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prince, il le reçut fans fe troubler & fans fe
plaindre. Dans le même moment un abbé de fa
connoiffance va le trouver au milieu de fa fociété,
£e préfenta d'un air trille & abbatu, & lui demanda
: ce Avez-vous reçu des lettres de Flandres?
»» Oui 9 dit l'archevêque. Vous mande-t on , re-
•» prend l'abbé , ce qui eft arrivé dan&votre palais ?
» Oui, an me l ‘a écrit. Mais vous dit-on que votre
» bibliothèque & tous vos meubles ont été con-
» fumés par le feu,? Oui , mon cher abbé , je fais
» tout cela y & je m en cohfole ».
Un bref du pape, du 13 mars 1699, ayant
condamné le livre des maximes des faints de l'archevêque
de Cambrai, ce prélat fe fournit fans
reilri&ion & fans réferye.
Il publia un mandement contre fon propre ouvrage
, & annonça lui-même en chaire fa condamnation.
Pour donner à fon diocèfe un monument
de fon repentir, il fit faire., pour l’expofition
du faint facrement, un foleil porté par deux anges,
qui fouloiènt aux pieds divers livres hérétiques,
fur un defquels étoit le titre du lien.
L e pape Innocent X I I , qui eftimoit infiniment
M. de Fénelon , fut moins îcandalifé dq livre des
maximes des faints, que de la chaleur de quelques
prélats qui en pourfuivoient la condamnation. Il
leur écrivit : Peccavit excejfu amoris divi y fed vos~
pecçajlis- defeftu amoris proximi. Fénélon a péché
par excès d’amour divin, & vous autres par défaut
d’amour pour le prochain. |
U11 poète, pour faire fentir combien ces dif-
putes font dangereufes à la religion , compofa les
vers fuivans :
Pans ces fameux combats, où deux prélats de France
Semblent chercher la vérité ,
L’un dit qu’on détruit l’efpérance,
L’autre , que e’eft la charité :
C’eft la foi qui périt, & perfonne n’y penfe.
L e livre de l'explication des maximes des faints
eft écrit d’un ftyle pur , élégant, v if , affectueux j
les principes y font préfentés avec art, & les contradictions
fauvées avec bien de l’adreffe. L ’auteur
publia plufieurs écrits pour défendre ce premier
ouvrage. Pendant cette difpute, madame de Gri*
gnan , fille de madame de Sévigné, dit un jour
à M. Boffuet : « Mais eft-il donc vrai que Far-
» chevêque de Cambrai ait tant d’efprit ? Ah
» madame 3 répondit Boffuet, il en a a faire trem-
» bler ». M. de Bofe-, fon fucceffeur dans l'académie
françoife, en mars 1715Î, dit dans fon discours
de réception : « Il fit craindre aux légions
» du feïgnear qu’il ne tournât contre elles le glaive
» de la parole ».
On a cru que M* de Fénélon avoic compofé
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les avantures de Télémaque pour fervîr de thèmes
& d’inftruétion au duc de Bourgogne, ainii
que Bcffuet avoit fait fon hiftoire univerfelie pour
l’éducation de monfeigneur. Mais fon neveu, le
marquis de Fénélon, ,héritier de la vertu de cet
homme célèbre, & qui a été tué à la bara lie de
Raucoux, a affuré à M. de Voltaire le contraire.
En effet, ajoute l’auteur du fiecle de Louis XIV,.
il n’ eût pas été convenable que les amours de.
Calypfo & d'Eiicharis euffent été les premières
leçons qu’un prêtre eût données aux enfans de
France. Mais M. de Fénélon auroit pu donner
pour thèmes au duc de Bourgogne les piincipâles
réflexions de Télémaque. Un jour que Louis X IV
entrètenoit Fénélon fur des matières politiques,
le prélat, plein de fes idées, laiffa entrevoir au
roi une partie des principes qu’il a fi bien développés
dans fon Télémaque. Le prince, qui
n’aîjoutoit pas beaucoup de foi à toutes ces maximes,
ne put s’empêcher de dire à fes courti-
fans, après avoir.quitté Fénélon : « Je viens d'en-
» tretenir le plus bel efpric & le plus chimé-
» rique de mon royaume ».
