
Il plaida toute fa vie contre fes parens. Quel- |
qu’un le lui ayant reproché : « Avec qui donc
» voulez-vous que je plaide, lui répondit-il ? avec
« les turcs Bd les mofcovites, qui ne me difputent
» rien » ?
La licence de Malherbe étoit extrême lorfqu’ il
parloi: des femmes. Rien ne l’affligeoit davantage
dans fes derniers jours, que de n’avoir plus les
talens qui i’ avoient fait rechercher par elles dans
fa jeuneffe. « Vous faites bien le ga'ant St l’amou-
*> reux des belles dames, difoit-il un jour au duc
» de Bellegarde ; lifez-vous encore à livre ou-
» vert» ? M. de Bellegarde ayant fièrement fou-
tenu l'affirmative, Malherbe ajouta :« Parbleu ,
s» monfieur, j’aimerois mieux vous reffembler en-
» cela qu’en votre duché-pairie ».
Malherbe ne rëfpe&oït pas plus la religion que
les femmes. « Les honnêtes gens,. difoit-il' ordi-
» nairement, n'en ont point d’autre que celle de
» leur prince ». Lorftfue les pauvres lui deman-
doient l'aumône en l’aifurant qu’ils prièroient
Dieu pour lu i, il leur répondoit : « Je ne vous
» crois pas en grande faveur dans le ciel, puifque
» Dieu vous laide mourir de faim dans ce monde.
»s J'aimerois mieux, difoit-il à fes amis., que M. de
ss Luines ou quelqu’autre favori de la cour me
ss promît fa prote&ion ».
Lorfqu’on fe plaignoit à Malherbe du peu d'égard
qu’on avoit pour les poètes, & qu’on lui difoit
qu’il n’y avoit de récompenfes que pour les militaires
ou pour les financiers , il répondoit que
» c’étoit agir prudemment, & qu’ un bon poète
ss n’étoit pas plus utile à l’état qu'un bon joueur
s? de quilles ». On rapporte auffi que Boileau dit
un jour : « Avouez que j’ai deux talens auffi pré-
ss deux l’un que l’autre à un état & à la fociété;
» l’un de bien jouer aux quilles, l’autre de bien
ss faire des vers ss. Si ces anecdotes font vraies ,
elles font voir que Malherbe & Boileau confondaient
le poète & le verfifiçateur.
Il s’intéreflfa ju-fqu’à la fin de fa vie à la pureté
de la langue françoife dont il avoit fait une étude
particulière. One heure avant que de mourir,
après avoir été long-temps à l ’agonie, il fe réveilla
comme en furfaut pour reprendre fa garde d’un
mot qui n’étoit pas bien françois. à fon gré.
On ajoute que le confefTeur de Malherbe , dans
la vue de lui infpirer plus de ferveur & de réfî-
gnation , lui repréfentoit le bonheur de l’autre vie,
mais avec des expreffions baffes & peu correâes.
La defcription faite : « eh bien ! dit-il au malade ,
» vous fentez-vous un grand defîr de jouir de
ss ces plaifirs célelles ? Ah? monfieur, répondit
» Malherbe, ne m’en parlez pas davantage 5 votre
» mauvais ftyle m’en dégoûte ».
Le poète Gombault lui fit cette épitaphe 1
L’Apollon de nos jours, Malherbe ici repofe.
Il a vécu long-temps fans beaucoup de fupport.
En quel fiècle ? Paflant, je n'en dis autre chofe :
Il eft mort pauvre, & moi je vis comme il eft mort.
M A R C -AU R E LE , ( Antonîn ) furnommé le
Philosophe3 empereur romain, né l’an 121, mort
l’an i Sq.
Marc-Aurele fut proclamé empereur d’un con-
fentement unanime après la mort d’Antonin.
Quoique le trône eût été déféré à lui feul, il en
partagea les honneurs & le pouvoir avec fon frère
adoptif, auquel il-fit prendre le nom de Verus.
