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connoître les véritables moeurs d’ un peuple, eft
de le considérer dans les états les plus nombreux,
& dans cette-partie de la nation qui a le moins
d’intérêt de fe cacher. Tranfportez-vous à la Chine
& confidérez deux crocheteurs qui fe rencontrent
dans une rue étroite 5 ils mettent bas
leurs fardeaux , fe font mille excufes pour l’embarras
qu’ ils fe caufent , & fe demandent pardon
à genoux. A Londres au contraire , ou à Paris ,
iî deux porte-faix fe croifent , ils commencent par
fe quereller, finiffent par fe battre.
Combien de voyageurs peu philofophes, qui ne
jugent du caractère des nations chez lefquelles
ils féjournent, que par celui de deux ou trois
perfonnes qu’ils fréquentent. Ils reflemblent 3 pour
la plupart 3 à cet autrichien qui , paflant par Blois 3
où il n’avoit vu que fon hôteffe qui étoit rouffe
& peu complaifante , mit fur fon album : nota 3
que toutes les femmes de Blois font rouffes &
acariâtres.
Le duc d’Orléans 3 régent 3 interrogeoit un
étranger 3 fur le caractère & le génie différent des
nations de l ’Europe. « La- feule manière 3 lui dît
l’ étranger 3 de répondre à votre alteffe royale 3 eft
de lui répéter les premières queftions que 3 chez
les divers peuples, l’on fait le plus communément
fur le compte d’ un homme qui fe préfente
dans le monde. En Efpagne , ajouta-t-il 3 on demande
: E il-c e ‘ un grand de la. première claffe ?
En Allemagne : peut-il entrer dans les chapitres ?
En France : eft-il bien à la cour ? En Hollande :
combien a-t-il d’or ? En Angleterre : quel homme
eft-ce 35 ?
On a tracé ainfi 3 le caractère de quelques nations
de l’Europe.
De l’Irlandois.
Les irlandois font particulièrement diftingués
par la gaieté & la légéreté de leur humeur 5 ils
reflemblent en cela aux françois$ les anglois tranf-
plantés dans ce pays , y perdent avec le temps
leur air férieux & mélancolique, deviennent plus
gais 3 plus diflipés 3 plus amoureux du plaifir 3 &
moins adonnés à la réflexion.
On ne peut pas dire que cette différence d’humeur
n.aiffe du climat ou du fol 3 qui font en général
les mêmes qu’en Angleterre : ellev ne peut
être que l’effet du gouvernement. Les irlandois
vivent dans une contrée fertile 3 féparée du refte
du monde 3 protégée par une nation pûiffante ,
contre toute mfulte de la part des étrangers $ in-
différens fur la grandeur de leurs voifins , ils
n’ont point d’intérêts nationaux affez importans
Ï>our les inquiéter, & pour obfcurcir la gaieté de
eur caractère par la gravité de l’orgueil. Dans cet
état, ils fe livrent à l’indolence & au plaifir, fùi-
vent leur goût autant qu’ils peuvent, font aifément
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dominés par le reflentiment& fe foumettent fans
peine à 1 autorité.
De VEcoJfois.
L ’Ecoffe avoit eu jufqu’ au dernier fiècle le droit
de fe gouverner elle-même, tant pour l’adminif-
tration extérieure qu’intérieure ; ce fentiment du
pouvoir, & une longue continuation du même
gouvernement, produifent néceffairement l’amour
de la patrie 5 aufli les écolfoisv font-ils toujours
prévenus en faveur de leurs compatriotes , & jaloux
de la gloire de leur pays. La çaufe de ces
pallions nationales a ceffé avec l’adminiftraion nationale
j mais les effets en font encore fenfibles ,
& dureront peut-être plufieurs fiècles.
Le terrein de l’Ecofle eft peu fertile, & con-
féquemment, le peuple y eft frugal ; il feroit ab-
furde qu’il eût le même goût pour le plaifir ,
que le peuple d’Irlande ; ce feroit fe créer des
b.efoins qu’il n’eft pas au pouvoir de la nature
de fatisfaire : cette frugalité mène plufieurs autres
vertus à fa fuite. Les ecoflois ont du courage dans
l’adrerfité, parce que dès leur enfance , ils ont
appris à fouffrir > ils font modérés dans la prof-
périté , parce qu’il eft rare que ceux qui ont été'
dans la fimplicité, acquièrent après un certain âge
de nouveaux goûts pour le luxe & pour le rafi-
nement des plaifir s.
De VAnglois.
Les anglois tiennent beaucoup de l’intempérie
de leur climat} ils font mélancoliques, inconf-
tans & inquiets aufli les médecins appellent l’Angleterre
la région de la rate. G’efl ce qui leur
donne une phyfionomie penfive, & une certainé
gravité trille qu’ils confervent même dans les
plaifîrs.
Ils ont communémenr une fincérité fans fard ,
& aiment à dire leur penfée avec une fimplicité
pleine de bon fens. Us tiennent le milieu entre la
fine contrainte des méridionaux & la grdflîèreté
impolie des peuples du Nord.
On doit louer en eux une honnête intégrité,
un mépris de formalités & des minuties , & une
attention qiii fe prête-, plus aux grandes chofes
qu’aux petites.
