
fenté d'après nature, on mit c.e tableau dans'la
cour de la mnfoa où demeurait Lebrun , afin
de le fàire fécher. Une bonne femme 6c fon âne
paflferent alors dans la rue ; l'âne n’eut pas plutôt
^pperçu le chardon du tableau, qu'il entre biuf-
cjuement dans la cour, renverle la femme qui
tâchoit de le retenir par fon licou , & , fins
deux garçons vigoureux, qui, à force de coups
de bâton , l'obligèrent à fe retirer, il auroit
mangé le chardon ; on peut dire qtC.il Vauroit
mangé y parce que le tableau étant nouvellement
fa it , il en auroit emporté toute la peinture avec
fa langue.
Une dame de la cour s’ étant fait peindre par
Lebrun , s’attira cette épigramme :
Life étoit couverte de fard,
Lorfque Lebrun fit fa peinture ;
Si bien qu’il n’imita que l’a r t,
Croyant imiter la nature.
On admire , dans l’églife des Carmélites à
Paris, un Crucifix de Lebrun., peint à h voûte,
fur un plan horizontal, & qui femb'e être dans
une ficuation perpendiculaire : les figures de la
Vierge êc de faint-Jean, qui l'accompagnent,
produifent la même illufion, au point de laifîer
quelques inühns les yeux dans l'erreur.
Dans fon tableau de la Conception, cet artifte ■
a repréfenté la Vierge d’une manière très-galante,
& qui furpaffe celle d.e tous Ls peintres. Une
gaze légère & tranfparente forme l'habillement
de Marie, en forte que l’on découvre tout fon
corps g nud.
’ .Un très-grand connoiffeur en peinture, examinant
le tableau , où Lebrun a repréfenté la Madeleine
au pied de la croix, dit aux perfonnès
qui admiroient avec lui l’expreffion de cette figure
: — « Voiis la voyez qui pleure, & c’eft
» tout ce que vous y remarquez 5 mais moi, je
M l’entends qui fe plaint ».
On peut dire que Louis X IV eft caufe que
Lebrun t s’eft furpaflé lui-méme dans fon excellent
tableau de la famille de Darius : l’àrtifté le fit à
Fontainebleau, & le toi, prenoit tous les jours,
un extrême piaifir à le voir peindre.
Un prélat italien, lorfqu’il paffoit devant ce
tableau de Lebrun y tenoit fes yeux attachés contre
terre, ou détournoit la tête, jufqu’ à ce qu’il
fût bien loin du chef-d'oeuvre qu’il çraignoit de
voir-
LE ÇON. Un jour que M .le duc de Bourgogne,
avoit battu fon valet de chambre, il s’arrêta à
confidérer les outils d’un menuilïer qui travailloit
dans fon appartement ; l’ouvrier infiruit par M.
de Fenelon, l’un de fes gouverneurs, dit brutalemeht
au prince de paffer fon chemin, &• de
le laiifer t r a v a d l t r ; le p r i n c e f e fâcha, le m e -
nuifier redoubla de b r u t a l i t é , 6c s'emportant
jufqu à la menace, lui dit; retirez-vous, .mon
prince y quand je fuis en fureur y je ne cannois per-
fonne. Le prince courut dire à M . de F c n e i o n
qu’on avoit introduit chez lui le plus méchant
des hommes de la terre. « c’eft un bien bon
» ouvrier, dit froidement F e n e l o n 5 fon unique
*> défaut c ’eft de fe livrer à la cclere. Le prince
» infitla fur la méchanceté de cet homme. Ecoutez,
» lui dit Fenelon, vous l ’ a p p e l e z méchant, parce
” qu’il vous a menacé dans un moment où
» vous le détournez de fun travail; TOifirnent
» nommeriez-vous un prince qui battroit, fon
M valet de c h a m b r é , dans le temps même que
» ceiui-d lui rendrait des fervices ? >»
L E N C L O S , (Anne ou Ninon de) née en
161) , morte en iy o p
Mademoife-le de Lenclos , profeffa ouvertement
la galanterie, 6c fut néanmoins confidér.ée
6c recherchée-des femmes les plus aimables & les’
plus reîpeâabies de fon temps. Ce privilège lïr>
güiier qu’ elle dut aux chàimes de fen efprit 6c
à l ’honnêteté de fes procédés, l'a mife au rang
des perfonnes célèbres de fon fiécle. Mademoi-
felle de Lenclos ou Ninon, comme on l’appeloit,
fans avoir l’éclat de la beauté, en poffédoit tous
les charmes.