Fénélon n'acheva fon Télémaque que lorfqu’il
fut rélégué dans fon archevêché de Cambrai#
L’efprit nourri de la Ieéture des anciens, & né
avec une imagination vive & tendre, il s'étoit
fait un ftyle qui n'étoit qu’ à lui , & qui coûtait
de fource avec abondance. J’ai vu , dit M. de Voltaire
, fon manuferit original, til n’y a pas dix
ratures. On prétend qu'un domeftique lui en déroba
une copie qu'il fit imprimer. Si cela eft ,
l’archevêque de Cambrai dut à cette infidélité
toute la réputation qu’il eut en Europe > mais il
lui dut aufli d’être perdu pour jamais à la cour.
On crut voir dans Se Télémaque une critique indirecte
du gouvernement de ‘Louis X IV . Séfof-
tris qui triomphoit avec trop de fafle, Idoménée
qui établiffoit le luxe dans Salente & qui ou*
blioit le néceffaire, parurent les portraits du roi.
Le marquis de Louvois fembloit, aux yeux dès mé-
contens, repréfenté fous le nom de Protéfilas ,
vain , dur, hautain, ennemi des grands capitaines
qui fervoient l'état, & non le miniftre. Les
alliés, qui, dans la guerre de 1688, s'unirent contre
Louis X IV , & qui depuis ébranlèrent fon trône
dans h guerre de 1701, fe firent une joie de le reconnaître
dans ce même Idoménée, dont la hauteur
révolte tous fes voifins. "
Durant la fanglante & malheureufe guerre de
1701, le prince Eugene &r le duc de Malborough
prévenoient M. de Fénélon par toutes fortes de
politelfes. Ils énvoyèrent des détachemens pour
garder fes prairies & fes bleds. Ils firent même
tranfporter & tfeorter jufqu’ à Cambrai fes grains,
de peur qu'ils ne fuffent enveloppés par les four-
rageurs de l'armée. Lorfque les partis ennemis
apprenoient qu’il devoit faire quelque voyage
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dans fon diocèfe, ils lui mandoient qu’il n'étoit
point befoin d'efeorte françoife , & qu'ils l ’efcor-
teroient eux - mêmes. Les huffards mêmes des
troupes impériales lui rendoient ce fervice.
On a penfe , avec affez de vraifemblance, que
M. de Fénélon auroit eu part au gouvernement, fi
le duc de Bourgogne fût monté fur le trône, j
Lorfque ce prince vint en Flandres, l’archevêque i
de Cambrai alla le faluer, & le prince, en le quit- :
tant, lui.dit : « Adieu, monfieur, je.fais ce que je i
» vous dois i vous favez ce que je vous fuis ».
Les defirs de Fénélon étoient modérés comme ;
fes écrits; & fur la fin de fa vie il méprifa enfin
toutes les difputes. Cet archevêque compofa fur
un air de Lulli ces vers, que M. de Voltaire
affure tenir du marquis de Fénélon , fon neveu ,
depuis ambafifadèur à la Haye.
J e u n e , j ’é to is t r o p f a g e ,
E t .v o u l o i s t r o p fa v o i r ;
J e n e v e u x en p a r t a g e
Q u e b a d in a g e ,
E t to u c h e a u d e rn ie r â g e ,
Sans r ie n p r é v o i r . *
Cette anecdote, ajoute M. de Voltaire, ferôit
peu importante par elle-même, fi elle ne prouvoit
à quel point nous voyons fou vent avec des regards
différons, dans la trifte tranquillité de la
vieillefle , ce qui nous a paru fi grand & fi inté-
reffant dans l’âge où l'efprit, plus aétif, eft le jouet
de fes defirs & de fes illufions.
Perfonne n'aimoit plus fa patrie que M. de
Fénélon y mais il ne pouvoit fouffrir qu'on en
cherchât les intérêts en violant les droits de l'humanité,
ni qu'on l'exaltât en dégradant le mérite
des autres peuples. « J'aime mieux ma fa-
» mille, difoit-il, que moi-même j j'aime mieux
» ma patrie que ma famille ; mais j'aime encore
» mieux-le genre-humain que ma patrie »• C'ett
auffi la devife de tout vrai philofophe.
