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L'abbé Terrajfon , content de l'approbation de
quelques amis éclairés , étoit tort tranquille fur
les jugé mens des autres- On lui demandoit un
jour ce qu'il penfoit d'une harangue qu'il devoit
prononcer : » elle eft bonne, .répondit-il, je dis
« très-bonne. Tout le monde ne penfera peutêtre
pas comme moi , mais cela ne m’inquiète
» guères. 33
Ce qui l’occupoit le moins étoient les démêlés
des princes 8c les affaires de l’état. Il avoit coutume
de dire ,» qu'il ne faut pas le mêler du gou-
» vernail dans un vaiffeau où l'on n’eft que paf-
» fager
L'abbé Terrajfon fort âgé , s’étant apperçu qu’en
converfation il p?rdoit, comme dit Montaigne,
le mémoire de fes redites , s'avifa d’un expédient
dont il fit confidence à M. de Moncr.f. « Je
viens, -lui dit-il, de me furprendre vous répétant
des inutilités que je vous avois dites 8c redites
peut-être ii n’y a pas une heure : je pnnds le
parti de renoncer à l’ufage de ma mémoire II
appella alors fa gouvernante : —1« Venez, made-
moifelle L.ûguec, je vous charge de vous fouvenir
pour moi quand j’aurai compagnie. Il me femble
que je puis raifonner encore paffablement ; mais
pour les faits- récens -, je ne fuis pas content de
mon efprit ». Effectivement par la fuite lorfqu'on
lui fai fort quelque quell on : Demande\ a ma gouvernante
, &la gouvernante répondoit.
L'abbé TerraJfjn, malgré fon grand âge & fes
infirmités, conférva toujours le cara&ère diftinc-
tif de fon efprit. Il évaluoit en rianr la diminution
des facultés de fon arae. « Je caiculois ce matin ,
difoit-il un jour à M. Falconet fon ami, que j’ai
perdu les quatre cinquièmes de ce que je pouvois
avoir de lumières acquifes. Si cela continue, il ne
me reftera feulement pas la réponfe que fit au
moment de mourir ce bon M. de Lagny à notre
illuftre confrère Maupertuis 33 • Ce M. de Lagny
étoit de l’académie des fciences, 8c poffédoit, fu-
périeurement la fcience du calcul. Etant à d ’extrémité,
fa famille l’entouroit, 8c lui difoit les
chofes les plus touchantes ; mais il ne donnoit
aucune marque de connoiffance. M. de Maupertuis
furvint ; je vais le faire parler, dit-il : M . de
Lagny y Le quarré de dou^e..... Cent quarante-quatret
répondit le mourant d’une voix foibie , 8c depuis
il ne parla plus.
Le roman politique 8c moral, intitulé S éthos,
de l’abbé Terrajfon, ne fera point oublier Télémaque.
Il ëft plein d’iin grand nombre de caractères,
de traits, de morale, de réflexions fines. Mais
le mélange de phyfique 8c d’érudition que l'auteur
y a répandu ne peut être du goût des François
Dans fa differtation contre VIliade , ce pbi-
lofophe, égaré pari une'-fauffe métaphyfîque,
analyfe froidement ce qui devrôit- être fenti avec
tranfport. Ses réflexions fayorablçs au fyftême
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de Law déplurent également à Boivin, de l’académie
des inicr.ptions. Cet homme de lettres
a do roi t les anciens, Sc fur-tout Homère , 8c il
étoit furieux contre le calculateur Anglois dont
le fyftême l’avoit ruiné. Egalement occupé de
ces deux paftîons , il s'écria un jour avec un
ton vraiment comique : 33 Ne trouvez-vous pas
33 cet abbé Terrajfon bien plaifant ? Il a fait deux
» livres , l'un pour prouver qu’Hoir.èrë n’a pas
» le fens commun , 8c l'autre pour démontrer
33 que le fyftême eft la plus belle chofe du
33 monde. »
TERREUR. Un particulier de Tarafcon en
Provence, ayant fait creufer dans fa cave*qui
étoit proche du Rhône , trouva un mur avec
une porte de fer qu’il fit-ouvrir. Cetoit l’entrée
d'un caveau très profond, dans lequel il entendit
un bruit fi effroyable, qu'il n'ofa porter fa cu-
riofité plus loin. Cependant, les magiftrats de
la ville en ayant eu connoiffance, promirent la
liberté à un homme condamné aux galères ,
pourvu qu'il vou ut fe réfoudre à parcourir ce
fouterrain jufqu'au bout. Cet homme s muni de
tout ce qui pouvoit le raffurer , y entra j mais
à peine en avoit il traverfé la moitié, qu'il revint
pâle 8c tremblant , criant qu'on le pendit
plutôt que de mouiir d'une mort inconnue. Il
difoit avoir entendu des coups redoublés, avec
des roulis fi étonrians, qu’il s’imaginoit à chaque.