C e qui fait le plus grand éloge de ce peuple ,
c’ eft le caractère compatiffant des voleurs & de£
brigands qui infeélent les grands ehemins. Il n’eft
peut-être aucune nation qui puiffe citer des exemples
de cette efoèce, & faire voir des méchans
qui mêlent la pitié à l’injuftice ; qui favent s’arrêter
dans le crime, & qui confervent un refte de
vertu au milieu de leur violence. Pat-tout ailleurs,
le vol & le meurtre fe fuivent toujours î c’eft ce
qui n’arrive en Angleterre , qu’en cas dé rçfif*
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tance & de pourfuites ; les bandits des autres
pays, font impitoyables : ici les brigands font
généreux à l’égara du public, & fe piquent de
vertu entr’eux. Ainfi, pour earaétèrifer les anglois
, par les vices & les vertus qu’on obferve
dans la claffe du peuple , ori peut dire qu’ils montrent
tous leurs défauts à un étranger, & qu’ils
réfervent leurs vertus pour l’oeil pénétrant du
philofophe.
Des François.
Les françois ont trouvé ou inventé l’ art de
réunir les deux extrêmes j ils ont enfemble les
vertus & les vices qui paroiflent les plus incompatibles.
Il font un compofé de force & de foi-
bleffe. On peut les dire efféminés, quoique braves
j faux & gens d’honneur , mais avec fineffe $
fplendides fans être généreux ; guerriers, mais
rafinés dans leurs manières : poffédant affez de
qualités pour mériter des applaudiffemens, fans
cependant être vertueux : férieux dans les bagatelles
, gais dans toutes leurs opérations & dans
toutes leurs entreprifes 1 femmes à la toilette ,
héros dans le champ de mars : corrompus, mais
décens dans la conduite : divifés par leurs fenti-
mens , & unis dans l’a&ion 5 foibles, fi l’on con-
■ fîdère leurs moeurs $ forts , fi l ’on a égard à
leurs principes j méprifables dans la vie privée,
formidables en tant que nation.
En un mot cotte nation légère, capricieufe ,
înconféquente , fans b u t , fans réflexion, fans
caractère, change avec la même facilite , de fyf-
têmes , de ridicules ,. de modes & d’amis : &
pour conclufion,- elle n’a d’uniformité que dans
fon inconftance.
De VEfpagnol.
Nous prenons mal-à-propos pour un férieux
imperturbable & bien près du ridicule , la gravité
dont nous faifons reproche aux espagnols,
& dont ils fe vantent avec raifon. Le genre de
gravité qui caraétérife cette nation, & 'qui for-
moi t le car altère des fpartiates & des romains ,
n’eft autre chofe que la confiance & la fermeté
dans les réfolutions qu’on a prifes après un profond
& long examen. C ’eft la qualité oppofée à
l’inconfidération & à la légèreté, enfin à cette mobilité
q u i, chez tous les peuples du monde, eft
le caraStère de l’enfance, & qui chez les gaulois
nos ancêtres, éclatoit, au rapport de Céfar, dans
toutes leurs allions, même a tout âge.
Les efpagnols font froids, fombres en apparence
, & réfervés jufqu’ à l’ affeôlation , mais ce
n’eft là que leur conduite extérieure. Le filence
qu’ils obferveht les rend extrêmement fecrets,
& ils le font fur-tout avec les étrangers j mais
quand les-efpagnols font une fpis liés d’amitié,
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ils quittent entièrement ces dehors graves & apprêtés
, rien n’ eft caché pour leurs amis : ce ne
font plus les mêmes hommes : ils font doux,
empreffés, polis, francs & pleins d’ attention : fidèles
en amitié, ils font aufli implacables dans
leur haine.
La profeflion des armes eft fi naturelle aux ef-
pagnofs , qu’ils lui facrifient le commerce les
manufactures , les arts, l’agriculture ; aufli l’Ef-
pagné efirélle plus guerrière que riche. Lepayfan le
plus indigent abandonne fa charrue pour voler aux
combats : on fait avec quelle chaleûr , avec
quelle célérité fe formèrent les armées espagnoles,
lors de la guerre de la fueceflion : on n’em-
tendoit dans ce vafte royaume que ces mots^ : à
la guerra 3 a la guerra , & les campagnes relièrent
fans cultivateurs.
C A R L EM A R A T T E , peintre célèbre, né en
1625,, mort en 1713.
Un prince romain fe plaignoit à Carlemaratte,
de la cherté de fes tableaux > il répondit que les
fameux artiftes , fes prédéceffeurs , ayant été très-
mal payés , le monde entier leur étoit redevable
d’une groffe fomme, & qu’ il étoit venu pour en
recevoir les arrérages.
/CARN AV AL . Le carnaval eft le naufrage
des innocens, l’heure du berger des femmes coquettes
, l’ évacuatif de la bourfe , le venin de
la fanté, le fédudeur de la jeuneffe, & le tombeau
des vieillards.
Les folies & les extravagances des hommes,
dans le tems du carnaval, fe calment avec la cendre
, comme les agitations tumultueufes & le bourdonnement*
des abeilles avec la pouffière.
C AR R A CH E . La famille des 'Carrache a eu
l’honneur de donner à la peinture, trois artiftes
diftingués, Louis., Auguftin & Annibal. Nous
allons donner une idée de ces trois artiftes.
C arrache , ( Louis, Ludovico) né à Bologne,
ainfi que les deux autres Carrache, fes cou-
fins, l’an 1555 , mort en 1619.
Louis Carrache, mécontent des dégoûts qu’îl
effuÿoit de la part de fon maître, qui étoit fortement
perfuadé de l’ incapacité de fon élève, pour
la peinture, prit le parti de le quitter , & alla
confulter le Tintoret ; ce dernier maître , pen-
fant aufli peu favorablement des talens du jeune
homme, lui confeilla d’embraffer une autre pro-
sfeflion. Le Carrache 11e fe rebuta point, & de-
■ vint un excellent peintre.
Les tableaux de cet artifte , qu’on voit à Bologne
, font affez bien conférvés, à cela près,
que les yeux de quelques figures font arrachés,