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Le roi , à qui on parla de ce grammairien j
fouhaica de le voir ; & ayant reconnu que l'unique
bue de Ton voyage croit de rendre une
efpèce d hommage littéraire à un de Tes compatriotes,
il lui fit donner une gratification, & ordonna
qu'on le conduisît à Rome : mais par malheur
Pétrarque en étoit déjà parti 5 & le grammairien
fut obligé de retourner chez lui , dé-
fefpéré d'avoir fait inutilement un fi long voyage.
Cependant il apprit quelques mois après .que
Pétrarque s'étoit arrêté à Parme 5 & dès-lors
oubliant toutes fes fatigues paffées, fans être
effrayé des neiges dont l'Apennin étoit déjà tout
couvert, traverfa les montagne^, & parvint au
bonheur après lequel il avoit fi long-temps fou-
piré.
Dès qu'il fût arrivé auprès de Pétrarque 3 il ne
ceffa de l'embraffer & de lui baifer les mains j &
comme chacun paroiffoit furpris d'un fpe&acle
fi nouveau & fi fingulier:« Vous ne connoiffez
pas, dit l'aveugle aux fpeélateurs, tout ce que
vaut l'homme à qui je rends ces marques de
refpeâ : je vois mieux que vous, tout aveugle
que je fuis ; & je rends grâces à Dieu de ce qu'il
a bien voulu que j'eulfe enfin le bonheur de le
rencontrer».
Pétrarquey de fon côté/ fit le meilleur accueil
qu'il lui fut polfible à ce bon vieillard, qui, après
avoir paffé trois jours avec lui, s'en retourna dans
ion pays, très-content de fon voyage.
Cette vifite rappelle celle que Tite-Live avoit
reçue autrefois, lorfqu'un étranger attiré par la
feule réputation^ de ce fameux hitforien, étoit
parti du fond de l'Efpagne pour venir Te voir à
Rome.
Henri Capra, orfèvre de Bergame, donna un
autre exemple de cette efpèce d’enthoufiafme que
faifait naître en fa faveur l'illuftre Pétrarque.
C e t orfèvre, touché de tout ce que la renommée
publiât de ce poëte italien, voulut, à quelque
prix que ce fû t, s’attirer fon amitié.
Il chercha long temps une occafion de fe faire
préfenter à lui : enfin il vint à Milan ou féjour-
noit Pétrarque, uniquement dans le deffein de fa-
tisfaire le defir qu'il avoir de voir ce fameux poëte.
L'accueil gracieux que Pétrarque lui fit, acheva de
lui gagner le coeur > & le combla de joifc.
Il voulut avoir des copies de tout ce qui étoit
forti de la plume de ce poëte : il dépenfa une
fomme confîdérable à orner prefque toute fa mai- '
fon de portraits & de ftatues qui le repréfen-
toient : enfin oubliant prefque fon commerce,
il fe mît en tête de devenir homme de lettres y
& Pétrarque ne put refufer à fes importunités une
lettre pour un favant qu’il prioit de vouloir bien
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donner quelques leçons à cet écolier quadragé-'
naire.
Pétrarque a mérité à jufle titre d'être regardé
comme le reftaurateur de la littérature , non-feulement
par fes écrits, mais encore par les foins
qu'il prit de recueillir les ouvrages dès auteurs
anciens.
Il en faifoit faire de bonnes copies fous fes yeux ;
fouvent même il prenoit la peine de les tranfcrîre
lui-même, impatienté par la lenteur & les bévues
des écrivains qu'il employoit. Par un excès de fa
complaifance pour le maître qui prit loin de fa
jeunelTe, nous avons perdu un manuferit précieux
de Cicéron , qui, étoit fon Traité de la gloire.
Il l’avoit prêté avec quelques autres manuferits
à ce vieillard pour les lire. Mais le bon-homme
les mit en gage pour quelque argent j Pétrarque,
qui s'en doutoit, lui demanda quelque temps après
ou il les avoit mis, dans le deffein de les retirer.