infiant que tout tomboit en d,Ablution autour
de . lui. On lui laiffa reprendre fes efprits
jufqu'au lendemain, 8c on lui offrit de nouveau
i fon pardon 8c même de l'argent, afin qu'il ten-
| tât de nouveau l'aventure. Il defeendit donc,
8c eut le courage de pouffer jufqu’au fond, ou.
fe rencontra une fécondé porte de fer , à laquelle
il heurta fans qu’on lui fit de réponfe. Enfin, la
curiofité des magiftrats les porta à offrir une
fomme considérable à quiconque iroît ouvrir ceue
nouvelle porte. Six ouvriers de bonne volonté
: s’enfével ffënt dans cette efpèce d'abyme , enfoncent
la porte, 8c trouvent qu’elle conduifoit
dans la ville de Beaucaire , 8c que ce caveau n’é-
toit autre chofe qu’une communication d’une ville
à l’autre, ignorée depuis long temps. A l’égard
du bruit qui avoit tant effrayé d’abord, il étoit
caufé par les eaux du Rhône, qui dans fon extrême
rapidité roùloit, en paffant fur cette voûte
qui le traversait, des cailloux 8cdes pierres. C ’eft
par cette voûte , creufée dans le roc fous le
Rhône, qu’on prétend que Charles - Martel fit
paffer fon armée pour vaincre les Sarrafins.
TE STAMEN S. Du temps de Saint Louis, le
clergé connoiffoit de l’exécution des ttftamens,
appofoitle ficelle, faifoit lçs'inventaires , exigeoit,
la; foudre de l’excommunieattonà la main, l’ac-
comoliffement des volontés du teftateur.
Tout
Tout chrétien étoit obligé de léguer en faveur
de l’églife une portion de fes biens, c’efi-à-dire,
une dixième partie.' L’pmiflîon de cette bonne
oeuvre décéloit le mépris du falut j 8c quiconque
y manquoit, étoit pnvé de l’abfolution , du viatique,
8c de .fépulture. Enfin tout le genre humain
étoit obligé de faire des donations à l’églife.
Un de nos modernes hiftoriens rapporte
qu’une pauvre femme n’ayant rien à donner, porta
un petit chat à l’offrande, difant qu’il ferviroit
à prendre les fouris de l’églife, 8c qu’il étoit de
bonne race.
Un ancien Romain fit un teffament remarquable:
je laiffe, dit il, à Artenice le foin de nourrir
ma mère, à Cancfene la charge de marier ma
fille, 8c fi l’un des deux vient à^mouiir, jeTubf-
titue en fa place celui qui furvivra. Ces deux
amis s’acquittèrent fidèlement de l’emploi que le
teftateur leur donna.