. M . de Fénélon recevoit les etrangers tout aufli
bien que les françois. Il prenoit plaifir à les entretenir
des moeurs, des loix, du gouvernement,
des grands hommes de leur pays. Il ne leur fai-
foit jamais fentir ce qui leur manqüoit dans la dé-
licateiîe des moeurs françoife?. Au contraire, il
difoit fouvent : La pollteffe eft de toutes les na- ■
dons y les manières de l'expliquer font différentes,
mais indifférentes de leur nature.
FERMETE. Sylla avoir afl"mb!é lefénatpour
le contraindre à déclarer Marius ennemi de la république.
11 trouva dans un vieux fénateur , nommé
Scévola , une réfiftance à laquelle «1 ne s’atten-
doit pas. «c^Je ne_„crains point, lui dit ce géné- j
reux vieillard, ces fateilites armés qui afliègent [
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» le fenat ; & pour confervêr un refte de fmg
» que 1 âge a glacé dans mes veines, je ne dé-
» clarerai jamais ennemi delà république Marius.
» qui a confervé Rome & tome l’Italie ».
Mévius, centurion de l'armée d’Augufte, fut
pris & conduit à Antoine, q u i, d’un ton terrible
, lui demanda quel traitement il vouloit
qu’on lui fit? « Fais-moi mourir, répondit il ;
» car, ni la crainte ni la reconnoiffance ne pour-
» ront jamais m’engager à quitter le parti d'Au-
» gulle pour embialler le tien ».
Le même coup de canon tua M. deTurenne
& emporta le bras à M, de Saint-Hilaire, lieutenant
général de l ’artillerie j fon fils s’étant mis
a crier & à pleurer: « Taifez-vous, mon fils ,
» dit-il, en lui montrant M. de Turenne mort,
» voilà celui qu'il faut pleurer ».
Un homme, nommé Bourna^el, avoit été condamné
à perdre la tête, par arrêt du parlement de
Bordeaux, pour avoir aflafliné le fieur de la Tour.
Les parens de Bournaçel obtinrent fa grâce de
Charles IX 3 malgré les plaintes & les proteftations
de la veuve. Pour l’appaifer, le roi lui fit offre
de tous les biens du coupable -, mais la veuve de
IH Tour, en lui montrant le fils du défunt , lui
répondit : « Sire , à Dieu ne plaife que je vende
» fe fang de mon époux ! Puiiqoe le crédit du
» meurtrier eft au-deflus de la juftice & des loix,
» accordez à mon fils la grâce dont il aura befoin
» pour venger la mort de fon père par celle de
» l'aflaflin , à laquelle je l'exhorterai tous les
» jours ».
Un jour que Louis X IV fe tenoit à la tranchée,
dans un lieu où le feu étoit trèi-vir, un foldat
le prit rudement par le bras, en lui dffant :
« Otez-vous, eft-ce-là votre place ? » Les cour-
tifans faifilfant avec avidité cette ouverture, s'em-
preffent à vouloir lui perfuader de fe retirer. Il
paroît pencher à fuivre des corifeils fi timides,
lorfque le duc de Charon , s'approchant de f>n
oreille, lui dit à voix baffe : « Sir- , il eft tiré,
» il faut le boire ». Le roi le croit, demeure
dans la tranchée, & lui fait tant de gré de cette
fermeté, que le même jour il rappelle le marquis
de Charon, qui étoit exilé.
^ Le chancelier Voifin ayant appris qu'un fcé-
lérat avoit trouvé aflfez de protection pour obtenir
des lettres de grâce, vint trou er Louis X IV
dans fon cabinet : « Sire, lui dit il , en lui parlant
du coupable, votre majefté ne peut accorder
des lettres de grâce dans un pareil cas. — Je
les ai promifes , répondit le ro i, qui n'aimoit pas
à être contredit ; allez me chercher lis fceaux.
■— Mais , fire... —- Faites ce que je v^ ux. Le
chancelier apporta les fceaux. Le roi Relie les
lettres, te les rend à Voifin. « Ils font pollués,