Le maître , honteux de ce qu’il avoit fait, ne
lui répondit que par des latmes. Pétrarque lui offrit
de l'argent pour aller les reprendre : A h ,
lui dit-il . quel ajfrontyvous me faites ! L'élève
n'ofa pas infifter pour ménager la délicateffe de
fon maître.
Pétrarque fut chargé de plufieurs ambaffades
honorables par les Vifconti a Milan, & paffa les
dernières années de fa vie à Arqua près de Pa-
doue.
Pétrarque avoit été honoré pendant tout le
cours de fa vie de Teftime & de la familiarité
des plus grands princes qu'il traitoit avec affez de
liberté.
L’empereur Charles IV f’avoit follicité vivetpent
de lui dédier un ouvrage. « Je ne puis, dit-il, vous
rien promettre, qii'autant que vous aurez de véritable
grandeur, & moi de loifir ».
Dans une convention que Robert, roi de Naples
& le protecteur des lettres, eut avec Pétrarque
, l'entretien étant tombé fur Philippe de
Valois , roi de France, Robert dit à Pétrarque:
« N’avez-vous jamais été à fa cour ? Je n'en ai
pas même été tenté , répondit Pétrarque. Pourquoi
donc, dit le prince en fouriant? C 'e ff, reprit
il , parce qu'il me femble qu'un homme comme
moi ne peut être qu'un perfonnage inutile & importun
à un roi ignorant. J’aime mieux vivre dans
une honnête médiocrité que d’aller traîner mon
corps dans une cour où perfonne ne parle ma langue.
Il m'eft revenu, dit le roi, que le fils aîné
de Philippe aime affez l'étude. Je l’ai oui dire
auffi, répliqua Pétrarque■ , mais cela ne plaît pas
au père > on prétend même qu’il regarde comme
des ennemis les précepteurs de fon fils 5 mais c'efi
un fait que je ne veudrois pas garantir ».
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A ces mots, Robert fut faifi d’indignation. 1
Après un court filence pendant lequel il avoit les
yeux baillés, il s’écria : «« Telle elt la vie des
hommes & la différence des goûts ! Pour moi,
je jure que les lettres me font plus chères que
ma couronne, & s'il falloit renoncer à l'une ou
à l'autre , j’arrachcrois bien vîte mon diadème
C ’eft ce prince qui accorda à Laure une marque
de dillinétion particulière , & que Pétrarque,
attentif à faire valoir tous;Ies avantages de fa mai-
treffe, n'a pas manqué de relever dans fes poéfies.
Robert venoit quelquefois à Avignon.
Dans une fête que le roi de Naples donnoit
aux dames de la province , ce prince fut frappé
de la beauté de Laure, & auflî-tôt faifant ligne
de-la main aux autres femmes que leur âge ou
leur rang mettoit au-deffus d’e lle, il la fit approcher
, lui dit de s’affeoir à fes côtés, & la baifa
aux yeux & au front.
PEUR. M. Bertin , médecin de la faculté
de Paris , mort en février 1781 , avoit une
timidité invincible , qui a fait le malheur de fa
vie. Au féjour agréable de Paris, il préféra celui
de la cour du Hofpodar de Valachie, dont il
fut premier Médecin. A peine M. Bertin fut-il
arrivé , que le defpote l'obligea d'affifter au
fapplice de celui qu'il venoit remplacer. Quelle
duc être alors la fît nation de cet homme timide !
