 mortel »,
Blanche eft la première princeffe qui ait réuni
en 1 116 , la qualité de tutrice & de régente. Après
être parvenue à foumettre les barons & les petits
princes continuellement en guerre entr’eux , &
qui ne fe réuniffoient que pour bouleverfer l’état,
elle maria fon fils, en 1134 , avec Marguerite,
fille aînée de Raimond, comte de Provence5 mais
Blanche , jaloufe toujours à l’excès de Faffeéfion
de fon fils, voyoit, avec une efpèce de chagrin,
le vif empreffement que le jeune prince avoit
pour fa nouvelle époufe. L ’impérieufe régente
lui avoit même défendu de voir , fans fa permifi-
flion , cette époufe chérie. Si la cour voyageoit,
elle les faifoit prefque toujours loger Séparément.
Auffi la jeune reine n’aimoit pas beaucoup fa
belle-mère. II arriva que la cour étant à Pon-
toife » Louis eut un appartement au - deffus de
celui de la princeffe : il n’ofoit cependant aller
chez elle , fans prendre de grandes précautions
montré la furprife. Il ordonna à fes huiffiers de
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faite, lorfqu*iIs verroient venir la reine, cîe battrd
les chiens , afin de les faire crier : alors il fe
cachoit dans quelque coin. Un jour qu’il tenoit
compagnie à fa femme, parce qu’elle étoit dan-
gereufement malade, on vint lui dire que fa mère
arrivoit. Son premier mouvement fut de s’e: foncer
dans la ruelle du lit : elle l’apperçnt néanmoins.
Vene^ vous en3 lui dit-elle en le prenant
par la main ; vous ne faites rien ici• Hélas ! s’écria
Marguerite défolée, ne me laijfereç-vous voirmon-
feigneur ni en la vie, ni en la mort ! Elle s’évanouit
à ces mots. Tourne monde la crut morte : le roi
le crut lui-même, & retourna fur le champ auprès
d’elle : fa préfence la fit revenir de fon éva-»
nouiffemenr.
Quelque refpeél qu’il eût pour les miniftres de
la religion , il favoit leur réfilter avec force quand
le.urs entreprises pouvoient intéreffer l’honneur de
fa couronne, ou le bien de fon royaume. L’é-,
vêque d’Auxerre , à la tête du clergé de France,
étoit venu trouver ce prince, & lui dire : « Sirè,
» tous les prélats que vous voyez i c i m ’ont
» chargé de vous’ représenter que la fo i chrétienne
■*> decheoit, & fera encore pis , fi vous n'y mette£
» remède. Ainfi, nous vous fuppbons tiès-hum-
» blement que vous ordonniez à tous les juges de
» votre royaume, qu’ils;contraignent tous ceux
» qui auront été pendant un an excommunies
» par fentence, de fe faire abfoudre , & de fatis-
» faire àl’églifè ». A quoi Louis répondit : « qu’il
» rendroit volontiers cette ordonnance ; mais qu’il
« entendoit que fes juges, avant de rien ffatuer,
» examinaffent la fentence qui prononçoit l’ex-
« communication, & euffent connoiffance fi elle
» étoît à bon droit donnée ou non ». Les prélats
, après s’être confultés f répliquèrent qu’ils
ne pouvoient permettre que les juges dVIglifé
fe foumiffent à cette formalité. <* Et moi, dit
» le monarque, jamais je ne fouffrirai que les
» eccléfiaftiques prennent connoiffance de ce qui
» appartient à ma juftiçe »,
Louis , perfuadé qu’un roi d oit, avant toutes
chofes, juftice à fes peuples, commença par réprimer
les abus qui s’étoient introduits dans les
différent tribunaux , & donnoit lui-même aux
juges J ’exemple de la plus grande affiduité au
travail. c< Souvent j’ai v u , dit Joinville, que le
» bon roi, après la meffe, alloit fe promener au
»» bois de Vincennes , s’affeyoit au pied d’un
» chêne, nous faifoit prendre place à côté de lu i,
» & donnoit audience à tous ceux qui avoient à
» lui parler, fans qu’aucun huiffier ou garde les
» empêchât de l’approcher ».
On le _yit auffi plufieurs fois venir au jardin
de Paris, vêtu d’une cotte de camelot, avec un
furcot de tiretaine fans manches, de par-deffus
un manteau de taffetas noir ; là il faifoit étendre
des
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des tapis pour $*affeoir avec Tes confeiilers, Sc
dépêchoit fon peuple diligemment. Deux fois par
femaine, il donnpir audience dans fa chambre.
Une dame de qualité fe préfenta un jour, &
lui demanda un entretien feeret. Elle avoit une
parure qui n’étoit point de fon âge , & moins
encore du goût que le monarque àvok pour la
fimplicité des habits. Il la fit néanmoins ehcre-r
dans fon cabinet, où il n’y avoit que fon con-
feffeur, & l’écouta auffi long-temps qu’elle voulut.
«: Madame, lui dit-il, j’aurai foin de votre
» affaire, fi de votre côté vous voulez avqir foin
« de yotre falut. On parloit autrefois de votre
« beauté} e!le0 eft paffée comme la fleur des
« champs. On, a beau faire, on ne la rappelle
» point : il faut fonger à la beauté de l’ame qui. ne
» finira poirff »...