Les nouveaux empereurs gouvernèrent en commun
les provinces de l’empire, de même que deux
frères dans une condition privée régiroient une
fucceflion qu’ils pofféderoient par indivis. Marc-,
Aurele confeiva néanmoins fur Verus cette prééminence
que donne la fupériorité de l’âge & du
mérite. Ce prince auroit peut-être plus fait pour
- le bonheur des romains , fi moins magnanime
envers fon frère adoptif, il ne fe fût pas donné un
égal, qui par fon goût pour les plaifirs & fon
averfion pour les affaires, devenoit un obftacle
aux vues patriotiques du vertueux empereur.
Auffi, ce ne fut qu'à la mort de Verus, arrivée
après huit ans de règne , que Marc-Aurele
put fuiv-re, fans obftacle, fon zèle pour le bien
public.
Le principal objet de ce prince fut de faire
régner la lo i , qui feule peut affiner la liberté des
peuples. Il remit en vigueur l’autorité du corps
augufte qui en étoit le dépofitaire ; il affjftoit à
fes affemblées avec l’afliduité du moindre féna-
teur. Non*-feulemerit il délibéroit de toutes les
affaires avec les plus fages du fénat, mais encore
il déféroit à leur avis plutôt qu’au lien. « Il eft
» plus raifonnable , difoit - il , de fuivre l'opi-
» nion de plufieurs perfonnes éclairées, que de
» les obliger de fe foumettre à celle d’uirfeul
» homme ss.
Sa cïrconfpe&ion dans le choix des gouverneurs
de provinces & des magiftrats ne pouvoit
être portée plus loin. Il penfoit que n’étant pas
au pouvoir d'un prince de créer les hommes tels
qu’ il voudroit, il devoit du moins ne les employer
que fuivant les-talens qu’ils faifoient pa-
rôître.
Marc-Aurèle n’ ignoroit pas fur-tout qu’un
prince fe doit entièrement à fon peuple. La première
fois qu’ il créa un préfet du prétoire : « Je
» vous donne cette épée, lui dit-il, pour me de-
» fendre tant que je m'acquitterai fidèlement de
» mon devoir ; mais elle,doit fervii à me punir,
» fi j’oublie que ma fonction eft de faire le bon-
» heur des romains ».
C e même prince étant prêt de partir de Rome
pour porter la guerre en Scythie , demanda per-
rniffion au fénat de prendre de 1 argent dans 1 e-
pargne; « car, d i fo i t - i l r ie n ne m appartient
s, en propre, & la maifon même que j habite elt
ss à vous »s.
D ’après ces fentimens, il eft aifé de fe perfua-
der que Marc-Aurele fut toujours très-attentif à
ne point fouler fes peuples 5 & le premier moyen
qu’employa ce fage prince pour s'en difpenfer,
fut une prudente économie dans les finances de
l’état, qu'il évita d’épuifer par des largeffes in-
confidérées. 11 porta la fermeté fur ce point juf-
qu'à refufer, après une grande victoire-fur les
Marcomans, la gratification que demandoient les
foldats vainqueurs. « Tout ce qu’on vous donnera
, leur dit-il, au-de là de ce qui vous eft dû,
» îl faudra le tirer du fang de vos pères & de
» vos proches ss.
Capitolin, fon hiftorien , rapporte que dans
un befoin preffant, plutôt que de charger les
provinces de nouveaux impôts , il préféra de
vendre les meubles & les joyaux de fon palais.
Il mit également en vente les ftatues &c les tableaux
précieux qui ornoient fes appartemens,
fa vaiffelle d'or & d’argent, les pierreries que fes
prédécefleurs avoient amaflees à grands frais , &
jufqu’à la garde-robe de l'impératrice & aux étoffes
d'or & d’ argent quelle porto!t fur elle. Cette
vente dura deux mois, & elle fournit à Marc-
Aurele de quoi fournir aux dépenfes de la guerre.
Après la victoire, il déclara qu’il racheteroit tout
ce qu’il avoit été obligé de vendre, & qu’il rendroit
l’argent à ceux qui voudroient le recevoir ; mais il
laiffa fur ce point liberté entière.