M. de S. Evremond a fait l’éloge du cara&ère
de Ninon dans ces quatre vers,'que l’on a mis
depuis au bas de fon portrait :
L’indulgente & fage nature
A formé l’ame de Ninon,
De la volupté d’Epicure
E t de la vertu de Caton.
« J ’ai réfléchi, difoit Ninon, dès mon en-
» fance, fur lè partage inégal des qualités qu’ on
» exige dans les hommes 6c dans les femmes :
» je vis qu’on nous avoit chargées de ce qu’il
» y avoir de plus frivole, & que. les hommes
» s’étoient réfervé le droit aux qualités efîen-
» tielles : dès ,ce moment je me fis homme ?»..
Mais n’ en déplaifë à Ninon , ce qui la flattoit
le plus dans cette efpèce dé métamorphofe, c ’eft ►
une forte d’indépendance & une liberté de penfer
, & d’agir , qui la mettoient au-deffus de la contrainte
de fon fexe, & qu’elle conferva jufqu’à
la fin de fes jours.,
Elle difoit qu’elle n’avoit jamais fait a Dieu
qu’une prière : « Mon Dieu, faites dé moi un
» honnête homme, & n’en faites jamais une
» honnête, femme.
On a rapporté de cette moderne Leontium un
mot affez philofbphique. Elle n’a-Yoit alors que
l i ans, & trouvait accablée par une maladie
ÿiguë, qui la réciuifoie à [’ extrémité. Ses amis pieu-
roient de la voir mourir fi jeune. Hélas, dit-elle,
je ne laijfe du monde que des mourons.
Cette célèbre fille né regaFdoït l’amour, que
comme une illufion des ftns, un b e foin ,, un fe.i-
timent aveugle, qui ne fuppofe aucun, mérite
dans l’objet qui le fait naître, ni ne l’engage à
aucune reconnôilTance; en un mot un.caprice,
dont la durée ne dépend pas de nous, & qui eft
fujet au dégoÛE 6c au repentir. Tant que fon goût
fubfilloit, elle aimoic de bonne foi'; mais fitôt
qu’il étoit fini, ce qui lui aruivoit fouvçnt, tout
étoit rompu fans retour. Elje le déclaroit même
à fes amans avec une franchife qui leur ôtoit. la'
liberté de fe plaindre. Le premier de fes amans
heureux, fut le comte de Coligny. Le marquis de
Villarceaux lui fuccéda. C e fut de tous les amans
de Ninon le plus aimé. Madame de Villarceaux,
époufe du marquis, en étoit furieufe. On a rapporté
à ce fujet», l’anecdote fuivante- que Mo-
l.ère, qui mettoit ingénîeufemènt tout à profit,
fe rappela dans fa pente comédie de la comtejfc
d'Efcarbagnas. Cette dame avoit un jour beaucoup
de monde chez elle : on defira' de voir fon
fils ; il parut accànpagné de fon précepteur ;
on le fit babiller, & on ne manqua point dé
louer fon efprit. La mère, pour mieux juftifier
les éloges, pria le précepteur d’interroger fon
élève, fur les dernières chofes qu’il avoit apprifes.
Allons, moüfieur le .marquis, dit le grave pédagogue
: Quem habuit fuccejforem B élus, rex Ajji-
riorum ? Ninumy répondit le jeune marquis. Madame
de Villarceaux , frappée de la reffemblance
de ce nom avec celui de Ninon, ne put fe contenir.
« Voilàj dit-elle, de belles inftruétions
» à donner à mon fils, que de l’entretenir des
» folies de fon père. ». Le précepteur eut beau
s’exeufer, donner des explications les plus fatis-
faifantes, rien ne put faire entendre raifon à
cette femme jaloufe. Le ridicule de cette fcène
fe répandit dans toute la v ille, & Molière en
profita.