Il fe fit cependant aimer du Hofpodar : mais il
frémiffoit en recevant fes careffes 5 & lorfque ce
prince fut rappelle à Conflantinople-, où il l'in-
vitoit de le fuivre, avec la promeffe d'une grande J
fortune, M. Bertin prétexta la crainte de la
pelle, & reprit le chemin de la France-
Etant paffé par Vienne, il eut l’honneur d’être
préfenté à l’impératrice reine. Cette grande fou-
veraine, qui connoiffoit fon mérite, lui donna
des cavaliers pour fa sûreté jufqu’ à la frontière :
dans la route ces foldats, dont il n’entendoit pas
la langue, partaient entr’eux. M. Bertin, l'imagination
encore frappée de la férocité des Vala-
ques , fe perfuade qu’on veut l’âffalfiner. La
crainte grolïiffant le danger, il .s’échappe. Les
cavaliers courent après lui j il fuit encore plus
vite, entre dans un marais , & fe met dans
léau jufqu’au cou. Les cavaliers dont l’air riant
n’annonçoit pas des affalfins, le retirèrent avec
bien de la peine, le raffurèrent, & le' ramenèrent.
•
De retour à Paris , un excès de travail &
quelques querelles littéraires avoient affoibli fes
organes très-foibles par eux mêmes, lorfqu’un
homme lâche & brutal, à qui il avoit Tendu des
fervices , le menaça. Saili de frayeur , & fe
trouvant déjà indifpofé, il envoie chercher M.
de l’Epine, médecin, foa ami. Sa tête iè trou-
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ble , 11 tombe dans un délire affreux. Les
perfonnes qui l'entourent lui femblent autant
d’affaflins ; il fe croit pourfuivi ; à peine veut-il
, permettre que M. de l’Epine entre dans fa chambre.
Le lendemain l’accès redouble, & , pour
■ jéviter la mort dont il fe croit menacé , il échappe
à fa garde, & fe précipite par la fenêtre : ma.s
fa chûce n’eut heureufement rien de dangereux.
Il fe retira dans une maifon de-campagne
près de Rennes , où il vécut Je refte de fes
jours, confervant toujours cette peur qui lui
faifoit voir partout des dangers, & qui lui fit
prendre la fuite lors de la defeente des Anglois
a S. Caft , parce qu’il les crut déjà maîtres de
la Bretagne, & qu'il fe regarda comme perdu ,
ayant eu autrefois le titre de médecin du prétendant.
Claude, le cinquième des Céfars , fut fi peureux
, fi lâche & fi pufîllanime, que fa mère
difoit"fouvent de lu i, que la nature i'avoit commencé
, & non pas achevé. ■
PHILIPPE, roi de Macédoine, mort l'an 3 36,
avant J. C . , âgé de 47 ans 3 il fut le père
; du célèbre Alexandre.
Un mot de Philippe étoit, qu’c« amufe les
enfans avec des jouets, & les hommes aveç des ferme nsi
maxime odieufe qu'on a âufli attribuée à notre
roi Louis X I , & qui fut l'ame & le prindSpe
de la politique du roi de Macédoine.
Quelqu’un lui ayant rapporté qu’un château
qu'il vouloit attaquer étoit imprenable, il demanda
fi l'on ne pourroit pas y faire entrer un
mulet chargé d'argent.
Il avoit fu par fes préfens faire parler les oracles
de la Grèce en fâ faveur; aufft le célèbre
Démofthènes fe plaignoit de fon temps que la
Pithie philippifoit.
Philippe conformément à fa politique, em
ployoit les efpions & les traîtres pour vaincre
fes ennemis. Ce prince cependant, en profitant
des trahifons, laiffa voir un jour affez piaifam-
rnent ce qu'il penfoit des traîtres. Lafihène &
Eurycrates , chefs de la cavalerie des Olyn-
thiens , s'étoient rendus avec leurs troupes à Philippe
lorfqu'il preffoit avec vigueur le fiége
d'Olynthe. Iis avoient reçu de lui un bon accueil
; mais ayant effuyé les reproches & les inventives
des capitaines & des foldats Macédoniens
qui les appelloient traîtres, ils s'en plaignirent
au roi. Ce prince leur répondit « qu'ils
” ne dévoient pas prendre garde à ce que di-
» forent des hommes grofliers , accoutumés à
I » nommer les chofes par leurs noms. »
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