Il voulut que les romains ne fe fiffent point un
plaifir barbare de voir répandre le fang. Il fi t
donner aux gladiateurs des fleurets au lieu d’épées
& d’armes tranchantes, afin qu’ils fe battiuent
comme les athlètes fans danger pour leur vie. Un
enfant qui danfoit fur la corde s’ etant tue en
tombant , Marc-Aurele ordonna que dans la
fuite on mit des matelats au-defious des cordes
fur lefquelles les voltigeurs faifoient leurs exercices
; & cette- réforme fe foutint. Du temps
de Dioclétien , l’ ufage fubiiftoit encore de tendre
des filets pour' empêcher les danfeurs de corde
de fe bleffer.
Une pefte générale ravagea l ’empire fous fon
îègoe. A ce fléau fi funefte fuccédèrent les trem-'
blemens.de terre, la famine, les inondations. Les
germains, les -quades, les marcomans _ prenant
©ccafion de ces calamités , firent une irruption
d a n s T em p i tMarc Aurele eut plufieurs guerres
à foutenir contre ces barbares. C e fut durant une
de ces guerres que fe trouvant à la tête de fon
armée, refferrée par les ennemis dans une forêt
de Bohême, & prêt à périr de fo if , il fe vic
foulagé dans le moment par une pluie abondante.
Cette pluie ayant rendu à fes troupes leur première
vigueur , les mit en état de combattre leurs
ennemis avec avantage. Les payens attribuèrent
cette vi&oire à leur Jupiter pluvieux , qui avoir
pris foin lui - même de défaitérer. les romains ;
Marc-Aurele crut la devoir principalement au
courage de la légion Mélitène, qui éteit chrétienne;
& ce prince défendit depuis qu'on mît
à exécution c-ontre les chrétiens les ordonnances
rendues par fes prédécefleurs.
Marc-Aurele, après avoir procuré la paix à fes
fujets par des victoires, employa fes momens de
tranquillité à réformer les lôix, & à en donner de
nouvelles en faveur des orphelins & des mineurs.
Il défarma la chicane, il fit des réglemens contre
le luxe, & mit un frein à la licence générale.
11 ne difoit, il n’écrivoit, il ne faifoit rien qui
ne fût pefe mûrement ; il penfoit qu’un prince
qui apporte de la négligence dans les petites
chofes , décrie fa conduite même dans les
grandes.
Le fénat & le peuple, pleins d’eftime & de re-
connoiffance pour leur bienfaiteur, le comptoient
déjà de fon vivant au nçmbre de leurs diéux pro-
tedteurs , & vonloieht lui ériger des temples &
des autels; mais Marc-Aurele refufa conftamment
ces honneurs. « La vertu feule, dit-il, égale les
» hommes aux dieux. Un roi jufte a l'univers
» pour Ion temple, & les gens de bien en font
» les prêtres & les miniftres ».
Marc-Aurele regàrdoit la vertu comme une
fauve - garde contre les difgraces , opinion que
l’expérience a fouvent démentie , mais qu’il eft
beau de voir adoptée par un prince. C e t empereur
étant à la tête de fes, armées , le bruit fe répandit
qu’ il étoit tombé malade. Un certain Avi-
dius Caffius crut le moment favorable de fe faire
déclarer empereur. Marc-Aurele marcha vc&ntre
lui ; mais dans le temps que ce prince faifoit fes
préparatifs, le rebelle fut tué par un centenier,
& fa tête envoyée à l’empereur. Ce prince refufa
delà voir & brûla toutes les lettres du rebelle,
afin de n’être pas obligé de punir ceux qui avoient
s trempé dans fa révolte. Il avoua même qu’on
l’avoit privé du’ plus .grand & du plus doux fruit
de fa vi&oire, en lui ôtant l’occafi.on de pardonner
à un homme qui l’avoit offenfé. Mais fi
» Avidius eût vaincu, liii dit-on, en auroit-il
» airifi ufé à votre égard » ? Avec la vie que je
mene, répondit Marc-Aurèle , & laprofejjton que
je fais i ‘honorer les dieux , je n ai pas à craindre
d’être vaincu. ‘
Parmi les.villes qui avoient embrafle le parti
de Caflius, la feule ville d’Antioche reffentit
quelques effets de la jufte co ère de Marc-
Aurêièi, Il lui ôta une partie de fes privilèges, &