Le comte de Choifeul, qui fut depuis maréchal
dé. France en 1693 , fe mit au, rang de
amans de Ninon; mais il éprouva que cette aimable
fille, cherchoit mo ns à fatisfaire fa vanité
que fon goût. C e feîgneur étoit rempli de
bonnes qualités ; mais ij n’entendoit point à
faire l’amour. Il ne mettoit rien de vif^ rien
d’animé dans fes fentimens ; il ne favoit que
fonpirer. Ninon, fatiguée de fes pourfnites,
& cédant à fa vivacité, ne put s’ empêcher de
lui dire un joui-, ce que Cornelie dit à Ç éfar,
en le quittant : 1
Ah? cie ll que de vertus vous raè faites haïr?
C e ,qui mît le comble à la honte du comte,
c ’eft qu’il fe yu préférer un rival dont il ne fe
fèroît jamais défié. G ’e'toit Pecourt, célèbre dan»
feur de ce temps-là: il rend« ir de fréquentes vi-
fires à Ninon. Le comte de Choifeu! le rencontra
un jour chez elie; Pecourt avoit un habit allez
reffemblant à un uniforme. Après' quelques propos
ironiques, le comte lui demanda d’un ton
railleur dans quel corps il fervoit. Monfeigneur,
lui répondit Pecourt fur le même ton, je com
mande un corps ou vous ferve£ depuis long-temps.
Une querelle qui s’éleva entre deux amans de
Ninon, fut caufe qu’on propofa a la reine-régente
de la faire, mettre'dans un couvent. Ninon,
à qui on le dit, répondit qu’elle le vauloit bien,
pourvu que ce fût dans un couvent de corddiers.
On lui dit qu’on pourroit bien la mettre aux
filles repenties elle répondit que cela n’étoic
pas julfe, parce qu’ elle n’étoit ni fille, ni repentie.
On n’a pas oublié l’aventure de fon billet au-
marquis de la Châtre. C e marqué aimoic 6c
étoit aimé, lorfqu’il reçut un ordre d’aller joindre
l’armée. Il étoit inconfolable, moins encore de
la néceffxié, que des fuites de fon éloignement;
il connoiffoit le coeur de Ninon. Il s’avifa d’ un
expédient tout-à-fait fingulier : il exigea d’ elle
un billet, par lequel elle s’engageât à lui garder
la fidélité la plus inviolable. Ninon eut beau
repréfenter, que ce qu’il demandoit étoit extravagant;
il fallut faire le billet & le ligner. Le
marquis le baifa mille fois, le ferra précieufe-
ment, & partit avec la plus grande fécurité. Deux
jours après, l’inconftante, ou volage Ninon , fe
trouva dans les bras d’un nouvel amant. La fojjje
de ce billet lui revint alors, & dans le moment
le plus voluptueux, elle s’ écria deux ou trois
fois : Ah le bon billet qua la 'Châtre ! Bon mot
qui a depuis pafle en proverbe, fur-tout dans les
petites maifons de volupté.
Ninon ne confultoit que fon goût en amour.
Mais il n’en étoit pas de même en amitié. EKe
favoit que la confiance mutuelle qui naît de ce
fentiment, & qui en eft le plus grand bien, ne
peut fubfrfter fi elle n’eft fondée fur les loix de
l ’honneur, d’un commerce rare dans la fociété;
elle étoit , de plus, vraie, équitable & fidelle à
fa parole. M. de Gourville attaché au parti du
grand Condé, fut proferit & obligé de fjrtir du
royaume. La veille de fon départ, il vint trouver
mademoifelle de Lenclos qu’il aimoit, & dont il
étoit aimé, & lui apporta vingt mille écus en
or, qu’il la pria de lui garder jufqu’à fon retout ;
& pour ne pas confier tous fes effets à la même
perfonne, il alla dépofer une pareille fomme entre
les mains d’un eccléfiaflique qui avoit une grande
réputation de fainteté. Au bout de deux mois,
j Ninon, félon fa coutume, prit un nouvel amant.
Le pauvre Gourville errant dans les pays étrangers,
I apprit cette nouvelle, 6c crut fes vingt mille écus