On prend plaifir à entendre Joinville nous faire
l ’éloge de la bonté de Louis & de fa bien fai lance,
te Dès le temps de l’enfance, ce bon roi étoit
j> moult piteux des pauvres, & fouffreteuxj tous
» les jours jl donnoit à manger à grande foi fon
«* de paüvfes en fa chambré , & avoit il chacun
«.jour au "dîner & au fouper devant lui aucuns
»-vieux hommes debriffés ( efir.opjés ) , & -leur
»: faifoit donner telle viande comme ij mangeoit}
» & plufieurs fois avint que le roi les fer voit &
» mettoit la viande devant eux & la leur tran-
» choit, & leur dolnbit au départir de. fa propre
» main des deniers ». ;
Ge prince fe dérobeit fouvent à ifes'courtifans
p.our s’adonner à la pratique; de. ces oeuvres de
charité, & pour prier en filence. On en murmurait
quelquefois. «* Ah ! difoit-il, fi j’employoïs j
» les momens dont on me reproche l’inutilité au
» jeu, à la diffipation, on me le pardonneroit ».
G’eft qu’à là cour oh pardonne plus aifémeut des
fojbleffes que. des vertus....
Quand on fait réflexion aux grandes qualités;
de ce monarque, on gémit fur le malheur de la
France, qui fut long-temps privée de la préfence
de ce vertueux prince. Attaqué,, d’unemalad e
violente en. 1244, il crut entendre , dit-on, une
voix qui lui, ordonnoit de prendre la croix contre
les infidèles. Il fit dès lors- voeu de paffer dans la
Terre-Sainte pour la conquérir. Si Louis montra
un zèle -aveugle en abandonnant un royaume
confié à fes foins , pour alLr faire la guerre à
des peuples qui n’avoien.t rien à démêler avec la
France , pn doit en rejetter la faute moins fur
lui que fur fon fiècle. L?efprit de chevalerie qui
régnoit alors ne S'occupait que d^ntreprifes ha-
fardeufes. Lçs infidèles étoient, de plus, tegardés
comme l^s ennemis naturels des chrétiens^ & des
ennemis voués à la mort par le tout puiffant. La
philofophie , en étendant notre affeélioh fur tous
les hommes, ne nous avoit point encore appris à
' Eucyclopédiana,
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nous confidérer tous comme frères. C ’étoit d’ail-»
leurs la commune opinion des chrétiens, que la
Terre-Sainte, conquife autrefois par Godefroi de
Pouillon, étoit leur héritage , & qu’ils avoient
droit d’y entrer. Or , comme dans les tribunaux
çivils la plupart des affaires fe décidoient alors
par le combat judiciaire, les françois étoient portés
à croire qu’une fi belle & noble caufe devoit
être également décidée par le courage. Louis,
après s’être: préparé pendant quatre ans à cette
expédition., non moins illùftre que malheureufe,
s’embarqua, en 124S, à Aiguesmort.es avec fa
femme & fes trois frères. Prefque toute la chevalerie
de France l’accompagna. Arrivé à la rade de
Damiette, il s ’empara de cete ville en 1249. Son
jdeffein étoit de porter la guerre en Egypteî, pour
attaquer dans fon propre pays le fuLan, maître de
la Terre-Sainte. Il paffa le'Nil à la vue des infidèles,
remporta deux viéloires lur eux.., & fit des
prodiges de valeur à la journée, de Maffoure en
12 jo.. Mais des maladies çonjagieufes obligèrent
bientôt les François à reprendre le chemin de
D.imiette. Le roi même tomba malade, & on traita
d’une trêve avec .les infidèles. Ceux-ci deman-,
doien.tpour otage la perfonne-mê.m.e du roi. Geoffroy
de Sargiiies rompit la négociation, en pre-
teftànt avec une -noble colère que les fi anço s
n’auroient jamais cette lâcheté. « Ils ai.meroiert
» beaucoup mieux, difoit-il, que les farrafins les
» euffent tous tués,,qu’il leur fût reproché qu’ils
» euffent baillé leur roi en gage ».. Le mpnarqi e
vou.oit fe donner lui-même, pn otageV & IV n
eut mille peines a l’en?p.êcher de. fe façr;i,fipr pour
fes fujets- Mais on né put l’engager à fe rçn.dre .
par mer à Damiette où l’on fe prppofoit de faire
retraite. Il fe mit à l’arrière-garde, & apres avoir
couru mille dangers, il tomba avec fes frères ÔC
tous ceux qui le défendoienc, au pouvoir des
farrafins.
Lorfque Louis fut fait prifonnier, la reine ff a
époiffe étoit enceinte.. Elle apprit cette terrible
nouvelle trois jours avant fes couches. Elle.était
enfermée dans la viile de Damietre, abrégée par
les farrafins & à la veille de tomber entre leurs
mains. Il ne fe paffpit.point de ntyr, que troublée
par des Congés efFr-.-yans, elle ne cipt vpir
i les farrafins en furie attenter à la vie de fon .mari,
ou entier en foule dans fa ehambjçe pouf'l’enlever
elle-même : elle fe tourmentoit & s’agitoip
fans edfe. On fut obligé de faire veiller au pied
de fo.n lit un chevalier vieil & ancien f dit Joinville
, de l'âge de quatre-vingts- ans & plus , qui ,
tou:es les fois que ces trilles imaginations la r
jrévqilloient, . lui prenoit 1$ main, & lui difoit :
: Madame 3 je fulfiqveç vous, n'ayeç peur. Un jou r .
i ayant fait retirer tout le m,Onde, excepté ce brave
vieillard, elle fe jetta à fes genoux. « Jurez m o i,(
» lui dit-elle, que vous m’accorderez ce que je
« vais vous demander ». Il le lui promit avec
I il i