Je Philippe dernier comte de Petnbroke 8c
de Montgommery, chevalier pour le comté de
Berks étant, comme on m’en affure , très-foi Ne
de corps, mais d'une mémoire parfaite 5 car je
me reffouviens d’avoir donné , il y a/ cinq ans,
ma voix pour dépêcher le vieux Canierbury i 8c
depuis un an, je n’ai pas oublié d’avoir vu mo,n
maître fur i’échaffaud : cependant comme la mort
me pourfuit 8c me menace , 8c que j'ai toujours
cédé à ceux qui me menaçoient, je fais à pré
fent l'a&e de ma dernière volonté , 8c mon
teftament :
In p r im is , pour mon ame, j’avoue avoir fou-
vent entendu parler d'ame. Quant à ce que font
ces âmes, 8c à leur deftination, Dieu le fait >
pour moi4, je ne !é fais guères.1 On me parle à
préfent d’un autre monde; où je n'ai jamais été,
8c je ne connois pas un pouce du terrein qui
y conduit. Lorfque le Roi régnoit, je faifois
porter à mon fils une foutane, ayant envie d'en
faire un évêque, 8c j’étois de la religion de mon
maître : enfuite font venus les Ecoffais , qui
m’ont fait Presbytérien. Depuis Cromwel, je
fuis devenu indépendant. Voilà, je crois, les
trois principales religions du royaume. Si quelqu’une
des trois peut lauver une ame, je la rédame
: c’eft pourquoi fi mes exécuteurs me trouvent
une ame, je la remets à celui qui me l’a
donnée. ~
Item. Je donne mon corps, car je ne peux
pas le garder : vous voyez que les chirurgiens
me déchirent par morceaux. Enféveliffez - moi
donc j j’ai affez de terres, d’égiifes, pour cela :
fur- tout ne me mettez pas fous le .porche de
l’églife > car enfin, je fuis homme de naiffance ,
8c je ne voudrois pas être inhumé où le colonel
Pride eft né.
Item. Je ne" veux point de monument, car il
Encyclopédianat
me faudroît une épitaphe 8c des: vois > 8c pendant
ma v ie , on ne m’a que trop fait de vers;
Item. J’entends que mes chiens fiaient partagés
entre tous les membres du confeil d'Etat. J 'a i
affez fait ce qu'ils ont voulu. J ’ai travaillé tantô
t avec les Pairs , tantôt avec les communes :
ainfî , quelque chofe qui arrive de moi, j’efpèrè
qu'ils ne laifferont pas mourir de befoin mes
pauvres chiens.
Item. Je donne mes deux meilleurs chevaux
de Telle au comte de Denbigh , à qui je crois
q.*e les jambes vont bientôt manquer. Quant i
mes autres chevaux, je les donne 2 Mylord Fair^
f a x , afin que , quand Cromwel 8c fon confeil
lui ôteront fa commiffion, il puiffe avoir quelques
chevaux à commander.
Item. Je donne toutes mes bêtes fauves aù
comte de Salisbury, étant bien certain qu'il les
gardera feigneufemént, puifqu'ii a refufé dernièrement
au Roi un daim de fon parc.
Item. Je donne mes Chapelains au comte de
Stampfort, attendu qu'il n'a jamais fait ufage
d'aucun , n'en ayant connu d’autres que fon fils,
Mylord 'Gre y , qui , étant eh meme temps Tpi-
rituel 8c charnel, engendrera plus d'un monftre.
item. Je donne rien à Mylord Say j & je lui
fais ce legs , parce que je fais qu’il le diftri*-
buera fidèlement aux pauvres.
Item. Attendu que j’ai menacé le fieitr Henri
Mildmey 3 8c que je ne l’ai cependant point battu ,
je donne cinquante livres fterling au laquais qui
l’a roffé.
Item. Je donne à Thomas May , à qui j'ai
caffé le nez dans une mafearade,,cinq fehelings.
Je comptois lui donner davantage : mais tou*
ceux qui ont vu fôri Hifloire du Parlement, perife*
ront que cinq fchellngs font encore trop.
Item. Je donnerais à l’auteur du libelle contre
les dames, intitulé, nouvelles de l'exchange, trois
fols pour inventer une façon de barbouiller encore
plus obfcènë, qu’on a vu jufqu’icî. Mais
puifqu’ii infulte 8c noircit indignement je ne fais
combien de gens , je charge de fon paiement
le même laquais qui a payé les arrérages de Henri
Mildmey : il lui apprendra à diftinguer les femmes
refpeTtables.
Item. Je donne au lieutenant-général Cromwel
une de mes paroles, attendu qu'il n’a gardé aucune
des fiennes.
Item. Je donne aux riches citoyens de Londres,
ainfï qu’aux Presbytériens 8c à la nobleffe,
avis de prendre garde à leur peau-; ca r, par
ordre de l’E ta t, la garnifon de- Wittehall s’eft
fournie de poignards, 8c au lieu de chandelles,
fô fert de lanternes fourdes.
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